Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 février 2016, R.G. 2014/AB/56-57-181-182-183-184-185-186-188-321
Mis en ligne le vendredi 28 octobre 2016
Cour du travail de Bruxelles, 16 février 2016, R.G. 2014/AB/56-57-181-182-183-184-185-186-188-321
Terra Laboris
Par arrêt du 16 février 2016, la Cour du travail de Bruxelles reprend la jurisprudence de la C.J.U.E. en matière de transfert : l’identité d’une entité économique signifie l‘existence d’un ensemble organisé de moyens en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire. L’élément organisationnel de l’entité transférée est important, mais également la poursuite de l’activité économique.
Les faits
Le litige tranché par la cour du travail dans cet arrêt du 16 février 2016 concerne un nombre très important de travailleurs d’un établissement hospitalier, qui ont introduit diverses actions devant les juridictions du travail, demandant une indemnisation suite à un transfert d’entreprise. Ces affaires ont été jointes et la cour a statué en une seule décision.
L’ensemble des travailleurs avaient la qualité d’employé et ils furent informés en conseil d’entreprise en avril 2008 de l’imminence d’un licenciement collectif. La procédure « Renault » fut mise en route. Vu les difficultés financières de l’établissement hospitalier, il fut décidé de sa mise en liquidation et des liquidateurs furent désignés. Les travailleurs furent dispensés de prestation par le collège des liquidateurs. Des propositions en vue de la poursuite de l’activité furent faites, dont deux furent discutées avec la délégation syndicale lors d’une réunion. Un des repreneurs potentiels ayant amélioré son offre, mais demandant à ce que l’opération n’ait pas le caractère de transfert d’entreprise, la chose fut discutée à nouveau avec la délégation. Une préférence fut marquée pour cette dernière offre.
En conséquence, les liquidateurs confirmèrent au conseil de ce repreneur que la proposition était acceptée moyennant certaines conditions, étant que (i) ils ne pouvaient pas prendre d’engagement en ce qui concerne l’application de la CCT 32bis, (ii) quelques membres du personnel (cinq à six) resteraient affectés aux opérations de liquidation et (iii) les autres membres du personnel seraient licenciés avec possibilité d’être réengagés, dans la mesure où la proposition du repreneur le permettait.
Accord fut marqué par celui-ci sur ces conditions.
Les travailleurs furent licenciés.
Deux cent membres du personnel environ reçurent une nouvelle proposition d’affectation et la moitié environ l’accepta.
Les liquidateurs délivrèrent le document F1 à destination du Fonds de Fermeture pour les membres du personnel qui n’avaient pas été réengagés, le document visant l’octroi d’une indemnité compensatoire de préavis. Aucune indemnité ne fut réclamée par ceux qui avaient été licenciés, mais réengagés par le repreneur.
Une organisation syndicale intervint, quelque temps après, demandant l’application de la CCT 32bis.
Diverses procédures furent alors introduites, procédures dont la cour rappelle les rétroactes. C’est l’ensemble de celles-ci qui sont jointes.
La position des parties
Les travailleurs persistent à demander devant la cour la condamnation in solidum du cédant et du repreneur, ce que le premier juge n’a pas admis, ayant prononcé une condamnation à l’égard du cédant uniquement.
Le cédant ne prend pas position sur l’existence d’un transfert, mais souligne les discussions intervenues à cet égard dans le cours des opérations de reprise.
Le repreneur demande, comme l’a fait le premier juge, de conclure à l’absence de transfert.
La décision de la cour
La cour rappelle l’évolution de la CCT 32bis, ainsi que sa place dans le cadre européen.
Elle considère en l’espèce qu’il n’y a pas eu de transfert d’entreprise, rencontrant ici la position du premier juge.
L’article 1er, § 1er, b), de la Directive 2001/12, ainsi que l’article 6 de la CCT 32bis, donnent la définition du transfert d’entreprise. L’article 6 énonce qu’est considéré (à l’exclusion des cas visés dans la CCT elle-même – chapitre III) comme transfert d’entreprise le transfert d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire. Pour la cour, le critère essentiel est le maintien de l’identité de l’entreprise (renvoyant à la jurisprudence de la Cour de Justice). En l’absence d’unité organisationnelle des éléments transférés, il peut y avoir transfert d’entreprise, mais à la condition que le lien fonctionnel entre les divers facteurs de production transférés soit maintenu et que le cessionnaire puisse utiliser ces facteurs de production afin de poursuivre la même activité économique ou une activité analogue, éléments sur lesquels le juge va exercer son contrôle.
La cour se penche plus particulièrement sur l’arrêt KLARENBERG de la Cour de Justice (C.J.U.E., 12 février 2009, Aff. n° C-466/07 – KLARENBERG c/ FERROTRON TECHNOLOGIES GmbH), dont l’arrêt reproduit les considérants 44 à 48. Elle souligne le dernier de ceux-ci, qui a précisé que le maintien d’un lien fonctionnel entre les divers facteurs transférés signifie qu’il est permis au cessionnaire d’utiliser ces derniers, même s’ils sont intégrés, après le transfert, dans une nouvelle structure organisationnelle différente, afin de poursuivre une activité économique identique ou analogue.
Dans cette décision la Cour de Justice rappelle encore ce qu’il faut entendre par identité d’une entité économique : c’est un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire. L’élément organisationnel de l’entité transférée est ainsi mis en exergue, mais également celui de la poursuite de l’activité économique (considérant 45). La condition relative à la préservation de l’identité d’une entité économique au sens de la Directive doit dès lors prendre en compte les deux éléments de l’article 1er, § 1er, b), de la Directive, qui, pris dans leur ensemble, constituent cette identité ainsi que l’objectif de protection des travailleurs visés par celle-ci. Pour la cour du travail, dès lors que, dès le départ, il n’y a pas maintien du lien fonctionnel, il n’y a pas de transfert, dans la mesure où il n’y a pas de poursuite d’une activité existante.
Cette jurisprudence européenne donne les réponses de principe à appliquer par les juges nationaux.
La cour du travail va dès lors examiner la nature de l’activité, constatant qu’il n’y avait plus d’activité hospitalière sur le site et que celle-ci n’a pas été redémarrée à l’initiative des liquidateurs. Ce n’est que plus d’un an plus tard que deux unités de soins y ont été transférées, les membres du personnel y affectés faisant (ou non) partie de ceux qui avaient été occupés sur le site précédemment. Pour la cour, l’élément essentiel est le constat que l’activité hospitalière a été cessée par le cédant et n’a pas été transférée. La reprise a, dans un premier temps, concerné une activité de revalidation moteur ainsi que de gériatrie et, plus tard, une division de dialyse rénale a été ajoutée. Elle conclut dès lors à une reconversion des lieux, constatant également que les nouveaux engagements ne sont pas intervenus en lien avec une poursuite d’activité.
La demande ne peut dès lors être dirigée contre le repreneur.
La cour confirme, en conséquence, qu’il y a lieu de condamner le cédant. Celui-ci ne conteste pas les montants réclamés, tels que repris par le curateur sur le document F1.
Intérêt de la décision
Cette affaire permet de renvoyer très utilement, à l’occasion de cette reprise d’activité, à l’arrêt KLARENBERG de la Cour de Justice. Celle-ci a été saisie d’une question posée concernant l’interprétation de l’article 1er, § 1er, a) et b), de la Directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 (Directive concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements). Elle a considéré que cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle est susceptible de s’appliquer dans la situation où la partie d’entreprise ou d’établissement cédée ne conserve pas son autonomie du point de vue organisationnel, à la condition cependant que le lien fonctionnel entre les différents facteurs de production transférés soit maintenu et qu’il permette au cessionnaire d’utiliser ces derniers aux fins de poursuivre une activité économique identique ou analogue - ce qu’il appartient au juge national de vérifier.