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Intégration des personnes handicapées : suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 juin 2016, R.G. 2015/AB/824

Mis en ligne le mardi 13 décembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 6 juin 2016, R.G. 2015/AB/824

Terra Laboris

Dans son important arrêt de principe du 16 mars 2015, la Cour de cassation avait fixé la référence en matière de frais considérés comme nécessaires en raison du handicap, étant qu’ils doivent excéder ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide. Dans son arrêt de renvoi, la Cour du travail de Bruxelles examine concrètement les critères.

Les faits

Un travailleur indépendant a été victime d’un accident de moto en 2009 et reste atteint de séquelles sur le plan de sa mobilité. Il travaille partiellement à domicile. Ayant sollicité l’intervention de l’AWIPH en 2012, la question s’est posée de l’intervention de l’Agence dans le coût d’aménagement et d’adaptation du logement, étant en particulier visé le placement d’escaliers avec main courante et balustrade.

Suite au refus de l’AWIPH, une procédure avait été introduite devant le Tribunal du travail de Dinant, qui, par jugement du 2 décembre 2013, l’avait accueillie.

Appel avait été interjeté devant la Cour du travail de Liège, qui a confirmé le jugement par arrêt du 18 février 2014. L’Agence a introduit un pourvoi devant la Cour de cassation et l’arrêt de la Cour du travail de Liège a été cassé.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 18 février 2014

La cour du travail avait considéré que la demande rencontrait les conditions légales d’intervention de l’AWIPH, la personne demandant le remplacement d’échelles existantes (échelles inclinées et dépourvues de rampe) par de vrais escaliers avec main courante et balustrade.

Pour la cour du travail, qui avait repris l’article 278 du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé du 29 septembre 2011, l’Agence devait intervenir, de même également qu’en exécution de l’arrêté du Gouvernement wallon du 14 mai 2009. Le critère visé par ce dernier texte porte sur les dépenses supplémentaires à exposer eu égard à celles qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques.

La cour du travail avait retenu que deux interprétations étaient possibles, étant que l’intervention devait être limitée à la différence du coût que toute personne non valide devait exposer pour payer les travaux d’aménagement par rapport à une personne valide ou qu’elle devait viser le coût rendu nécessaire par le handicap, c’est-à-dire le coût supplémentaire à exposer par rapport à des travaux exécutés en l’absence de celui-ci.

La cour du travail avait suivi la position de l’assuré social, considérant que l’interprétation de l’AWIPH était trop restrictive.

L’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015

La Cour a cassé l’arrêt de la cour du travail, considérant qu’en vertu de l’article 4, alinéas 1er et 2, de l’arrêté du Gouvernement wallon du 14 mai 2009, il faut entendre des frais qui ne devraient être pris en charge que s’ils excèdent ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide. C’est celle-ci qui constitue la référence et non les frais à exposer par la personne handicapée eu égard à son propre handicap.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 6 juin 2016

La cour du travail se livre à un rappel important du contexte législatif. Elle souligne que le Code wallon de l’Action sociale et de la Santé n’accorde pas aux personnes handicapées un droit général à obtenir toute aide nécessaire à leur intégration et à leur autonomie, mais qu’une aide leur est accordée dans les cas et selon les conditions déterminées par l’arrêté du Gouvernement pris en exécution du Code.

Les critères d’octroi doivent se faire en tenant compte de la demande de la personne, des particularités de ses besoins et de sa situation. Les dispositions applicables au cas, étant l’arrêté du Gouvernement du 14 mai 2009 (article 4, alinéas 1 et 2), ont été remplacées par l’article 786, § 1er, du Code réglementaire wallon de l’Action sociale et de la Santé entré en vigueur le 1er septembre 2013. Les termes issus de la modification législative sont quasi-identiques, la cour constatant que quatre conditions sont posées pour l’octroi d’une aide individuelle lorsqu’il s’agit d’aménagement du domicile :

1. La personne doit présenter un handicap ;

2. Les aménagements doivent être destinés à compenser celui-ci ou à prévenir son aggravation ;

3. Les frais doivent être nécessaires eu égard au handicap aux activités ou à la participation de la personne à la vie de société ;

4. Ils doivent constituer des frais supplémentaires à ceux qu’une personne valide devrait exposer dans des circonstances identiques.

La cour rappelle l’apport de l’arrêt de la Cour de cassation sur ce dernier critère, étant que les frais nécessaires ne sont pris en charge que s’ils excèdent ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide.

Elle renvoie également aux développements faits par M. l’Avocat général GENICOT dans ses conclusions. Il s’en déduit qu’il faut examiner si les escaliers répondent aux normes imposées ou aux usages généralement admis pour des escaliers dans une habitation privée. Ainsi, il faut vérifier s’ils sont standardisés, c’est-à-dire conformes aux normes imposées ou aux usages, ou s’il s’agit d’escaliers hors normes.

Dans l’hypothèse où la personne aurait besoin, vu son handicap, d’escaliers spécifiques et hors normes, il y aurait des frais supplémentaires à ceux qu’une personne valide devrait encourir, puisque celle-ci n’aurait pas besoin de tels escaliers. Si, par contre, les nouveaux escaliers entrent dans les normes habituelles, il faut encore vérifier deux choses, étant de savoir si ceux à remplacer répondent eux aussi aux normes, auquel cas le coût de leur remplacement constitue des frais supplémentaires à ceux qu’une personne valide devrait exposer, ou si, en revanche, ils ne répondent pas aux normes, hypothèse dans laquelle leur remplacement aurait de toute façon dû intervenir, et ce que la personne soit valide ou non.

La réouverture des débats est prononcée aux fins de répondre à ces questions.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, qui statue après renvoi suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015, est un prolongement très concret des critères dégagés par la Cour suprême. En effet, elle a écarté la position de la Cour du travail de Liège, qui s’était fondée sur le coût supplémentaire lié au handicap, ayant cependant relevé les deux interprétations possibles. La Cour de cassation avait confirmé l’interprétation restrictive, étant que les frais ne devaient être pris en charge que s’ils excédaient ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide.

La Cour du travail de Bruxelles poursuit très judicieusement le raisonnement de la Cour de cassation en examinant concrètement la nature des aménagements projetés, et ce tenant compte des conclusions de l’Avocat général, qui avait notamment relevé que l’intervention doit être restreinte à ce qui distingue un aménagement spécifiquement caractérisé et imposé par le handicap de ce qui est généralement prévu et reconnu pour une personne valide. Le but de la mesure est d’empêcher que le handicap ne fasse supporter à la collectivité des aménagements que toute personne non handicapée devrait ou pourrait en tout état de cause envisager dans des circonstances identiques. S’il s’agit dès lors de remettre à niveau des lieux qui resteraient dans les limites des normes habituellement reconnues pour une personne valide, il n’y a pas lieu à prendre ceux-ci en charge.

Affaire à suivre donc pour la solution in concreto…


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