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Licenciement manifestement déraisonnable : contrôle judiciaire

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 9 septembre 2016, R.G. 15/978/A

Mis en ligne le lundi 13 février 2017


Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), 9 septembre 2016, R.G. 15/978/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 septembre 2016, le Tribunal du travail du Hainaut (Div. La Louvière), rappelle que, depuis l’entrée en vigueur de la CCT n° 109 concernant la motivation du licenciement l’employeur doit rapporter la preuve suffisante du motif : en l’espèce est manifestement déraisonnable la rupture qui intervient lorsque le travailleur tente de s’expliquer sur des griefs formulés contre lui.

Les faits

Initialement engagé comme ouvrière par une société de titres-services, une dame D. devient responsable d’atelier après trois années de service pendant lesquelles son horaire de travail a – à l’initiative de l’employeur – d’abord été réduit et puis réaugmenté, chose que l’intéressée a accepté. Elle est en fin de compte occupée à raison de 34 heures par semaine. Elle a cependant un nombre important d’heures supplémentaires et demande à les récupérer, ce qui entraîne un différend entre parties.

L’intéressée tombe en incapacité de travail en janvier 2014 et, vu qu’elle a quitté le travail en cours de journée, un avertissement lui est envoyé, lui reprochant un abandon de travail. Celle-ci transmet normalement son certificat médical. À l’issue de la période d’incapacité, qui va durer près de cinq mois, elle reprend le travail et retombe malade.

Pendant cette deuxième période d’incapacité, un nouvel avertissement lui est adressé, faisant suite à une demande de la part de l’intéressée de voir corriger ce qu’elle estime être une erreur dans le calcul de sa rémunération. L’intéressée vient à l’entreprise, aux fins d’obtenir des précisions sur les périodes d’incapacité exactes et suite à cette visite, d’une part l’employeur acte une attitude injurieuse et menaçante de sa part et, de l’autre, la travailleuse impute la responsabilité de la mauvaise tournure de la discussion au directeur lui-même.

Quelques semaines plus tard, elle est licenciée moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Ayant demandé à connaître les motifs du licenciement, la société fait valoir la perte définitive de la confiance placée en elle et de ce fait l’impossibilité de poursuivre la collaboration.

Parallèlement, l’organisation syndicale à laquelle la demanderesse est affiliée avait fait part de son intention d’installer une délégation syndicale dans l’entreprise, demande formulée, d’ailleurs, la veille du licenciement. L’organisation demande dès lors la réintégration de l’intéressée, ce qui est refusé, celle-ci n’ayant pas, pour la société, le statut de travailleur protégé au moment de son licenciement.

Une procédure est dès lors introduite, dans laquelle est demandée une indemnité pour licenciement déraisonnable, ainsi que certains montants (arriérés de rémunération).

Décision du tribunal

Le tribunal reprend les principes dégagés par la CCT n° 109, constatant, à partir de l’examen de son article 8, que le licenciement doit être fondé sur l’aptitude, la conduite ou encore les nécessités de fonctionnement de l’entreprise et qu’il sera considéré comme déraisonnable si un employeur prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas procédé au licenciement.

Sur le plan de la réparation du dommage peut être réclamée soit l’indemnité forfaitaire de trois à dix-sept semaines, soit la réparation du dommage réel.

En ce qui concerne la charge de la preuve, la CCT permet trois situations, étant (i) celle où l’employeur a communiqué les motifs de licenciement, (ii) celle où il ne l’a pas fait alors que le travailleur a demandé cette communication et (iii) celle où le travailleur n’a pas fait la demande.

Dans la première hypothèse, l’employeur doit apporter la preuve du motif avancé et le travailleur peut apporter la preuve que celui-ci ne constitue pas la véritable cause du licenciement. Si par contre les motifs n’ont pas été donnés alors qu’ils ont été demandés, l’employeur devra prouver les motifs et également établir qu’ils ne sont pas manifestement déraisonnables. S’ils n’ont pas été demandés, le travailleur doit prouver le motif du licenciement et établir les éléments qui indiquent que celui-ci est manifestement déraisonnable.

Le tribunal renvoie ici à la doctrine de S. GILSON, (S. GILSON, « Licenciement abusif et/ou manifestement déraisonnable : le point sur la question » in La rupture du contrat de travail : entre harmonisation et discrimination, ouvrage collectif, Anthémis, 2015, p.122).

En l’espèce, le motif consiste en de fausses allégations qui auraient entraîné la perte définitive de la confiance et dès lors l’impossibilité de poursuivre la collaboration.

Dans ce cas de figure, deux éléments sont à retenir, selon le tribunal, étant que l’employeur doit apporter la preuve du motif avancé et que la travailleuse peut, quant à elle, prouver que celui-ci n’est pas la véritable cause de son licenciement.

L’employeur se fonde sur le courrier adressé à la travailleuse après sa visite à l’entreprise et constate que celle-ci y a exposé sa version des faits et ne constitue pas la preuve d’une inconduite. La preuve du motif invoqué par l’employeur n’est dès lors pas apportée.

Le tribunal souligne en outre l’ancienneté et la carrière irréprochable de l’intéressée pour conclure qu’un employeur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances ne l’aurait pas licenciée alors même qu’elle tentait de s’expliquer quant aux griefs qui lui étaient reprochés.

Le tribunal examine, ensuite, les arguments invoqués par la travailleuse quant au motif réel. Celle-ci expose qu’en peu de temps, il y a eu des revendications de sa part en matière de rémunération et que ces revendications ont abouti à deux avertissements. Quelques semaines plus tard, l’organisation syndicale est intervenue et pour le tribunal il s’agit vraisemblablement de l’élément déclencheur.

La conclusion est dès lors qu’il y a lieu à indemnisation pour licenciement manifestement déraisonnable. Le tribunal accorde le maximum de la fourchette prévue par la convention collective, étant dix-sept semaines.

Intérêt de la décision

Les dispositions de la CCT n° 109 en matière de motif sont claires, étant qu’il est renvoyé aux motifs admis précédemment dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, ces motifs pouvant être liés à la personne du travailleur (aptitude ou conduite) ou à l’entreprise elle-même (nécessités de fonctionnement).

Sur la plan de la preuve, la question est plus délicate, puisque la CCT a prévu un mécanisme subtil influençant l’étendue de la charge de la preuve des deux parties, selon qu’il est ou non recouru à la procédure de communication des motifs et que celle-ci a été ou non respectée par l’employeur.

Dans la présente espèce, le tribunal statue alors que les motifs ont été demandés et donnés.

Le contrôle judiciaire porte dans ce cas sur les motifs tels qu’ils ont été présentés par l’employeur et il n’est pas question d’autres éléments. Le premier point à régler par le juge est de voir si le motif est établi à suffisance de droit. Il ne l’est pas ici et le contrôle judiciaire pourrait s’arrêter, puisque l’existence du motif (qui doit être prouvé et non seulement énoncé ou allégué) est le premier élément de la discussion. Le tribunal poursuit cependant son examen, jugeant à cet égard que ne peut constituer un motif raisonnable de licenciement celui qui trouve son origine dans l’expression par le travailleur de sa volonté de faire valoir ses droits et son point de vue.


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