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Cotisations de sécurité sociale et convention d’immersion professionnelle

Commentaire de C. trav. Mons, 8 septembre 2016, R.G. 2015/AM/214

Mis en ligne le lundi 13 février 2017


Cour du travail de Mons, 8 septembre 2016, R.G. 2015/AM/214

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 septembre 2016, la Cour du travail de Mons rappelle que, pour valoir effet interruptif de prescription, la lettre recommandée ne doit laisser planer aucun doute dans l’esprit du débiteur à qui elle s’adresse quant à son obligation de s’exécuter. A défaut, l’effet interruptif ne pourra pas être admis.

Les faits

Une gérante d’un salon de coiffure occupe des stagiaires dans le cadre d’une insertion professionnelle. L’A.S.B.L. qui encadre cette activité n’a cependant pas l’agrément en tant qu’opérateur de formations pratiquant des stages en entreprise. Les contrats signés avec les stagiaires s’avèrent ne pas répondre aux conditions applicables aux conventions d’immersion professionnelle.

L’Inspection sociale procède à diverses auditions et, notamment, dans l’espèce commentée, l’O.N.S.S. confirme qu’il y a lieu de requalifier la convention en contrat de travail. Ce courrier (recommandé) est présenté comme ayant pour but d’interrompre le cours de la prescription en application de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969. La créance de l’O.N.S.S. est fixée de manière provisionnelle à 1 €. Par un nouveau courrier recommandé, envoyé environ cinq mois plus tard, l’O.N.S.S. fait de même pour les cotisations relatives à l’année suivante. Le libellé de cette lettre est identique.

Il est alors procédé à l’envoi d’un troisième courrier recommandé, celui-ci portant sur la période couverte par les deux précédents et réclamant des cotisations de plus de 9.000 €.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Mons.

Par jugement du 2 avril 2015, le tribunal refuse la requalification en contrat de travail, au motif qu’il s’agissait d’un véritable stage.

L’O.N.S.S. interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine d’abord la question de la prescription, soulevée par l’intimée, pour une partie de la demande.

Elle rappelle qu’en vertu de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969, les créances de l’O.N.S.S. se prescrivent par trois ans à partir de leur date d’exigibilité. Avant cette disposition, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, le délai était de cinq ans. La créance portant sur les années 2007 et 2008, la cour reprend en premier lieu la règle applicable lorsqu’un nouveau délai de prescription plus court intervient et rappelle qu’en l’espèce, il faut appliquer celui-ci, qui est de trois ans, délai qui doit être calculé à partir de la date d’exigibilité de la créance. Cette règle doit être appliquée non seulement aux créances nées après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, mais également à celles nées auparavant et dont le délai de prescription était en cours à cette date, et ce même si la date d’exigibilité était antérieure.

Les modes d’interruption de la prescription sont, outre ceux prévus aux articles 2244 et suivants du Code civil, une lettre recommandée ou la signification d’une contrainte.

La question se pose ici de savoir si le courrier recommandé envoyé par l’O.N.S.S. est interruptif de prescription. Si la question ne concerne qu’un trimestre (le 4e trimestre 2007), elle constitue néanmoins un point d’intérêt évident, que la cour doit trancher.

Elle renvoie à sa propre jurisprudence (C. trav. Mons, 14 novembre 2013, J.T.T., 2015, p. 109 – la cour étant autrement composée), qui a estimé que, pour valoir effet interruptif de prescription, l’acte considéré doit, par sa formulation, ne laisser planer aucun doute dans l’esprit du débiteur à qui il s’adresse quant à son obligation de s’exécuter.

En l’occurrence, ce n’est pas le fait que la créance ait été fixée de manière provisionnelle (1 €) qui compte, mais bien la circonstance qu’à l’époque, aucune créance n’était encore certaine. La lettre recommandée ne peut donc valoir interpellation dont le débiteur avait nécessairement dû comprendre qu’il était mis en demeure de payer des cotisations.

Telle est également la conclusion d’un arrêt précédent de la même cour (C. trav. Mons, 12 février 2015, R.G. 2013/AM/418). Pour la cour, il s’agit simplement, dans un tel courrier, d’annoncer qu’une analyse de la situation va être faite. Renvoyant à la jurisprudence ci-dessus, la cour retient que trois conditions doivent être remplies pour qu’il y ait interruption de la prescription, étant que (i) la preuve est apportée de la date d’envoi du courrier, (ii) la lettre recommandée doit être signée par la personne compétente et (iii) la lettre doit contenir la manifestation de la volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir paiement de la créance.

Dès lors que, en l’espèce, le courrier en cause ne peut remplir la troisième condition, il y a prescription.

La cour va encore examiner le fondement de la demande, étant de savoir s’il y a en l’espèce un contrat de travail. Elle va conclure, renvoyant également à de la jurisprudence sur la question, qu’en cas de convention d’immersion professionnelle irrégulière, il appartient au juge de rechercher s’il y a lieu de requalifier.

La conclusion sera en l’espèce que l’O.N.S.S., qui a la charge de la preuve de l’existence du contrat de travail, n’en établit nullement l’existence.

La cour annule dès lors la décision administrative.

Intérêt de la décision

Toute lettre recommandée n’est pas interruptive de prescription, ce qui est rappelé dans cette décision et qui avait déjà été jugé dans plusieurs arrêts de la cour du travail, dont celui du 12 février 2015 (C. trav Mons, 12 février 2015, R.G. 2013/AM/418 – précédemment commenté). Il s’agit d’appliquer les conditions légales de la sommation en matière civile. Dans l’arrêt du 12 février 2015, la Cour du travail de Mons avait également renvoyé à une décision de la Cour du travail de Bruxelles du 18 novembre 2009 (C. trav. Bruxelles, 18 novembre 2009, R.G. 2008/AB/51.108) rendue en matière de chômage. La cour du travail y avait considéré que la loi édicte en faveur de l’ONEm une règle dérogatoire au droit commun, lorsqu’elle autorise l’interruption de la prescription par lettre recommandée et qu’une telle règle doit être de stricte interprétation. Pour être interruptive de prescription, elle doit contenir la manifestation de volonté de l’intention du créancier d’obtenir le paiement de sa créance. La Cour du travail de Mons avait également renvoyé au texte actuel de l’article 2244 du Code civil, étant après sa modification par la loi du 23 mai 2013. Cet article énonce les mentions expresses que doit contenir la mise en demeure pour bénéficier de l’effet interruptif.


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