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Insolvabilité de l’employeur : qu’en est-il des cotisations de retraite impayées ?

Commentaire de C.J.U.E., 24 novembre 2016, Aff. C-454/15 (WEBB-SÄMANN c/ SEAGON)

Mis en ligne le jeudi 30 mars 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 24 novembre 2016, Aff. C-454/15 (WEBB-SÄMANN c/ SEAGON)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 novembre 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne donne l’interprétation à conférer à l’article 8 de la Directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur.

Objet du litige

Le litige oppose un ancien travailleur d’une société faillie au curateur de la faillite, au sujet d’un droit de distraction de la masse de la faillite des cotisations de retraite impayées par la société avant la survenance de son insolvabilité.

Le contexte

Un travailleur occupé à temps partiel par une société allemande, contre laquelle une procédure en faillite est initiée le 1er octobre 2013, introduit une procédure devant les juridictions du travail contre le curateur afin d’obtenir le paiement de créances de salaire, qui auraient dû être versées auprès d’une caisse de pension au titre de cotisations à une pension professionnelle. Le litige connaît un règlement partiel en cours de procédure et la Cour ne statue que sur le dernier point de différend, étant la question de la distraction de contributions au régime de pension professionnelle pour une période de six mois.

Le travailleur considère qu’il bénéficie d’un droit de distraction de la masse de l’insolvabilité, et ce conformément au règlement de droit allemand relatif à l’insolvabilité et il invoque également l’article 8 de la Directive 2008/94.

Ayant été débouté en première instance, l’intéressé interjette appel devant le Hessiches Landesarbeitsgericht (tribunal supérieur du travail du Land de Hesse), qui interroge la Cour de Justice sur la question suivante : une interprétation nationale selon laquelle les créances de salaire échues confiées à l’employeur aux fins d’être conservées en vue de leur versement ultérieur à une caisse de retraite, mais qui n’ont pas été versées par celui-ci sur un compte distinct, de sorte que les créances échappent au droit de distraction prévu par le droit interne, viole-t-elle l’article 8 de la Directive ou le droit de l’Union ?

La réponse de la Cour

La Cour fait un examen approfondi des dispositions pertinentes de la Directive 2008/94, étant essentiellement les articles 3, 4, 6 et 8.

En vertu de l’article 3, les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent le paiement des créances impayées des travailleurs salariés (la possibilité de restreindre le champ d’application de l’article 3 étant prévue par l’article 4). Les Etats membres sont également autorisés, en vertu de l’article 6, à ne pas appliquer les dispositions précédentes aux cotisations dues au titre des régimes complémentaires de pension. Par ailleurs, l’article 8 impose aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs salariés en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels.

La Cour retient que tant l’article 3 que l’article 8 sont dès lors pertinents en cas de non-paiement des cotisations de retraite. Ceux-ci ont cependant des finalités et des formes de protection différentes. Le paiement des créances impayées doit être assuré, en vertu de l’article 3, par les institutions de garantie (avec cependant la possibilité de restriction du champ d’application, tant pour ce qui est de la durée de la période donnant lieu au paiement des créances impayées que le seuil, étant le plafonnement des paiements). Par ailleurs, il s’agit, en vertu de cette disposition, de couvrir les créances à court terme. Par contre, l’article 8, qui a une portée matérielle plus restreinte (étant de protéger l’intérêt des travailleurs au paiement de leurs droits à la retraite), ne prévoit pas la possibilité de limiter le niveau de protection et vise à garantir le respect des intérêts des travailleurs à long terme.

Pour la Cour, dans le cas d’espèce, c’est l’article 8 qui trouve à s’appliquer, pour autant qu’il n’y ait pas eu de compensation en vertu de l’article 3. Ayant constaté en l’espèce que tel n’a pas été le cas et que le défaut de paiement a nécessairement eu des effets sur le montant des droits en cours d’acquisition, la Cour conclut à l’application de l’article 8. C’est dès lors à la lumière de cette disposition qu’elle répond à la question préjudicielle.

Elle rappelle que, dans la réalisation des mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs salariés (prévues à l’article 8), les Etats membres bénéficient d’une large marge d’appréciation, et ce tant pour ce qui est de la détermination du mécanisme que du niveau de protection des droits. Elle rappelle à cet égard que l’obligation de garantie intégrale n’existe pas. C’est un minimum de protection qui est exigé et la Cour renvoie à sa jurisprudence (arrêts ROBINS, 25 janvier 2007, C-278/05, et HOGAN, 25 avril 2013, C-398/11), où elle a jugé qu’une transposition correcte de la Directive implique que le travailleur salarié perçoive, en cas d’insolvabilité de l’employeur, au moins la moitié des prestations de vieillesse découlant des droits à la pension accumulés pour lesquels il a versé des cotisations dans le cadre du régime complémentaire.

Par ailleurs, il est admis dans cette même jurisprudence que, dans d’autres circonstances, les pertes subies pourraient, même si leur pourcentage est différent, être considérées comme manifestement disproportionnées.

En l’espèce, du fait du non-versement des cotisations de retraite pendant la période visée (six mois), les droits à la pension de l’intéressé seraient réduits d’un montant compris entre 5 et 7 euros par mois. La Cour considère qu’il y a lieu, pour le juge de renvoi, de vérifier la chose eu égard aux principes dégagés ci-dessus, mais que l’article 8 n’exige pas une protection qui dépasse celle déjà accordée. La marge d’appréciation de l’Etat ne saurait être affectée dans la mesure où il a satisfait à l’obligation d’assurer le minimum de protection.

Intérêt de la décision

Ce type d’affaire, relatif à l’interprétation de la Directive 2008/94/CE, n’est pas courant.

La cause est l’occasion pour la Cour de Justice de donner l’interprétation de l’article 8 de la Directive 2008/94/CE, étant qu’il n’impose pas que, en cas d’insolvabilité de l’employeur, les retenues sur salaire converties en cotisations de retraite d’un ancien employé, que cet employeur aurait dû verser sur un compte de retraite au bénéfice de celui-ci, soient exclues de la masse de l’insolvabilité.

Il n’y a, eu égard à la jurisprudence de la Cour à propos de la même disposition de la Directive, pas d’infraction, la cour rappelant à plusieurs reprises la « large marge » dont disposent les Etats membres dans la mise en œuvre des principes du droit de l’Union.


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