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Allocations d’insertion et études secondaires à l’étranger

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 novembre 2016, R.G. 2014/AB/1.029

Mis en ligne le mardi 11 avril 2017


Cour du travail de Bruxelles, 2 novembre 2016, R.G. 2014/AB/1.029

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 novembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles confirme la jurisprudence en matière d’allocations d’insertion selon laquelle l’exigence de l’accomplissement de six années d’études secondaires en Belgique avant l’obtention d’un diplôme est une condition qui excède ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi par la réglementation, qui est de vérifier l’existence d’un lien entre le demandeur d’allocations d’insertion et le marché du travail belge : ’existence de ce lien peut être établie par d’autres éléments.

Les faits

Une jeune belge suit sa scolarité primaire et secondaire à Damas chez ses grands-parents (lycée français), tout en demeurant résidente belge. Elle obtient un baccalauréat d’un lycée français (en Syrie), diplôme homologué par la Communauté française, et entame, ensuite, des études dans une université belge, études qui aboutissent à un master. Elle s’inscrit alors comme demandeur d’emploi et débute son stage d’insertion professionnelle. A l’issue de celui-ci, elle sollicite le bénéfice des allocations d’insertion. Il lui est alors demandé la preuve de six années d’études en Belgique. L’ONEm refuse, vu les éléments produits relatifs à la scolarité, d’octroyer les allocations d’insertion, au motif qu’il n’y a pas six années d’études en Belgique.

L’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui l’accueille.

L’ONEm interjette appel.

La décision de la cour

La cour renvoie, en premier lieu, à un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Brux., 25 mai 2016, R.G. 2014/AB/721), qui a tranché une problématique similaire. Il s’agit d’examiner les conditions de l’article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage. Celui-ci prévoit, parmi les conditions d’octroi des allocations d’insertion, notamment celle d’avoir obtenu un titre délivré par une Communauté admettant l’équivalence de diplôme ou un titre donnant accès à l’enseignement supérieur. Une condition supplémentaire est prévue dans ces situations, étant qu’il faut avoir suivi préalablement au moins six années d’études dans un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subventionné par une Communauté.

La cour constate que ces conditions ne sont pas remplies par l’intéressée. Elle renvoie, cependant, à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (arrêts D’HOOP et PRETE), qui a considéré que cette condition – unique – présente un caractère trop général et exclusif en ce qu’elle privilégie indûment un élément qui n’est pas nécessairement représentatif du degré réel et effectif de rattachement entre le demandeur et le marché du travail belge, tout autre élément représentatif étant exclu. La Cour de Justice a conclu que cette condition va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. La jurisprudence de la Cour s’inscrit dans le cadre des exigences du principe de la libre circulation et de l’égalité de traitement.

Certes, en l’espèce, l’intéressée ne peut s’appuyer sur la libre circulation des travailleurs. La cour du travail relève cependant qu’en droit interne, la règle de l’égalité figure dans la Constitution (article 10), de même que celle de non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés (article 11). Tous ceux qui se trouvent dans la même situation doivent dès lors être traités de même manière (sauf si un critère de distinction est appliqué et qu’il est susceptible de justification objective et raisonnable et que la justification est admise eu égard au but et aux effets poursuivis).

La cour reprend, ensuite, les caractéristiques et la finalité des allocations d’insertion, étant de faciliter l’accès pour les jeunes au marché du travail. S’il faut, pour ce, qu’existe un lien entre le demandeur et ce marché, le critère des six années d’études a un caractère objectif. Cependant, cette condition n’est pas requise en cas de diplôme obtenu devant un jury ou de certificats d’études pour les études secondaires. Il y a donc une différence de traitement et celle-ci n’est pas raisonnablement justifiée, les catégories de jeunes ci-dessus étant dans une situation sinon identique, du moins comparable.

La cour en conclut que la condition posée, condition unique et sans nuance, excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

Les éléments dégagés par l’intéressée, étant en l’occurrence sa nationalité, l’homologation de son diplôme par la Communauté française, le fait d’être restée domiciliée en Belgique pendant ses études et d’avoir suivi un master universitaire constituent des éléments permettant d’établir le lien réel requis.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles vient confirmer le jugement rendu par le Tribunal du travail le 15 octobre 2014 (Trib. trav. Bruxelles, 15 octobre 2014, R.G. 13/9989/A – précédemment commenté). Le tribunal avait renvoyé aux principes en matière de discrimination, concluant au caractère discriminatoire de l’article 36, § 1er, 2°, j), de l’arrêté royal, au regard des articles 10 et 11 de la Constitution. La condition relative aux six années d’études en Belgique avait été considérée comme disproportionnée par rapport au but poursuivi. Le tribunal avait relevé, en sus, que le stage d’insertion professionnelle de 310 jours imposé (permettant également des journées de travail) suffisait à démontrer le lien réel entre le demandeur d’allocations d’insertion et le marché du travail belge. Il avait également renvoyé à un intéressant article de J.-C. PARIZEL (J.-C. PARIZEL, « Allocations d’attente et conditions d’admissibilité, J.T.T., 2011, p. 465-468).

Entre-temps, ainsi d’ailleurs que le rappelle la cour du travail dans l’arrêt annoté, la même cour (autrement composée) a eu l’occasion d’examiner la problématique et un arrêt a ainsi été rendu le 25 mai 2016 (C. trav. Bruxelles, 25 mai 2016, R.G. 2014/AB/721), qui a également abouti à la solution que la condition unique à l’exclusion de tout autres de six années d’études pour les jeunes qui reviennent en Belgique après des études secondaires à l’étranger, clôturées par un diplôme attesté équivalent au certificat belge, fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments représentatifs propres à établir l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’allocations et le marché géographique du travail en cause. La condition – ici également qualifiée d’unique et de sans nuance – a été considérée comme excédant ce qui était nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi, l’existence d’un lien réel entre le jeune demandeur d’allocations et le marché du travail pouvant être établie par d’autres éléments.


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