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Octroi à des travailleurs d’abonnements gratuits ou à prix réduit : faut-il payer des cotisations de sécurité sociale ?

Commentaire de Cass., 10 octobre 2016, n° S.15.0118.N

Mis en ligne le mardi 2 mai 2017


Cour de cassation, 10 octobre 2016, n° S.15.0118.N

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 octobre 2016, la Cour de cassation est saisie de la question de l’octroi d’avantages accordés à des travailleurs d’un groupe de presse, les avantages en cause consistant en des abonnements gratuits ou à prix réduit de revues éditées par d’autres sociétés du groupe : pour la Cour de cassation, le caractère rémunératoire est avéré.

Rétroactes

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi formé par une douzaine de sociétés d’un important groupe de presse belge contre un arrêt du 30 avril 2015 de la Cour du travail de Bruxelles. Le litige est survenu suite à une décision de l’O.N.S.S. de soumettre aux cotisations de sécurité sociale l’octroi à des travailleurs d’abonnements gratuits (totalement ou partiellement), avec la circonstance que les revues en cause émanaient de diverses sociétés appartenant au groupe. Les parties ayant été en désaccord lors de l’instruction administrative de l’affaire sur la question de la gratuité totale ou complète, l’O.N.S.S. avait décidé de l’assujettissement pour l’ensemble des avantages ainsi alloués aux membres du personnel.

Les sociétés ont payé les montants réclamés au titre de cotisations, aux fins d’éviter les importants intérêts qui auraient été dus en cas de paiement ultérieur. Elles poursuivent cependant devant les juridictions du travail le remboursement de ces montants.

La procédure a débuté en janvier 2011.

Par jugement du 24 janvier 2014, leur demande a été accueillie, le tribunal considérant que l’octroi d’avantages tels que des abonnements gratuits ou à prix réduit n’était pas soumis aux cotisations de sécurité sociale. L’O.N.S.S. a été condamné au remboursement des montants versés, à majorer des intérêts fixés provisionnellement à 1 euro.

Appel a été interjeté par l’Office et, dans son arrêt – décision a quo – du 30 avril 2015, la cour a dit pour droit que les abonnements en cause sont soumis à cotisations.

Le pourvoi devant la Cour

Les dispositions visées au pourvoi sont essentiellement les articles 14 (§§ 1er et 2), 21, 23 et 43 de la loi du 27 juin 1969, ainsi que 23 (1er et 2e alinéas) de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, ainsi que les articles 1er (1er et 2e alinéas) et 2 (1er alinéa, particulièrement 1° et 3°) de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs. Il s’agit essentiellement d’analyser la notion de rémunération au sens de l’ensemble de ces dispositions.

La référence est en effet faite à la rémunération « à charge de l’employeur », telle que libellée dans la loi sur la protection de la rémunération, à laquelle renvoie celle du 27 juin 1969 en matière de sécurité sociale.

Parmi les autres dispositions visées au moyen du pourvoi, figurent celles du Code des sociétés qui attribuent aux filiales une personnalité juridique distincte.

Le moyen conclut qu’il ne peut donc s’agir d’avantages à charge de l’employeur. Le pourvoi contient de longs développements sur la question et insiste sur le fait que la notion de rémunération visée à l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération est un concept juridique et non économique et que la notion d’employeur au sens de cette disposition doit viser la personne juridique ou physique avec laquelle le travailleur a conclu son contrat de travail.

La décision de la Cour

L’arrêt de la Cour est bref. Il reprend le libellé de l’article 2, 2e alinéa, de la loi sur la protection de la rémunération, qui définit ce qu’il faut entendre par cette notion. Il s’agit (i) du salaire en espèces auquel le travailleur a droit à charge de l‘employeur en raison de son engagement, (ii) du pourboire ou service auquel il a droit en vertu de son engagement ou de l’usage et (iii) des avantages évaluables en argent auxquels il a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement.

Le fait qu’un tiers prend financièrement en charge un avantage accordé au travailleur en raison de son engagement par son employeur (qui ne le prend donc pas en charge lui-même, et ce ni directement ni indirectement) ne change rien au fait qu’il s’agit d’une rémunération au sens de l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération.

Le moyen qui repose sur un autre fondement manque en droit.

Intérêt de la décision

Cet arrêt confirme une jurisprudence constante de la Cour suprême, étant que la circonstance qu’un avantage soit payé par un tiers à la relation de travail n’est pas de nature à retirer à celui-ci son caractère rémunératoire.

Elle souligne dans cette décision que, dès lors qu’il est conféré vu l’engagement du travailleur et eu égard à l’exercice du contrat de travail, l’avantage en cause est rémunératoire. L’identité du « payeur » n’intervient pas dans cette analyse.

L’on pourra à cet égard utilement encore se référer à une question bien spécifique au secteur HORECA, étant les pourboires. Le fait que ceux-ci, réunis dans le « tronc » sectoriel, viennent de paiements des clients ne peut leur enlever leur caractère rémunératoire. Il s’agit ici certes de l’hypothèse particulière du pourcentage de service. Le principe est cependant général, puisqu’il se retrouve régulièrement dans les décisions rendues.

L’octroi de tels avantages ne peut dès lors se faire sans payer les cotisations de sécurité sociale, la circonstance qu’ils soient pris en charge par une autre société, avec une personnalité juridique distincte, étant indifférent.


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