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Erreur d’une institution de sécurité sociale et conditions de non-rétroactivité de la décision de révision

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 février 2017, R.G. 2015/AB/69

Mis en ligne le mardi 29 août 2017


Cour du travail de Bruxelles, 27 février 2017, R.G. 2015/AB/69

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 février 2017, la Cour du travail de Bruxelles fait une stricte application de l’article 17, § 2, de la Charte de l’assuré social, examinant les conditions dans lesquelles une décision de révision peut ou non avoir un effet rétroactif dès lors qu’elle revoit à la baisse les prestations sociales allouées. L’arrêt donne également une définition de la décision au sens de l’article 2, 8°, de la Charte.

Les faits

Suite à un jugement rendu par le Tribunal du travail de Nivelles le 20 janvier 2009, une entreprise d’assurances est condamnée à payer les indemnités et allocations légales consécutives à un accident du travail, le jugement reprenant les périodes d’incapacité temporaire totale et partielle, ainsi que la date de consolidation des lésions et le taux d’I.P.P. (31%).

L’accident date de 1999, soit près de 10 ans auparavant.

En août 2009, l’assureur retransmet un décompte de frais et d’intérêts sur la base d’un capital supérieur à 52.000 euros, qui est payé sur le compte de l’intéressée. Celle-ci demande des explications, via son conseil, et, début janvier 2010, celles-ci sont données par le conseil de l’assureur, un montant de plus de 12.000 euros étant versé au titre d’intérêts. Les parties conviennent de clôturer le dossier.

Dix mois plus tard, soit en octobre 2000, l’assureur écrit à la demanderesse, signalant que l’organisme assureur A.M.I. lui réclame un montant de plus de 56.000 euros. Il fait valoir que ce montant aurait dû être soustrait des arriérés qui avaient été payés à l’intéressée et la décision est prise par l’assureur de faire venir ce montant en déduction de la rente perçue à ce moment. Des excuses sont présentées, l’assureur concluant qu’il devait arrêter le paiement de la rente pendant une durée de 84 mois et qu’à l’issue de celle-ci, la rente « redémarrera(it) » alors normalement.

Ayant perçu une indemnité journalière de sa mutualité de 75 euros environ jusqu’en février 2010 et de 55 euros à partir du mois de mars, l’intéressée se voit alors créditée, en décembre 2010, d’un montant de plus de 4.400 euros de la mutuelle, avec la mention « régularisation dossier accident ». La mutuelle confirme que ce montant ne doit pas être remboursé, s’agissant d’une régularisation du dossier pour la période d’octobre 2001 à janvier 2009, pendant laquelle il a été retenu « de trop » sur les indemnités.

L’intéressée s’informe auprès de sa mutualité en ce qui concerne la modification du taux de l’indemnité journalière et conteste auprès de l’assureur-loi les retenues auxquelles il est procédé, celle-ci précisant encore que l’assureur n’avait pas le droit de suspendre le règlement de ses indemnités.

Une procédure est introduite par l’assureur en demande de remboursement de paiement indu, ce montant étant initialement fixé à 1 euro provisionnel et, ensuite, porté à près de 68.000 euros (principal et intérêts), à majorer des intérêts au taux légal.

Une demande reconventionnelle est introduite pour que la poursuite du paiement soit ordonnée.

Dans son jugement, le tribunal rejette l’application de l’article 17 de la Charte et fait droit à la demande de l’assurance, sous réserve du montant qui est légèrement diminué.

Appel du jugement est interjeté.

L’intéressée considère que le juge aurait dû faire application de la Charte. Elle conteste devoir rembourser le principal et, à titre subsidiaire, introduit une même demande pour ce qui est des intérêts.

La décision de la cour

La cour fonde sa décision sur l’article 17, § 2, de la Charte, qui prévoit qu’en cas de décision entachée d’une erreur de droit ou matérielle et de prise d’une nouvelle décision, celle-ci produira ses effets à la date à laquelle la décision rectifiée aurait dû prendre effet, et ce sans préjudice des règles de prescription. S’il s’agit d’une erreur due à l’institution de sécurité sociale, la nouvelle décision sortira ses effets le premier jour du mois qui suit sa notification dès lors que le droit à la prestation est inférieur à celui qui a été reconnu initialement. Une exception est prévue, étant que ce point de départ ne sera pas appliqué si l’assuré social savait ou devait savoir (avec référence à l’arrêté royal du 31 mai 1933 concernant les déclarations à faire en matière de subventions, indemnités et allocations) qu’il n’avait pas ou plus droit à l’intégralité de la prestation.

L’assureur admet, en l’espèce, qu’il a commis une erreur, étant que le montant de 52.000 euros devait aller non pas à l’intéressée mais à la mutuelle. Cependant, les lettres qu’il a adressées à la victime ne peuvent pour lui valoir comme décisions au sens de l’article 2, 8°, de la Charte, selon lequel il faut entendre par là un acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d’une institution de sécurité sociale et qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou de plusieurs assurés sociaux.

Pour la cour, le calcul auquel il a été procédé est un acte unilatéral émanant de l’assureur-loi, qui ne concerne que l’intéressée et qui fixe et arrête le montant exact que celle-ci peut recevoir. C’est dès lors une décision au sens de l’article 2, 8°.

Renvoi est fait, sur la notion de décision, à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation (C. const., 21 décembre 2005, n° 196/2005 et Cass., 6 mai 2002, Pas., 2002, n° 272).

La cour rappelle également qu’une victime qui se voit opposer une demande de remboursement peut faire appel aux dispositions de la Charte, dont l’article 17, alinéa 2, qui consacre le principe de la non-rétroactivité de la nouvelle décision moins favorable (renvoyant à M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, Indemnisation de l’accident sur le chemin du travail : le paiement des prestations, Kluwer, 2007, p. 201).

Reste un élément à vérifier, étant de déterminer si l’intéressée savait ou aurait dû savoir qu’elle n’avait pas droit à l’intégralité de la prestation. Rappelant que l’affaire a duré plus de 10 ans et que l’assureur admet lui-même la complexité du dossier, complexité non seulement due à la situation créée par lui (émission de fiches fiscales positives, négatives, erronées, etc.) mais, également, aux textes applicables.

Pour la cour, l’intéressée ne pouvait se rendre compte de ce qu’elle n’avait pas droit au montant en cause.

La cour réforme dès lors le jugement et conclut qu’elle n’est redevable d’aucune somme d’argent à l’égard de l’assureur.

Intérêt de la décision

Rendu en matière d’accident du travail, cet arrêt contient un enseignement transposable à toutes les matières, étant qu’il s’agit d’une stricte application des dispositions de la Charte en matière de révision d’une décision initiale contenant une erreur de droit. Les principes sont appliqués, la cour rencontrant successivement les conditions exigées pour qu’il n’y ait pas rétroactivité, étant que (i) il faut une erreur de droit de l’institution (ii), il faut que la prestation allouée en fin de compte soit inférieure à la prestation initiale et (iii) il faut que l’intéressé n’ait pas été en mesure de savoir qu’il n’avait pas (ou plus) droit à la prestation elle-même.

L’arrêt renvoie encore très utilement à l’enseignement de la Cour constitutionnelle ainsi qu’à celui de la Cour de cassation sur les conditions d’application de l’article 17.


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