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Allocations de chômage : condition de la limitation de la récupération aux 150 dernières allocations

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 31 octobre 2016, R.G. 2015/AL/179

Mis en ligne le lundi 16 octobre 2017


Cour du travail de Liège, division Liège, 31 octobre 2016, R.G. 2015/AL/179

Terra Laboris

Par arrêt du 31 octobre 2016, la Cour du travail de Liège (division Liège) donne sa définition de la bonne foi au sens de l’article 169, alinéa 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 : c’est l’absence de conscience du caractère indu du paiement.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage a déclaré vivre avec sa mère et sa sœur mineure, qui n’ont pas d’activité professionnelle et ne perçoivent pas de revenus de remplacement. Il résulte de l’instruction du dossier que l’intéressé cohabiterait avec sa mère et que celle-ci bénéficie du revenu d’intégration au taux cohabitant, son fils percevant des allocations de chômage, et ce depuis février 2012.

L’ONEm prend en janvier 2014 la décision de l’exclure des allocations au taux travailleur ayant charge de famille, sa situation étant celle de cohabitant. Une exclusion de cinq semaines est prévue, ainsi qu’une récupération.

Il lui est fait grief de ne pas avoir déclaré sa situation familiale réelle et de ne pas justifier de son statut de chef de ménage.

Pour la hauteur de la sanction, sont pris en compte la durée de la période infractionnelle (16 mois), ainsi que le fait que l’intéressé n’aurait transmis aucun document probant requis (bail, factures, etc.). L’indu est de l’ordre de 10.500 euros.

Dans son recours devant le tribunal, l’intéressé demande la limitation de la récupération aux six derniers mois ainsi que la modulation de la sanction (suppression ou sursis).

Le tribunal du travail déclare le recours non fondé, au motif que les déclarations ont été faites par C1 non une fois mais trois.

L’intéressé interjette appel.

L’arrêt du 11 janvier 2016

Dans un arrêt du 11 janvier 2016, ordonnant la réouverture des débats, la cour a posé la question de savoir si le revenu d’intégration doit être considéré comme un revenu au sens de la réglementation chômage. L’ONEm a répondu sur cette question que le revenu d’intégration sociale n’est pas considéré comme un revenu, mais que l’article 59, alinéa 3, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 dispose qu’une personne à charge du travailleur chef de ménage ne peut pas disposer du minimum de moyens d’existence ni d’une aide sociale équivalente.

L’arrêt du 31 octobre 2016

Pour la cour, la question est de savoir si l’intéressé pouvait être considéré comme ayant sa mère et sa sœur à sa charge et, dès lors, bénéficier des allocations au taux de travailleur ayant charge de famille.

La solution est à la fois dans l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et dans l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. L’article 110, § 1er, de l’arrêté royal définit le travailleur ayant charge de famille. Une des hypothèses visées (§ 1er, 2°, c)) concerne celui qui ne cohabite pas avec un conjoint mais exclusivement avec un ou plusieurs parents ou alliés jusqu’au troisième degré inclus, qui ne disposent ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement.

La cour puise alors un autre élément d’appréciation à l’article 59 de l’arrêté ministériel, qui reprend les conditions requises pour qu’une personne soit considérée comme à charge financièrement. Ces conditions doivent être simultanément remplies. Outre l’obligation de déclaration et l’exigence que cette personne ne soit pas déjà à charge financièrement d’un autre chômeur avec lequel elle cohabite, celle-ci ne peut pas disposer du minimum de moyens d’existence ni recevoir d’aide financière en remplacement de celui-ci dans le cadre de la législation relative aux prestations d’aide sociale ni, comme enfant, être à charge d’un parent à qui s’impose une obligation d’entretien.

Pour la cour, la mère bénéficiant du revenu d’intégration, l’intéressé ne rentre pas dans la définition et il est sans intérêt de rechercher l’incidence qu’aurait sur le taux des allocations la présence de la sœur dans le ménage.

Il y a dès lors lieu à récupération.

La cour se livre ici à des développements très utiles sur la notion de bonne foi au sens de l’article 169, alinéa 2, de l’arrêté royal. Elle relève que l’appréciation de celle-ci est variable en doctrine et en jurisprudence. La cour renvoie quant à elle à la position de Monsieur H. MORMONT (H. MORMONT, « La révision des décisions et la récupération des allocations », in La réglementation du chômage : 20 ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, 2011, pp. 681 et ss.), selon laquelle le lien entre la conduite ou l’état d’esprit du chômeur et l’indu peut s’apprécier à plusieurs niveaux et en plusieurs étapes. La cour les résume, étant qu’il faut d’abord vérifier si le chômeur est à l’origine du paiement indu et si, ensuite, lors de ce paiement, il a eu ou s’il devait avoir connaissance du caractère de l’indu (avec référence aux critères de la Charte de l’assuré social en son article 17, alinéa 3).

L’auteur poursuit que ces deux niveaux d’appréciation ne coïncident pas nécessairement et qu’il faut rechercher lequel peut se rapprocher le plus de la vérification de la bonne foi. Rappelant d’autres opinions en doctrine, il penche (avec un autre auteur qui fait autorité, étant J.-F. FUNCK) pour l’absence de conscience du caractère indu du paiement et non pour une analyse fondée sur les éventuels manquements du chômeur en amont. Dans cette analyse, il y a bien sûr lieu d’écarter toutes les hypothèses de manœuvres frauduleuses, nécessairement délibérées, où le chômeur aura eu conscience du caractère indu.

La cour du travail suit dès lors cette conception, considérant que la bonne foi est constituée de l’absence légitime de conscience du caractère indu du paiement, sans qu’il y ait lieu de rechercher un cas de force majeure.

La cour examine les éléments de fait et rappelle qu’elle a ordonné la réouverture des débats pour clarifier la question de l’incidence du revenu d’intégration perçu par la mère. L’ONEm ayant lui-même fait valoir que ce revenu d’intégration sociale n’est pas « en principe » considéré comme un revenu, la cour conclut que l’intéressé a pu se tromper sans intention frauduleuse. Il ressort de ce constat – ainsi que du fait que l’intéressé s’était vu reconnaître une incapacité de travail de 10% et ensuite de 20%, avec difficultés de contacts et problèmes psychiatriques – qu’il pouvait légitimement ignorer qu’il n’avait pas droit au taux qui lui a été octroyé.

La récupération est dès lors limitée aux 150 derniers jours d’indemnisation.

Quant à la sanction, elle est assortie d’un sursis total.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la cour du travail revient sur la notion de bonne foi, concept spécifique à la réglementation chômage, puisque celle-ci connaît trois situations, étant d’une part l’indu consécutif à des manœuvres frauduleuses ou déclarations inexactes, la notion de bonne foi et une situation « entre deux », où il n’y a pas de dol dans le chef du chômeur, mais où celui-ci ne peut faire admettre la limitation de la récupération aux 150 derniers jours.

L’on note qu’en l’espèce, s’appuyant sur la doctrine de H. MORMONT et de J.-F. FUNCK, la cour retient que le concept doit se définir comme étant l’absence de conscience du caractère indu du paiement. Les éventuels manquements du chômeur ne constituent pas un angle d’approche adéquat.


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