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Un jeune peut-il renoncer à des allocations d’insertion et bénéficier du revenu d’intégration pour continuer ses études ?

Commentaire de Cass., 19 juin 2017, n° S.16.0009.F

Mis en ligne le lundi 11 décembre 2017


Cour de cassation, 19 juin 2017, n° S.16.0009.F

Terra Laboris

Par arrêt du 19 juin 2017, la Cour de cassation se prononce sur la délicate question des études (reprises en-dehors des conditions de l’article 93 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991) : l’étudiant est ainsi indisponible sur le marché du travail et n’a pas la possibilité de faire valoir ses droits dans le secteur chômage. Il satisfait dès lors à la condition de l’article 3, 6°, de la loi du 26 mai 2002.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 18 novembre 2015 (R.G. 2014/AB/244). Elle va rejeter celui-ci.

Les faits

Un étudiant vivant avec sa mère était aidé par le C.P.A.S. Il suivait par ailleurs l’enseignement général technique de qualification (option automobile). Il ne termina pas sa sixième année.

Il signa un contrat d’intégration sociale en janvier 2013 et perçut des allocations d’insertion ainsi qu’un revenu d’intégration cohabitant partiel (en complément). Souhaitant terminer ses études secondaires en septembre 2013, il s’inscrivit à l’athénée royal à Braine-l’Alleud (institution accueillant des élèves plus âgés en décrochage scolaire). Le C.P.A.S. décida alors de supprimer le revenu d’intégration au motif que l’intéressé aurait renoncé à des allocations d’insertion.

Suite au recours qu’il introduisit devant le Tribunal du travail de Bruxelles, le C.P.A.S. fut condamné à verser le revenu d’intégration au taux cohabitant. Le jugement est exécutoire.

Appel a été interjeté mais, quelques mois plus tard, le C.P.A.S. a pris une décision de suppression du revenu d’intégration, décision qui fut répétée ultérieurement pour les mois suivants.

Dans le cadre de l’appel interjeté devant la Cour du travail de Bruxelles, les conditions d’octroi visées à l’article 3 de la loi du 26 mai 2002 furent examinées et, parmi celles-ci, essentiellement la raison d’équité justifiant la dispense de disposition au travail. La cour a relevé que, dans la doctrine et en jurisprudence, cette notion était généralement vérifiée sur la base des trois questions suivantes : (i) l’étudiant démontre-t-il des formes d’aptitude et d’assiduité aux études, (ii) la formation est-elle de nature à lui ouvrir le marché du travail ou à faciliter son insertion dans la vie active et (iii) est-il disposé à effectuer un travail dans les limites de ce qui est compatible avec celle-ci ?

Statuant sur les éléments du cas d’espèce, la cour retint que le fait de vouloir terminer des études techniques secondaires constitue un projet prioritaire et était donc une raison d’équité au sens de la disposition ci-dessus. En effet, un jeune sans diplôme (qui en sus ne présentait pas un casier judiciaire vierge et dont la cour relevait encore qu’il était unilingue et d’origine étrangère) présente un handicap majeur dans la recherche d’un emploi. La cour a dès lors estimé justifié dans son chef de ne pas « s’accrocher » à son droit récemment acquis aux allocations d’insertion et préférer terminer ses études, relevant ici également que les allocations d’insertion étaient inférieures au revenu d’intégration au taux cohabitant.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation rappelle les conditions d’octroi en cause, dans l’examen du cas. Parmi celles-ci, qui figurent à l’article 3 de la loi du 26 mai 2002 sur le droit à l’intégration sociale, elle retient les 5° et 6°, étant que, pour pouvoir bénéficier du droit à l’intégration sociale, la personne doit, simultanément et sans préjudice des conditions spécifiques prévues par la loi, être disposée à travailler, à moins que des raisons de santé ou d’équité ne l’en empêchent, et faire valoir ses droits aux prestations dont elle peut bénéficier en vertu de la législation sociale belge et étrangère.

Pour la Cour, dès lors que des études empêchent l’assuré social d’être disposé à travailler au sens de l’article 3, 5°, celles-ci sont susceptibles de constituer une raison d’équité au sens de ces dispositions, et ce même si elles l’empêchent simultanément d’être disponible pour le marché de l’emploi au sens des articles 56 à 59decies de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, dès qu’il n’est pas satisfait aux conditions prévues par l’article 93 du même arrêté pour obtenir la dispense de la condition de disponibilité dans le cadre du régime des allocations de chômage.

La Cour conclut que, lorsque les études constituent également, dans ces circonstances, une raison d’équité, l’assuré social qui poursuit celles-ci n’a pas de droit aux allocations de chômage à faire valoir au sens de l’article 3, 6°, de la loi du 26 mai 2002 (qui vise l’obligation pour lui de faire valoir ses droits aux prestations dont il peut bénéficier en vertu de la législation sociale belge ou étrangère).

Le pourvoi est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

Cet arrêt s’articule sur deux axes essentiels, vu la possibilité pour l’assuré social de faire valoir ses droits dans le cadre du régime des allocations de chômage et dans celui – résiduaire – du droit à l’intégration sociale (loi du 26 mai 2002).

Le caractère résiduaire de ce droit impose comme condition d’octroi que le demandeur ait fait valoir ses droits aux prestations dont il peut bénéficier par ailleurs et, en l’occurrence, en matière de chômage.

La question se posait dès lors de savoir si l’intéressé avait pu renoncer au bénéfice de ses allocations d’insertion pour reprendre des études et avoir, pendant celles-ci, le revenu d’intégration sociale tout en étant dispensé de la condition de disponibilité au travail qui figure à l’article 3, 5°, de la loi du 26 mai 2002.

Pour la Cour de cassation, lorsque le bénéficiaire d’allocations ne peut pas bénéficier de la dispense visée à l’article 93 de l’arrêté royal (dispense double, relative aux obligations de disponibilité et d’inscription), situation qui lui permettrait d’obtenir le bénéfice des allocations de chômage pendant la durée des études poursuivies, la question peut être examinée à partir de la loi du 26 mai 2002, malgré son caractère résiduaire, étant qu’il peut être constaté que des études empêchent l’assuré social d’être disposé à travailler. Dans cette situation, la loi contient une exception à l’obligation de disposition au travail, étant que, parmi les motifs d’équité (auxquels l’on ajoute des motifs de santé – non visés ici), figure la poursuite d’études, dont les juridictions du travail peuvent apprécier l’adéquation par rapport aux autres conditions du droit à l’intégration sociale.

Ne pouvant se fonder sur la dispense de l’article 93 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, l’étudiant – qui se trouve ainsi indisponible sur le marché du travail – n’a pas la possibilité de se voir octroyer les allocations de chômage. La situation ouvre cependant le droit à un revenu d’intégration (avec dispense de la condition de disposition au travail pour motif d’équité) vu qu’aucun droit ne peut être revendiqué dans le secteur contributif.


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