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Congé parental : conditions du retour au travail

Commentaire de C.J.U.E., 7 septembre 2017, Aff. n° C-174/16 (H. c/ LAND BERLIN)

Mis en ligne le jeudi 25 janvier 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 7 septembre 2017, Aff. n° C-174/16 (H. c/ LAND BERLIN)

Terra Laboris

Dans un important arrêt rendu le 7 septembre 2017 sur la portée de l’accord-cadre révisé sur le congé parental, la Cour de Justice conclut à la non-conformité de la législation allemande avec la clause 5, points 1 et 2, de cet accord-cadre, en ce qu’ils imposent la fin de plein droit d’un stage sans possibilité de prolongation, en cas d’absence résultant d’un congé parental.

Les faits

Une fonctionnaire du Land de Berlin, occupant le poste de conseillère, fait l’objet d’une promotion au terme d’une procédure de sélection. Elle devient fonctionnaire stagiaire dans une classe salariale supérieure. Elle assume, dans le cadre de celle-ci, des tâches de direction. Etant cependant en congé de maladie pour raisons liées à sa grossesse, et ensuite en congé de maternité, l’intéressée n’occupe pas ces fonctions. A l’issue de son congé de maternité, elle prendra un mois de congé annuel et bénéficiera d’un congé parental pendant près de trois ans.

Le poste auquel elle avait été affectée fait entre-temps l’objet d’un nouveau concours et est confié à un autre titulaire. L’intéressée est – en cours de congé parental – informée qu’elle n’a pas accompli avec succès le stage de deux ans et que son statut de fonctionnaire stagiaire dans la nouvelle catégorie salariale avait pris fin. Il lui est précisé qu’elle est réintégrée dans son poste précédent.

Elle introduit une réclamation et saisit le Verwaltungsgericht (tribunal administratif) de Berlin. Elle vise une infraction aux Directives 2006/54 et 2010/18 (directives concernant l’accord-cadre sur le congé parental).

La question se pose devant le tribunal administratif de la compatibilité de la législation allemande avec les principes de l’accord-cadre. Pour le tribunal administratif, la solution la plus indiquée serait d’imposer une prolongation du stage à raison de la durée non encore écoulée au début du congé parental.

Des questions préjudicielles (5) sont en conséquence posées à la Cour de Justice.

La décision de la Cour

Celle-ci rappelle en considérations liminaires que les objectifs de la directive sont de permettre aux parents qui travaillent de mieux concilier leur vie professionnelle, leur vie privée et leur vie de famille, de même que d’œuvrer à l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans les conditions de travail dans l’Union européenne. Ces principes (égalité entre hommes et femmes et droit à un congé parental) sont consacrés dans la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne. Il est explicitement prévu dans celle-ci que, afin de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, toute personne a droit, notamment, à un congé parental à la suite de la naissance ou de l’adoption d’un enfant.

La Cour rappelle encore que l’accord-cadre a vocation à s’appliquer également aux fonctionnaires. Sa clause 5, point 1, donne aux nouveaux parents l’assurance de retrouver leur poste de travail ou – en cas d’impossibilité – un travail équivalent ou similaire à l’issue du congé parental. La garantie vise le retour au poste de travail aux mêmes conditions que celles qui existaient au moment où le travailleur a entamé son congé parental. Il s’agit par ailleurs (clause 5, point 2) d’éviter la perte ou la réduction de droits dérivés de la relation de travail, acquis ou en cours d’acquisition. Si la question des droits et obligations dérivés de la relation de travail pendant la durée du congé parental lui-même est définie par les Etats membres (et/ou les partenaires sociaux), il y a lieu de respecter les prescriptions minimales fixées par l’accord-cadre, et notamment les points 1 et 2 de la clause 5 ci-dessus.

La garantie de retrouver le poste de travail et le maintien des droits acquis ou en cours d’acquisition doit exister même lorsque le congé parental excède la période minimale de quatre mois visée à la clause 2 de l’accord-cadre.

En ce qui concerne les notions de « poste de travail » et de « droits acquis ou en cours d’acquisition », il faut, pour la Cour, leur donner une interprétation autonome et uniforme dans toute l’Union. Celle-ci doit être recherchée en tenant compte du contexte de ces dispositions et de l’objectif poursuivi par la réglementation. S’agissant d’un droit fondamental, la disposition ne peut être interprétée de manière restrictive. Celle-ci aurait en effet pour conséquence de dissuader les travailleurs concernés de prendre leur congé parental, ce qui aboutirait à contrecarrer les objectifs poursuivis.

La notion de « droits acquis ou en cours d’acquisition » recouvre l’ensemble des droits et des avantages, en espèces ou en nature, dérivés directement ou indirectement de la relation de travail, auxquels le travailleur peut prétendre à l’égard de l’employeur à la date du début du congé parental (considérant 51 – avec renvoi à l’arrêt MEERTS du 26 octobre 2009, Aff. n° C-116/08). La notion inclut les droits et avantages qui établissent les conditions d’accès à un niveau supérieur de la hiérarchie professionnelle.

En conclusion sur ce point, la Cour estime que l’accord-cadre s’oppose à la réglementation allemande, qui est de nature à dissuader le travailleur dans la situation de l’intéressée de prendre la décision d’entamer un congé parental. Il y a atteinte à l’effectivité du droit.

La Cour conclut, sur la question de la compatibilité de la disposition nationale avec l’accord-cadre, qu’il y a des atteintes portées aux droits en cause et que celles-ci ne peuvent être justifiées par l’objectif poursuivi par le stage, qui consiste à permettre l’évaluation de l’aptitude à occuper le poste de direction à pourvoir.

La Cour groupe, ensuite, la réponse à donner aux autres questions, qui portent essentiellement sur les conséquences découlant du droit de l’Union vu l’incompatibilité constatée. Elle rappelle ici que, dans sa jurisprudence constante, elle a fait valoir que, dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent comme étant (sur le plan du contenu) inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers peuvent les invoquer à l’encontre de l’Etat membre, notamment en leur qualité d’employeur.

Il y a en l’espèce un contenu inconditionnel et suffisamment précis, puisqu’il s’agit du droit pour le travailleur de retrouver son poste de travail ou – en cas d’impossibilité – un poste équivalent ou similaire, ainsi que de conserver les droits déjà acquis ou en cours d’acquisition. La question de savoir s’il y avait impossibilité pour l’intéressée de retrouver son poste de travail doit être vérifiée par le juge national. La charge de la preuve incombera à l’employeur, qui devra établir les raisons objectives pour lesquelles il n’a pas pu faire en sorte que l’intéressée retrouve le poste de direction auquel elle était affectée en qualité de fonctionnaire stagiaire au moment où le congé parental a été entamé. De même, il appartient au juge de renvoi de vérifier la question de la poursuite du stage dans le respect des exigences découlant de la clause 5, point 2.

Intérêt de la décision

La Cour de Justice renvoie, dans cet arrêt, aux fondamentaux sur la question. L’objectif poursuivi par l’accord-cadre s’inscrit dans un souhait d’équilibre entre vie privée et vie familiale et, par ailleurs, porte sur le principe d’égalité entre hommes et femmes. La Cour a rappelé que ces garanties figurent dans la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne (articles 23 et 33, § 2). Le droit au congé parental figure dans un titre intitulé « solidarité » et les objectifs réaffirmés par la Cour dans sa jurisprudence sont liés à l’amélioration des conditions de vie et de travail et à l’existence d’une protection sociale adéquate des travailleurs, objectif qui figure au rang de ceux poursuivis par la politique sociale de l’Union.

La Cour fait également un rappel de divers arrêts importants dans sa jurisprudence (dont les arrêts MEERTS, 22 octobre 2009, Aff. n° C-116/08, et LYRECO BELGIUM, 27 février 2014, Aff. n° C-588/12).


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