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Notion de résidence en droit européen

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 août 2017, R.G. 2015/AB/356

Mis en ligne le lundi 29 janvier 2018


Cour du travail de Bruxelles, 9 août 2017, R.G. 2015/AB/356

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 août 2017, la Cour du travail de Bruxelles considère qu’il y a lieu – même si les critères retenus par la Cour de Justice pour déterminer la notion de résidence en matière de sécurité sociale ne sont pas applicables en revenu d’intégration sociale – de se référer à ceux-ci, dans la mesure où les règles de droit européen sont utiles à la solution du litige.

Les faits

Un jeune, resté domicilié chez son père à Bruxelles, suit une scolarité en France et a conclu un projet individualisé d’intégration sociale avec le C.P.A.S. jusqu’à la fin septembre 2015, ce projet prévoyant sa disposition au travail pendant les vacances, disposition qu’il confirme par des jobs d’étudiant.

Il suit parallèlement des études de plein exercice dans un lycée français et les réussit, obtenant son baccalauréat.

Le C.P.A.S. décide entre-temps de la suppression du revenu d’intégration (ainsi que de la carte santé), décision qui donne lieu à un recours devant le tribunal du travail, la question posée étant celle de la résidence du jeune. Un jugement est rendu le 19 décembre 2014, dans lequel le tribunal demande la production d’éléments permettant de confirmer le suivi scolaire, ainsi que les revenus, vu notamment l’occupation professionnelle occasionnelle.

Suite à ce premier jugement, le tribunal confirme le droit de l’intéressé au revenu d’intégration sociale au taux cohabitant. Le C.P.A.S. interjette appel

La décision de la cour

La cour du travail est ainsi amenée à statuer sur la question posée au tribunal, à laquelle s’ajoute cependant la circonstance qu’au motif d’un défaut de collaboration de l’intéressé, le C.P.A.S. a supprimé le revenu d’intégration à dater d’octobre 2015.

Il a refusé en outre la poursuite du soutien à un projet d’études en France, le R.I.S. étant soumis à une résidence sur le territoire de la commune de Bruxelles et à une recherche active d’emploi.

Ces conditions n’étant pas réunies, pour le centre, celui-ci décide en fin de compte de supprimer totalement le R.I.S.

La cour relève en premier lieu qu’aucun recours n’a été introduit contre les dernières décisions du C.P.A.S. (l’une d’entre elles étant définitive et les autres étant susceptibles de faire l’objet d’autres procédures).

En ce qui concerne le fond du litige, la cour reprend dans un premier temps les conditions auxquelles le R.I.S. peut être accordé à des étudiants, rappelant qu’il n’y a pas de droit automatique pour tout jeune à poursuivre des études à charge du C.P.A.S. La jurisprudence a admis que la condition de poursuite d’études est triple, étant qu’il faut vérifier (i) l’aptitude et l’assiduité de l’étudiant, (ii) la nature de la formation, étant de savoir si elle est susceptible d’ouvrir ou de faciliter l’insertion de l’intéressé dans la vie active, et (iii) s’il y a une disposition au travail compatible avec la poursuite de ses études.

Sur la question de la résidence, la cour se tourne vers le droit européen.

En l’espèce, la situation présente un lien avec deux Etats membres et, en vue de la détermination de la résidence, elle relève que, même si les critères dégagés par la Cour de Justice dans les affaires de sécurité sociale ne sont pas directement applicables, il est utile de s’en inspirer. C’est dès lors le critère habituel de la Cour dans les affaires en matière des règlements de coordination qui est examiné. Si la situation juridique d’une personne est susceptible d’être rattachée à la législation de plusieurs Etats membres, la notion d’Etat membre dans laquelle l’intéressée réside vise celui dans lequel elle réside habituellement et dans lequel se trouve également le centre habituel de ses intérêts.

La cour renvoie au Règlement n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (Règlement d’application du Règlement n° 883/2004), qui, en son article 11, § 1er, règle la question. Le centre d’intérêt de la personne concernée est déterminé en procédant à une évaluation globale de toutes les informations disponibles concernant les faits pertinents, et sont notamment cités la nature et les spécificités de toute activité exercée, la situation familiale et le lien de famille, l’exercice d’activités non lucratives, pour des étudiants la source de leurs revenus, la situation de l’intéressé en matière de logement, et notamment le caractère permanent de celui-ci, et, enfin, la détermination de l’Etat où la personne paie ses impôts. Il faut également tenir compte de la volonté de la personne telle qu’elle ressort des éléments du cas d’espèce, à savoir les raisons qui l’ont amenée à se déplacer.

C’est dès lors une notion de fait et, en l’espèce, lorsque le C.P.A.S. a conclu le projet individualisé d’intégration sociale, il était au courant de la poursuite des études en France, puisque cet élément est intervenu comme critère du P.I.I.S. Compte tenu du maintien de la résidence en Belgique, il n’y a dès lors pas eu à l’époque d’exportation du R.I.S., comme le soutient le C.P.A.S.

La cour passe en revue les éléments ci-dessus, étant le logement (chambre d’étudiant), les sources de revenus, le fait que le jeune est resté personne à charge de son père en matière de soins de santé, ainsi que la présence de sa famille en Belgique, pays où il exerçait des activités lucratives occasionnelles. Le centre des intérêts de l’étudiant a toujours été la Belgique, de telle sorte que sa résidence doit être fixée dans ce pays. Il n’y a dès lors pas eu de changement de résidence.

Reste cependant une dernière question, qui présente aussi un intérêt sur le plan du droit européen, étant que l’étudiant a perçu une bourse d’études allouée par les autorités françaises pendant une partie de la période et que le C.P.A.S. demande que celle-ci vienne en déduction du R.I.S.

La cour rappelle ici que, s’il s’était agi d’une bourse d’études belge, elle aurait été exonérée (article 22, g), de l’arrêté royal du 11 juillet 2002).

Renvoyant à la jurisprudence D’HOOP (C.J.U.E., 11 juillet 2002, D’HOOP, Aff. n° C-224/98), la cour rappelle que le principe de la citoyenneté européenne fait obstacle à ce que l’étudiant belge qui a conservé sa résidence en Belgique et qui bénéficie du revenu d’intégration et poursuit dans un autre Etat (la France) des études où il bénéficie d’une bourse, voie le montant de son revenu d’intégration réduit à concurrence de celle-ci, ce qui n’aurait pas été le cas d’une bourse belge.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est rendu en matière de revenu d’intégration, matière qui n’est pas couverte par les règlements de coordination européens.

La cour innove, à notre sens, en considérant que l’on peut – même si les critères de la jurisprudence de la Cour de Justice rendue en matière de sécurité sociale ne sont pas transposables en revenu d’intégration sociale – s’inspirer de ceux-ci, qui sont utiles à la détermination des droits du citoyen européen.

En l’espèce, celui-ci pourrait être soumis à la législation de deux Etats membres et, aux fins de déterminer la loi applicable, il y a lieu de connaître la résidence. La notion de résidence effective, en revenu d’intégration, est ainsi comprise par la cour comme la notion européenne et uniforme donnée en matière de sécurité sociale, à savoir le lieu où se situe le centre d’intérêt de la personne concernée. Les critères essentiels à dégager ont été listés par la cour dans l’arrêt et sont résumés ci-dessus.


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