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Pension belge et étrangère : condition de récupération d’indu

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 20 octobre 2017, R.G. 15/3.230/A

Mis en ligne le vendredi 30 mars 2018


Tribunal du travail du Hainaut, division La Louvière, 20 octobre 2017, R.G. 15/3.230/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 20 octobre 2017, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) rappelle que le délai de 6 mois prévu à l’article 21, § 3, de la loi du 13 juin 1966 est un point de départ spécial du délai de prescription et que, s’il est respecté, il ne fait pas obstacle à la récupération de la totalité de l’indu.

Les faits

Une salariée bénéficie d’une pension de survie à partir du 1er mars 2011, d’un montant de l’ordre de 2.000 euros bruts par mois. Elle perçoit, avec effet au 1er mai 2014, deux pensions de retraite françaises, d’un montant global de 1.375 euros. La pension de survie belge est dès lors ramenée à un montant de l’ordre de 910 euros.

A la même époque, un dossier de pension de retraite en Belgique est instruit par l’O.N.P., notamment eu égard à la pension étrangère. Un indu lui est notifié en août 2015, d’un montant d’environ 16.500 euros. A l’époque, l’intéressée perçoit en net, pour les mois d’août à octobre, un montant de 785 euros, montant ramené, après retenue opérée par l’O.N.P., à 567 euros à partir du mois de novembre. Elle conteste et l’indu et les retenues.

Position des parties devant le tribunal

Pour la demanderesse, la récupération doit être limitée aux 6 mois précédant la réception par l’O.N.P. de la notification de l’organisme français, et ce en application de l’article 21, § 3, de la loi du 13 juin 1966 relative à la pension de retraite et de survie des ouvriers, des employés, des marins naviguant sous pavillon belge, des ouvriers mineurs et des assurés libres.

Quant à la retenue, elle droit être limitée à 10% de la pension de retraite, à savoir un montant de 95 euros, et non les 215 euros ponctionnés par le SPF. Elle demande également restitution de retenues indues pour 3 mois et conteste dès lors la régularité de celles-ci eu égard à l’article 1410, § 4, du Code judiciaire.

Quant au SPF, il déclare avoir été informé par l’organisme français le 27 mai 2015 et avoir procédé à la révision d’office dans les 6 mois. La réduction de la pension de survie pour les 3 mois litigieux (août à octobre 2015) n’est pas le fruit d’une retenue mais de l’application immédiate de la décision de révision. Quant à la base de la retenue, il y a lieu de prendre en compte non seulement la pension belge, mais également la pension française.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend en premier lieu l’article 21, § 3, de la loi du 13 juin ci-dessus. L’action en répétition de prestations payées indûment se prescrit par 6 mois en cette matière et le délai commence à courir à la date à laquelle le paiement est effectué. Si l’origine de l’indu réside dans l’octroi ou la majoration d’un avantage octroyé par un pays étranger ou dans un autre régime, le délai de 6 mois commence à courir à la date de la décision octroyant ou majorant ceux-ci.

Ceci ne signifie pas que l’indu ne peut porter que sur les 6 mois précédant la notification de la décision française. La Cour de cassation a en effet rendu plusieurs arrêts (le tribunal puisant dans l’avis de l’Auditorat du travail sur cette question), dont un en date du 21 novembre 2005 (Cass., 21 novembre 2005, n° S.05.0076.N). Selon la Cour suprême, c’est le délai de prescription qui prend cours à compter de la date envisagée, étant le point de départ de celle-ci. Il s’agit d’un point de départ spécial et le législateur a, en fixant celui-ci, voulu éviter que l’action en répétition des prestations indues ne se prescrive avant que l’organisme payeur ait pu constater le caractère indu des prestations. Or, dans l’hypothèse du paiement par une institution étrangère, ceci ne peut se faire qu’à la suite de la notification de la décision. Il en découle pour la Cour de cassation que le point de départ spécial du délai de prescription n’a été prévu que pour les paiements indus antérieurs à la notification. Cette règle générale reste pour la Cour suprême applicable aux paiements indus ultérieurs.

Il résulte de cet enseignement, pour le tribunal, que le SPF dispose d’un délai de 6 mois pour agir en répétition d’un indu de pension lorsque celui-ci trouve son origine dans l’octroi d’une pension étrangère. Si ce délai est respecté, c’est bien l’ensemble des prestations indues qui peut être récupéré. En l’espèce, il n’y a pas prescription et la totalité de l’indu doit être remboursée.

En ce qui concerne les retenues, après avoir constaté que les montants relatifs aux mensualités d’août à octobre constituent bien des montants nouveaux, à savoir ceux dus vu la limitation de la pension belge du fait de la perception de la pension étrangère, le tribunal constate qu’il y a non-respect de l’article 1410, § 4, du Code judiciaire, pour ce qui est des retenues ultérieures. Pour l’intéressée, ces retenues ne pouvaient intervenir dans la mesure où l’indu n’était pas exigible vu ses contestations, le SPF soutenant de son côté que le recours en justice n’est pas suspensif.

Pour le tribunal, il faut distinguer deux choses, étant d’une part les effets d’une décision de révision d’office et la récupération de l’indu qui en découle et, d’autre part, les retenues d’office pratiquées sur des prestations versées. Le recours judiciaire contre une décision de révision d’office n’est effectivement pas suspensif ; il ne permet pas à l’assuré social d’exiger l’exécution de la décision précédente, qui fait l’objet de la révision.

En cas de recours judiciaire contre des retenues pratiquées d’office sur la base de l’article 1410, § 4, l’indu peut être récupéré à concurrence de 10% (récupération d’office). Le calcul de ces 10% se fait en prenant en compte le cas échéant la prestation correspondante étrangère.

Le tribunal souligne cependant que les retenues ne peuvent être pratiquées que sur la base d’une créance liquide et exigible, une créance valablement contestée n’ayant pas le caractère requis en ce qui concerne son exigibilité. La créance ne peut servir, en cas de recours judiciaire, de fondement à des retenues d’office. Les retenues pratiquées sont dès lors irrégulières et doivent être restituées.

Intérêt de la décision

Le point de droit essentiel tranché par le tribunal du travail, dans ce dossier de pension, consiste dans le délai de 6 mois visé à l’article 21, § 3, de la loi du 13 juin 1966, dont le tribunal rappelle qu’il a amené la Cour de cassation à statuer à non moins de trois reprises : ce délai est un point de départ spécial et ne constitue pas la durée sur laquelle peut porter l’indu à restituer. C’est la totalité de l’indu qui est visée, dès lors que le SPF a respecté le délai de 6 mois pour agir en répétition d’un indu de pension qui trouve son origine dans l’octroi d’une pension étrangère.

Le jugement rappelle également très judicieusement les conditions d’application de l’article 1410, § 4, du Code judiciaire, étant que les retenues d’office qui y sont prévues sur les prestations sociales ne peuvent être pratiquées que sur la base d’une créance liquide et exigible. Le recours judiciaire n’ayant pas d’effet suspensif, l’assuré social ne peut s’opposer à la réduction de la prestation mais, s’il y a contestation, le SPF ne peut procéder aux retenues d’office.


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