Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 octobre 2017, R.G. 2013/AB/381
Mis en ligne le vendredi 13 avril 2018
Cour du travail de Bruxelles, 16 octobre 2017, R.G. 2013/AB/381
Terra Laboris
Dans un arrêt du 16 octobre 2017, statuant dans le cadre d’une réouverture des débats, la Cour du travail de Bruxelles admet la compétence des juridictions du travail pour connaître d’une action récursoire d’un assureur contre son assuré en matière d’accidents du travail de même que la possibilité d’une clause d’exclusion contractuelle d’un risque déterminé, dans le cadre de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres, cause d’exclusion qui n’est cependant pas possible dans la loi du 10 avril 1971.
Les faits
Un travailleur étranger en séjour irrégulier avait été victime d’un accident du travail mortel après avoir fait une chute. Il était en train d’élaguer des arbres de la propriété de particuliers. Ceux-ci avaient souscrit une assurance « gens de maison ». Une information pénale avait été ouverte à l’initiative de l’auditorat du travail et une procédure devant le tribunal correctionnel avait été initiée. Au terme de celle-ci, une condamnation est intervenue, le tribunal correctionnel s’étant cependant déclaré incompétent pour connaître des demandes des parties civiles.
Une action a en conséquence été lancée devant les juridictions du travail, à la fois contre l’assureur (« gens de maison ») et contre le Fonds des Accidents du Travail.
Rétroactes de la procédure
Un jugement est intervenu le 18 décembre 2012, condamnant l’assureur aux indemnités légales. L’action contre le F.A.T. a été déclarée non fondée.
Appel a été interjeté par l’assureur et la cour du travail a rendu un premier arrêt en date du 14 octobre 2015. Dans cette décision, elle a constaté que la police d’assurance se réfère expressément à la loi du 10 avril 1971 et qu’elle inclut les prestations de jardinier. L’assurance « gens de maison » est ainsi une assurance contre les accidents du travail, aucune exception à cet égard ne figurant dans la loi. Celle-ci limitant cependant le risque couvert, la cour a considéré que ne peut être opposée au travailleur une cause d’exclusion d’intervention, vu le caractère d’ordre public de la législation. Tous les risques repris aux articles 7 et 8 de la loi du 10 avril 1971 doivent dès lors être couverts. Seule existe dans ce texte une clause d’exclusion, étant l’accident causé intentionnellement (article 48).
La cour a cependant rouvert les débats sur quatre questions.
Elle s’est en effet demandé si les juridictions du travail sont compétentes pour connaître d’une action récursoire de l’assureur contre le preneur d’assurance, si l’assureur dispose d’une telle action en vertu du contrat ou en vertu de la loi, si l’action n’est pas prescrite par application de l’article 35 de la loi du 25 juin 1992 en ce qui concerne les particuliers ayant commandé les travaux et, enfin, si l’article 88 de la loi du 25 juin 1992 a été respecté (celui-ci prévoyant que, sous peine de perdre son droit au recours, l’assureur avait (à l’époque) l’obligation de notifier au preneur son intention d’exercer un recours sitôt qu’il avait connaissance des faits justifiant cette décision).
L’arrêt du 16 octobre 2017
La cour répond d’abord à la première de ces questions, étant de vérifier la compétence des juridictions du travail pour ce qui est de l’action récursoire. En effet, même si ces actions (l’action originaire et l’action récursoire) ne sont pas connexes au sens de l’article 30 du Code judiciaire, elles présentent entre elles un lien direct. L’action principale introduite par les héritiers de la victime entre dans le champ d’application de l’article 579, 1°, du Code judiciaire (qui prévoit la compétence des juridictions du travail pour les demandes relatives à la réparation des dommages résultant des accidents du travail, ainsi que des maladies professionnelles). L’action incidente de l’assureur contre ses assurés, si elle était isolée, devrait être portée devant la cour d’appel, mais, vu le lien étroit qui l’unit à l’action principale – et la cour constatant d’ailleurs l’accord des parties sur ce point – elle peut être réunie devant la cour du travail (application de l’article 566 du Code judiciaire). Il y a également un principe d’économie de procédure qui doit être pris en compte.
Sur la deuxième question relative à la cause d’exclusion, la cour renvoie à sa décision précédente, qui a statué sur la nature du contrat, qui est un contrat d’assurance contre les accidents du travail à part entière. Il n’y a dès lors pas de possibilité d’opposer à la victime des causes d’exclusion qui y figureraient. Celles-ci sont cependant valables vis-à-vis des assurés, s’agissant d’une relation contractuelle.
Pour ce qui est de l’application de la loi du 25 juin 1992 qui concerne les assurances terrestres, la cour examine en premier lieu la nature du contrat entre assureur et assurés. Il s’agit d’une assurance de responsabilité régie par les dispositions de celle-ci. La police d’assurance prévoit la possibilité d’une action en remboursement de la prestation d’assureur dans certains cas, ce remboursement pouvant être partiel en cas de défaut de déclaration ou total s’il peut être établi qu’il n’aurait en aucun cas assuré le risque dont la nature réelle avait été révélée par le sinistre.
La cour constate que ceci n’est pas incompatible avec les dispositions de la loi du 10 avril 1971. Elle fait le rapprochement avec l’article 46, § 1er, 7°, de la loi, qui prévoit la possibilité d’une action en responsabilité civile contre l’employeur qui, ayant méconnu les obligations imposées par les dispositions en matière de bien-être, a exposé les travailleurs au risque d’accident. De même, l’article 46, § 2, permet à l’assureur de se retourner contre l’assuré si la responsabilité civile de celui-ci est engagée. Ces règles autorisaient donc les parties (assureur et assuré) à convenir d’une clause d’exclusion contractuelle. Cependant, la question est de savoir si l’assureur a respecté l’article 88 de la loi, relatif à l’obligation de notification par lui de son intention d’exercer un recours dès la connaissance des faits. La disposition prévoit qu’en cas de non-respect, il y a perte du droit de recours.
La cour rappelle que les faits remontent au 9 décembre 2003 et que, si divers courriers ont été adressés par la compagnie d’assurances (au F.A.T. et aux ayant-droits), il n’y a aucune preuve d’une notification aux assurés. Cette disposition (abrogée actuellement – et ce par la loi du 4 avril 2014) trouvait dès lors à s’appliquer. La cour conclut à la perte par l’assureur de son droit de recours et au non-fondement de la demande incidente.
Intérêt de la décision
Le premier arrêt rendu par la cour dans cette affaire (précédemment commenté) avait fait un important rappel des principes énoncés pour ce qui est des droits de la victime ou des ayant-droits par la loi du 10 avril 1971, notamment eu égard à l’inopposabilité de clauses d’exclusion figurant dans la police d’assurance.
Cet arrêt du 16 octobre 2017, qui statue sur l’action récursoire de l’assureur contre le preneur d’assurance, admet, dans cet autre cadre, purement contractuel, que des causes d’exclusion peuvent exister. Le rapprochement fait par la cour avec les dispositions de l’article 46 de la loi est intéressant, en ce sens qu’il rend la clause d’exclusion contractuelle compatible avec les dispositions d’ordre public qu’elle renferme. En l’espèce, la conclusion de la cour, qui ne répondra pas à la question de la prescription, vu l’application de l’article 88 de la loi du 25 juin 1992 (applicable à l’époque des faits), fera qu’aucune condamnation ne sera prononcée à l’égard des assurés.
Un intérêt juridique supplémentaire de la décision est que les juridictions du travail peuvent se déclarer compétentes pour une action récursoire de ce type, dans la mesure où, même s’il n’y a pas connexité au sens de l’article 30 du Code judiciaire, l’affaire peut avoir un lien étroit avec l’action principale, justifiant la compétence des juridictions du travail.