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Une chute est-elle un événement soudain ?

Commentaire de C. trav. Mons, 27 février 2018, R.G. 2017/AM/64

Mis en ligne le vendredi 13 juillet 2018


Cour du travail de Mons, 27 février 2018, R.G. 2017/AM/64

TERRA LABORIS – Pauline De Decker

Dans un arrêt du 27 février 2018, la Cour du travail de Mons rappelle qu’une chute, quelle qu’en soit la cause, constitue un événement soudain au sens des articles 7 et 9 de la loi du 10 avril 1971. La Cour reprécise la portée des présomptions légales prévues par les dispositions précitées ainsi que les conditions dans lesquelles ces présomptions peuvent être renversées.

Les faits

Le 2 novembre 2013, Madame N.K., employée, fait une chute sur son lieu de travail et est retrouvée inconsciente par ses collègues. Un premier constat dressé par le service des urgences fait état de « contusion hémorragique cérébrale, fracture clavicule gauche ».

Le 7 novembre 2013, une déclaration d’accident du travail est introduite et, par courrier du 5 février 2014, la SA AXA BELGIUM communique à Madame N.K. sa décision de prendre en charge les suites de l’accident.

Dès le lendemain, l’assureur-loi revient toutefois sur sa position et notifie à Madame N.K. son refus d’intervention. Il considère que les lésions n’ont pas été causées par la chute mais sont dues à une défaillance de l’organisme de la victime. A supposer que les lésions soient dues à la chute, l’entreprise d’assurances estime que la chute elle-même n’est pas due à l’exécution du contrat de travail mais exclusivement à la défaillance de l’organisme de la victime.

Le Fonds des accidents du travail (désormais FEDRIS) considère pour sa part qu’il s’agit d’un accident du travail. Suite à un échange de correspondance, la SA AXA BELGIUM maintient cependant sa position et FEDRIS introduit dès lors une action auprès du tribunal du travail.

La position du tribunal

Par un jugement prononcé le 10 janvier 2017, le tribunal dit pour droit que Madame N.K. a été victime d’un accident du travail le 2 novembre 2013. Il désigne également, avant dire droit, un médecin expert.

Le libellé de la mission invite l’expert à déterminer, dans un premier temps, s’il peut être établi avec le plus haut degré de vraisemblance que les lésions de Madame N.K. n’ont pas été causées par l’événement soudain.

L’entreprise d’assurances a interjeté appel de ce jugement.

La position de la cour

Dans son arrêt, la cour rappelle tout d’abord que, lorsque la victime apporte la preuve d’un événement soudain, survenu dans le cours de l’exécution du contrat de travail, et la preuve de l’existence d’une lésion, la double présomption établie par les articles 7 et 9 de la loi du 10 avril 1971 joue en sa faveur.

En l’espèce, la cour constate la réunion de ces trois éléments, rappelant que la chute, étant par nature un événement limité dans le temps dont le caractère soudain ne peut être contesté, constitue un événement soudain au sens des dispositions légales précitées et ce, quelle qu’en soit la cause (Cass., 7 janvier 1991, J.T.T., 1991, p. 78).

La cause de l’événement soudain est en effet sans incidence lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence même de l’événement soudain.

Ce n’est qu’au stade du renversement des présomptions, poursuit la cour, que la cause de l’événement soudain, ou la cause des lésions, est susceptible de jouer un rôle.

Ainsi, la cause de la lésion peut fonder le renversement de la présomption contenue à l’article 9 (présomption de causalité entre l’événement soudain et les lésions). Tel sera le cas si le juge acquiert la conviction que la lésion trouve son origine en-dehors de l’événement soudain parce qu’elle serait, par exemple, exclusivement imputable à l’état physiologique de la victime.

La cause de l’événement soudain peut, quant à elle, fonder le renversement de la présomption contenue à l’article 7 (présomption de causalité entre l’accident et l’exécution du contrat) lorsque l’assureur-loi parvient à démontrer que l’événement soudain n’est pas survenu par le fait de l’exécution du contrat mais qu’il trouve sa cause exclusive dans une défaillance de l’organisme de la victime.

S’agissant du cas d’espèce, la cour estime que la présomption de l’article 9 n’est pas renversée, dès lors que les lésions consistant dans la contusion hémorragique cérébrale et la fracture de la clavicule ont été « logiquement occasionnées par la chute ».

Concernant le renversement de la présomption de l’article 7, la cour estime à la lumière des rapports médicaux qu’il est seulement vraisemblable ou probable que la crise d’épilepsie soit à l’origine de la chute (et non l’inverse). Partant, la Cour relève qu’en toute hypothèse, AXA ne pourra prouver avec un haut degré de vraisemblance que la cause de l’accident réside exclusivement dans un élément propre à l’organisme de la victime.

La cour déclare cependant l’appel fondé sur un point. Constatant que le libellé de la mission d’expertise pose la question (de l’absence) du lien causal entre l’événement soudain et les lésions, la cour réforme le jugement entrepris en ce qu’il conclut déjà, au stade de la désignation d’expert, à l’existence d’un accident du travail alors que le libellé de la mission d’expertise offre encore la possibilité à l’assureur-loi de renverser la présomption de l’article 9.

L’appel étant rejeté pour le surplus et la mesure d’expertise ayant été confirmée, la cour renvoie la cause au premier juge, en application de l’article 1068, alinéa 2, du Code judiciaire.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Mons du 27 février 2018 réaffirme que la chute, événement limité dans le temps dont le caractère soudain ne peut être contesté, constitue un événement soudain au sens de la loi du 10 avril 1971, quelle qu’en soit sa cause.

D’autre part, l’arrêt rappelle utilement la distinction entre la cause de l’événement soudain et la cause des lésions. Si toutes deux sont appelées à jouer un rôle dans le débat relatif au renversement des présomptions, seule la cause des lésions est susceptible de fonder un renversement de la présomption de causalité contenue à l’article 9 tandis que la cause de l’événement soudain ne jouera que dans le cadre du renversement de la présomption instaurée par l’article 7.

Enfin, l’arrêt commenté attire l’attention sur l’importance du libellé de la mission d’expertise. Lorsque l’expert est appelé à se prononcer sur l’absence éventuelle de causalité entre l’événement soudain et la lésion, le tribunal ne peut déjà affirmer, au stade de la désignation d’expert, qu’il y a eu un accident du travail au sens de la loi du 10 avril 1971.


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