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Rixe et accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 22 février 2018, R.G. 17/425/A

Mis en ligne le vendredi 31 août 2018


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 22 février 2018, R.G. 17/425/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 22 février 2018, le tribunal du travail de Liège (div. Verviers) reprend un principe important dans la matière des accidents du travail : la victime ne peut prétendre aux indemnités si elle a volontairement provoqué l’accident, même si elle n’en a pas voulu les conséquences. Il en découle que, à supposer qu’elle ait été à l’origine d’une rixe, ceci ne signifie pas qu’il faut appliquer la clause d’exclusion de la réparation contenue à l’article 48 de la loi du 10 avril 1971.

Les faits

Un ouvrier est impliqué dans une rixe avec un de ses collègues. Il se rend aux urgences de l’hôpital CHC, où des lésions sont constatées. Il est en incapacité de travail pour une période initiale de 2 semaines.

La déclaration d’accident fait état d’une dispute entre deux collègues. L’assureur refuse la reconnaissance d’un accident, au motif d’éléments contradictoires, rendant les faits douteux.

L’enquête de FEDRIS conclut également à des versions contradictoires.

L’intéressé introduit une procédure en avril 2017 devant le Tribunal du travail de Liège. Il fait valoir qu’il a été agressé, que son agresseur a été arrêté dans ses actes de violence par un autre collègue et que, pour sa part, il est resté allongé au sol et a encaissé les coups. Il considère que tous les éléments constitutifs d’un accident du travail sont présents (événement soudain, lésion, accident intervenu dans le cours de l’exécution et par le fait de celle-ci). Il soutient que l’article 48 de la loi (acte intentionnel) ne peut être appliqué.

Quant à l’assureur, il estime que les faits ne sont pas établis. Ensuite, il développe des thèses « à tiroir », étant que l’événement soudain n’est pas survenu par l’exécution du travail (thèse subsidiaire), que l’accident a été causé intentionnellement (thèse infiniment subsidiaire) et qu’un expert ne doit pas être désigné, vu l’absence d’éléments probants attestant d’une incapacité permanente, seule devant être reconnue l’incapacité temporaire (thèse plus infiniment subsidiaire).

La décision du tribunal

Le rappel habituel des éléments de la définition de l’accident du travail est fait par le tribunal, de même que celui des règles en matière de charge de la preuve. Est relevé l’allégement de la charge de la preuve de l’accident dans le chef de la victime, règle dont le tribunal considère qu’en conséquence, il convient d’être rigoureux dans l’appréciation des éléments de preuve, celle-ci pouvant cependant être constituée conformément à l’article 1353 du Code civil, étant que le juge peut se fonder sur les présomptions de l’homme.

Pour ce qui est, plus particulièrement, de la faute intentionnelle de la victime, le tribunal fait un rappel important des principes, puisque l’article 48 est opposé à la demande de la victime. Celui-ci dispose en effet que les indemnités établies par la loi ne sont pas dues lorsque l’accident a été intentionnellement provoqué par la victime et qu’aucune indemnité n’est due à celui des ayant-droits qui a intentionnellement provoqué l’accident.

Dans la jurisprudence de la Cour de cassation, est relevé un important arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2002 (Cass., 25 novembre 2002, n° S.01.0172.F). La Cour suprême y a précisé que la victime ne peut prétendre aux indemnités si elle a volontairement provoqué l’accident, même si elle n’en a pas voulu les conséquences. En l’espèce, elle avait à juger des faits survenus en 1997, étant qu’à la fin d’une soirée, dans un restaurant, alors que le reste du personnel avait quitté celui-ci, un travailleur avait été gravement blessé au dos par un coup de couteau que lui avait assené un collègue.

Le tribunal reprend à cet égard la doctrine de M. VAN GOSSUM, qui a fait un commentaire de cet arrêt (Bul. Ass., 2003, p. 317), selon lequel le fait de s’engager dans une rixe et de porter des coups à son adversaire est certes répréhensible mais n’implique pas que l’intéressé aurait voulu s’exposer à une lésion corporelle. Même s’il se déduit des circonstances de fait que la victime a intentionnellement provoqué la rixe au cours de laquelle elle a été blessée, l’on ne peut, sur la base de ces seules considérations, décider qu’elle a intentionnellement provoqué l’accident. Par ailleurs, est rappelé, dans une autre doctrine (F. SCHMETZ, « Développements récents de la notion d’accident du travail », Chron. Dr. Soc., 2002, p. 374), que, lorsque la cause de l’accident est inhérente à l’activité des autres membres du personnel ou du milieu industriel ou professionnel dans lequel se trouve le travailleur, il se produit « par le fait de l’exécution ». La faute du travailleur, même une faute lourde (et même la plus lourde selon le texte), n’exclut pas l’application de la loi.

Le tribunal examine les faits, tels qu’ils lui sont présentés, et constate que, dans une attestation de tiers rédigée le lendemain de la dispute, il est constaté que des coups ont été donnés à l’intéressé. Pour le tribunal, même s’il subsiste un doute sur l’origine des coups, il n’est pas établi que la victime a provoqué intentionnellement les conséquences de l’accident. Il rappelle encore qu’une faute très grave ne peut être assimilée à une faute intentionnelle dans la jurisprudence (rappelant Cass., 16 février 1987, n° 5551, ainsi que C. trav. Mons, 23 mars 2004, R.G. 18.587). La conclusion est que le fait que l’origine de l’accident puisse être imputée à l’intéressé est indifférent, puisque celui-ci n’a pas volontairement causé l’événement soudain, non plus que les lésions.

Quant à la demande d’expertise, le tribunal n’y fait pas droit. En effet, il constate qu’aucune incapacité permanente de travail n’est revendiquée par la victime. Il estime dès lors devoir admettre la période d’incapacité temporaire et il fixe la date de consolidation à l’issue de celle-ci.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège revient sur une question importante, étant la question de la faute intentionnelle, qui entraîne l’exclusion du droit à la réparation, tant dans le chef de la victime que dans celui des ayant-droits, en application de l’article 48 de la loi.

La faute intentionnelle n’est pas un élément de la définition de l’accident, mais se situe dans le chapitre de la loi relatif aux immunités et exclusions, étant les articles 46 et suivants.

L’article 48 ne peut dès lors être invoqué si les éléments constitutifs de l’accident ne sont pas établis, puisqu’il intervient sur le plan de la réparation.

L’on notera le rappel fait par le tribunal à l’important arrêt rendu sur la question par la Cour de cassation le 25 novembre 2002. Celui-ci constitue la clé en la matière, puisqu’il était établi que c’est l’agresseur lui-même, étant le travailleur à l’origine d’une rixe, qui avait été gravement blessé par le collègue impliqué dans la rixe. L’on retiendra, à propos de cet arrêt, les très intéressantes conclusions de Monsieur le Premier Avocat général J.-F. LECLERCQ, parues à la Pasicrisie 2002 (consultable sur Juridat), ainsi que le commentaire de P. HUBAIN in Chroniques de Droit social, 2003, p.320 et s.


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