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Acte équipollent à rupture et abus de droit

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 février 2018, R.G. 2015/AB/885

Mis en ligne le lundi 15 octobre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 27 février 2018, R.G. 2015/AB/885

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 février 2018, la Cour du travail de Bruxelles, constatant l’existence d’un acte équipollent à rupture, étant la modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat, rappelle que, si le travailleur entend se prévaloir en outre d’un abus de droit, il est tenu d’apporter la preuve des éléments de celui-ci, dont l’existence d’un dommage distinct.

Les faits

Une employée, en service depuis septembre 1993 en qualité d’employée administrative et commerciale, est engagée ultérieurement par une autre société, qui changera de dénomination, engagement qui intervient avec la reprise de son ancienneté.

Elle est licenciée en 2010 moyennant un préavis de 16 mois à prester, préavis qui sera suspendu pour incapacité de travail.

L’intéressée ayant précédemment eu comme fonction les contacts clients (la société s’occupant d’intermédiation dans le secteur bancaire), elle se voit affectée à une autre agence et ses fonctions consistent en du travail d’archivage et de classement dans un local exigu, aux fenêtres pratiquement occultées par des armoires, sans téléphone et sans ordinateur,...

Un constat d’huissier est fait rapidement et l’intéressée fait un courrier à son employeur, déplorant une mise à l’écart orchestrée pour la « dégoûter ». Elle fait intervenir son conseil, qui constate une modification unilatérale et importante de la fonction. Il détaille les fonctions précédemment exercées et déplore un manque flagrant de considération et de respect, attitude qu’il considère également constitutive de harcèlement moral.

Une mise en demeure est adressée en vue de réintégrer l’intéressée dans ses droits. Ceci n’étant pas fait, l’employée dénonce un acte équipollent à rupture.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Brabant Wallon en paiement d’une indemnité de rupture, d’une indemnité de protection, ainsi que de dommages et intérêts. La société postule pour sa part la condamnation de la demanderesse à une indemnité de rupture.

Par jugement du 16 juin 2015, l’intéressée se voit allouer une indemnité compensatoire de préavis et est déboutée des autres chefs de demande.

La société interjette appel.

L’intéressée fait de même, par la voie d’un appel incident.

La décision de la cour

La cour fait un rappel en droit des principes en matière d’acte équipollent à rupture, soulignant que, si une modification importante, qui porte sur un élément essentiel du contrat, a même un caractère temporaire, cette circonstance est indifférente, de même que l’intention de l’auteur de la modification quant à la rupture du contrat.

Examinant les éléments de fait, la cour retient que la modification est en l’espèce patente et qu’il y a une rétrogradation claire des responsabilités de l’intéressée. Il en découle que la société est l’auteur de la rupture irrégulière du contrat, vu le comportement équipollent à rupture constaté.

L’intéressée a droit à l’indemnité compensatoire postulée et la demande de même nature formée par la société n’est pas fondée.

La cour en vient, ensuite, à l’examen de la convention collective conclue au sein de la commission paritaire pour les banques le 2 juillet 2007. Son article 2, § 2, dispose que, si l’employeur envisage de licencier un travailleur occupé dans les liens d’un contrat de travail à durée indéterminée pour carence disciplinaire ou faute professionnelle, il est invité à un entretien et celui-ci doit avoir lieu dans les 8 jours calendrier après la convocation. La sanction du non-respect est le paiement d’une indemnité équivalente à 6 mois de rémunération.

La cour relève que cette indemnité est prévue uniquement en cas de licenciement pour carence disciplinaire ou pour faute professionnelle. La convention collective ne contient pas de présomption en faveur du travailleur. Il appartient dès lors à celui-ci, en sa qualité de demandeur en justice, d’apporter la preuve de ce que l’origine de son licenciement est l’un de ces deux cas. C’est l’application des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire.

Cette preuve n’est pas apportée, l’intéressée confirmant qu’elle ignore toujours les motifs du licenciement.

La cour relève que la formulation de la disposition de la convention collective peut rendre difficile son application au profit du travailleur. En l’état, celle-ci n’impose cependant pas à l’employeur de justifier des motifs de la rupture.

L’intéressée ayant également introduit une demande d’indemnisation pour licenciement abusif, dans le cadre de la théorie générale, la cour la déboute également, au motif que, si la société a eu une attitude qu’elle qualifie d’« inadéquate », la sanction de celle-ci est la débition de l’indemnité compensatoire de préavis.

Ici également, l’employée reste en défaut d’apporter la preuve qui lui incombe, étant, selon l’arrêt, l’existence d’un comportement vexatoire, d’une volonté de faire mal ou d’humilier. Même si ce comportement a été ressenti comme tel, la cour retient que l’intéressée ne fait pas la preuve d’un dommage différent que celui couvert par l’indemnité compensatoire de préavis allouée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt – succinct – rappelle une nouvelle fois l’articulation entre le droit à une indemnité compensatoire de préavis et celui à des dommages et intérêts pour abus de droit.

La théorie de l’acte équipollent à rupture suppose, dans le cas d’espèce tranché, une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail, modification qui sera sanctionnée même si la situation est temporaire.

La sanction de cette modification (et de ses conséquences, sur le plan de la réalisation des tâches modifiées) est sanctionnée par l’indemnité compensatoire de préavis, dès lors qu’est retenue, comme l’a fait la cour, une rétrogradation importante.

Dans la mesure où la travailleuse souhaitait, en outre, obtenir la condamnation de son ex-employeur à des dommages et intérêts pour abus de droit (qu’elle avait fixés à 12.500 euros en l’occurrence), elle était tenue d’établir une faute distincte du comportement ayant abouti au constat de l’acte équipollent à rupture et, en outre, l’existence d’un dommage distinct de celui couvert par l’indemnité compensatoire de préavis, le seul constat de la modification unilatérale et importante des fonctions ne suffisant pas.

Cette espèce est donc l’occasion de rappeler que, s’agissant de deux demandes distinctes, l’une découlant de la rupture elle-même et l’autre d’un abus de droit dans le cadre de celle-ci, le travailleur a la charge de la preuve des faits qu’il allègue et, particulièrement, de l’existence d’un préjudice distinct de celui découlant de la rupture elle-même et qui est réparé forfaitairement par l’octroi de l’indemnité compensatoire de préavis.


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