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Avances sur assurance vie : peut-il y avoir une capitalisation des intérêts ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mars 2018, R.G. 2016/AB/282

Mis en ligne le vendredi 14 décembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 22 mars 2018, R.G. 2016/AB/282

Terra Laboris

Par arrêt du 22 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles rejette la validité d’une convention anticipée de capitalisation d’intérêts, celle-ci heurtant l’article 1154 du Code civil, dont les conditions d’application sont strictes.

Les faits

Un employé bénéficie, dans le cadre des avantages liés à son contrat de travail, d’une assurance de groupe. La compagnie d’assurances fait l’objet de diverses réorganisations au fil du temps.

Conformément à la possibilité figurant dans les conditions générales, l’intéressé a demandé, au début des années 1980, des avances, celles-ci étant autorisées moyennant paiement anticipatif d’un intérêt de 5,5% l’an. Il obtient, ainsi, un montant de l’ordre de 4.700 euros environ. Au recto de chacun des actes, figure une clause selon laquelle les intérêts, de 5,5% par an, sont payés par anticipation le 1er décembre de chaque année, la première échéance annuelle étant le 1er décembre 1983. Figure également une autre clause selon laquelle, à chaque échéance annuelle d’intérêts, la compagnie accordera une avance complémentaire d’un montant égal aux intérêts échus, en ce compris les intérêts sur l’avance complémentaire calculés au même taux et payables selon les mêmes modalités que celles visées aux conditions particulières de l’avance, sans que cette majoration fasse l’objet d’un nouvel acte d’avance. En conséquence, le montant total des avances accordées croît à chaque échéance annuelle d’un pourcentage (5,82%) par rapport au montant précédent.

En 2012, la police d’assurance est venue à échéance et l’intéressé signe une quittance pour un montant de l’ordre de 38.000 euros.

Quelques mois plus tard, la compagnie lui écrit, constatant qu’il n’a pas été tenu compte des avances perçues sur l’assurance, montant qui est fixé à plus de 23.000 euros. Pour la compagnie, celui-ci doit être déduit. Elle demande le remboursement de cette somme.

L’intéressé conteste, rappelant qu’à l’époque, le montant total des avances s’élevait à un montant bien inférieur. Il ne conteste pas devoir rembourser des sommes, mais demande des explications et considère que, s’il y a une erreur, elle ne lui est pas imputable. Il sollicite en outre un remboursement échelonné, vu qu’il ne perçoit plus que sa pension de retraite.

La société, qui persiste dans la réclamation du montant qu’elle a calculé, finit par introduire une procédure devant le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Par jugement du 14 juillet 2014, celui-ci fait droit à la demande. Il s’agissait d’un jugement par défaut et l’intéressé a fait opposition. Un second jugement est dès lors rendu le 8 janvier 2016, admettant que seul est dû un montant de 12.440 euros. L’intéressé est autorisé à payer celui-ci en 24 mensualités.

La société interjette appel.

La position des parties devant la cour

Pour la partie appelante, c’est son chiffre qu’il faut retenir. Elle justifie celui-ci par la capitalisation des intérêts sur les trois avances consenties, et ce en application des conditions générales reprises au verso des actes d’avance, conditions acceptées par l’intéressé. Cette capitalisation est, pour la société, licite au regard de l’article 1154 du Code civil. L’avance sur une assurance groupe constitue en effet un produit financier pour lequel la coutume du droit bancaire, qui autorise cette capitalisation des intérêts à échoir, doit être appliquée. A défaut d’être un produit financier, il y a malgré tout lieu à capitaliser, dans la mesure où existe une coutume en matière d’assurance groupe qui l’autorise.

L’intimé conteste avoir marqué accord sur cette capitalisation, précisant qu’il n’a pas accepté les conditions générales. Même s’il devait être établi que tel est le cas, les conditions particulières des actes d’avance ne prévoyant pas d’anatocisme, priment les conditions générales. Il plaide également la contrariété de l’anatocisme avec l’ordre public, puisqu’il y a capitalisation d’intérêts à échoir. Il s’agit pour lui d’une convention nulle, de nullité absolue.

La décision de la cour

La cour procède au rappel de la disposition du Code civil litigieuse. L’article 1154 prévoit que les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts ou par une sommation judiciaire ou par une convention spéciale, pourvu que soit dans la sommation, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière. Il s’agit d’incorporer les intérêts échus au capital afin qu’ils puissent eux-mêmes produire des intérêts. La cour rappelle que l’anatocisme est strictement réglementé dans le Code civil, s’agissant d’une part d’attirer l’attention du débiteur de manière claire sur l’effet de celui-ci et d’autre part parce qu’il faut empêcher une capitalisation des intérêts trop rapide.

Il s’agit d’une disposition impérative et la cour rappelle ses conditions d’application, étant que (i) les intérêts doivent être échus, (ii) ils doivent être dus pour une année entière et (iii) cette capitalisation doit être demandée soit par une sommation judiciaire, soit doit être prévue par une convention spéciale. Pour faire jouer ce mécanisme, la convention spéciale ou la sommation judiciaire doivent être renouvelées tous les ans. En ce qui concerne les intérêts eux-mêmes, la condition d’être dus pour une année entière signifie qu’ils doivent avoir couru pendant au moins un an. Or, les intérêts des intérêts ne courent pas de plein droit. Pour la cour, si l’on recourt à la convention spéciale, celle-ci doit être contemporaine, c’est-à-dire qu’est prohibée la convention anticipée. Elle doit en outre être claire et non équivoque. Quant à la sommation judiciaire, est admis tout acte qui s’inscrit dans le cadre d’une procédure judiciaire (ainsi, le dépôt des conclusions au greffe attirant spécialement l’attention du débiteur sur la demande, le montant des intérêts échus ne devant cependant pas être fixé).

La cour rappelle encore que cet article s’applique à tous intérêts quelconques et qu’une dérogation est la comptabilisation d’intérêts sur des découverts bancaires, admise depuis longtemps, la Cour de cassation ayant rendu un arrêt sur la question le 27 février 1930 (Cass., 27 février 1930, Pas., 1930, I, p. 129). Il n’y a pas d’autre dérogation qui viendrait concerner les avances sur prestations en matière d’assurance vie.

La cour rejette dès lors les arguments de la société, l’un après l’autre, celle-ci demandant d’étendre par analogie à la pratique d’avances sur prestations d’assurance vie la dérogation admise en matière de comptes courants, renvoyant notamment à la nécessité pratique inhérente au fonctionnement du contrat d’assurance vie et à la viabilité économique de ce système. La cour rejette également l’existence d’un usage, concluant qu’aucun usage ne peut prévaloir contre une loi d’ordre public ou impérative.

Faisant encore un examen circonstancié de la clause en elle-même, la cour conclut à des conventions anticipées d’anatocisme, prohibées par l’article 1154 du Code civil.

La cour confirme, dès lors, le jugement.

Intérêt de la décision

En général, le praticien croise la figure de l’anatocisme à l’occasion de procédures judiciaires lorsque la partie qui réclame le paiement de sommes entend obtenir la capitalisation des intérêts. La cour rappelle à cet égard que ceci peut se faire par le biais de conclusions déposées au greffe ou par tout acte de procédure admis dans le cadre de cette procédure judiciaire.

La cour reprend longuement, dans cet arrêt, les règles relatives à cette possibilité, en dehors d’une procédure judiciaire, rappelant que ne peut être admise une capitalisation anticipée, hors la seule hypothèse autorisée, qui est celle des découverts bancaires. Aucun raisonnement par analogie ne peut être suivi, s’agissant d’une disposition d’ordre public.

L’on notera encore, sur le plan de la procédure, qu’appel a été interjeté devant la cour du travail, pour un jugement rendu par le tribunal de première instance. La cour a repris l’examen de la loi du 8 mai 2014 concernant les pensions complémentaires, d’autres compléments aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale et la compétence du tribunal du travail, qui a modifié l’article 578 du Code judiciaire. Le juge d’appel nouvellement désigné, en l’espèce la cour du travail, est compétent, en application de cette disposition.


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