Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er juin 2018, R.G. 2016/AB/973
Mis en ligne le vendredi 26 avril 2019
Cour du travail de Bruxelles, 1er juin 2018, R.G. 2016/AB/973
Terra Laboris
Par arrêt du 1er juin 2018, la Cour du travail de Bruxelles reprend les critères d’appréciation de la qualité de représentant de commerce, soulignant que c’est le contenu de la fonction concrètement exercée qui doit être examiné, le travailleur ne pouvant cependant revendiquer le statut de représentant si son activité comprend à la fois des aspects techniques et des aspects commerciaux et s’il ne prouve pas que l’aspect commercial est le plus important.
Les faits
Un employé est engagé en qualité de « Commercial – Food Service » pour une société active dans la commercialisation de produits alimentaires à destination des professionnels du secteur Horeca.
Il est chargé de développer l’activité « Food Service », avec, selon annexe au contrat de travail, développement du CA et de la clientèle, suivi de l’activité et de la clientèle elle-même, etc.
Il bénéficie d’avantages rémunératoires, étant une prime au mérite et une prime trimestrielle sur objectifs.
Après une période d’incapacité de travail s’étendant sur plusieurs périodes discontinues entre mars et mai 2013, il est licencié par courrier du 21 mai 2013, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.
Il introduit une procédure devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles).
Le tribunal rend un jugement avant dire droit en février 2016, demandant la production de toute une série de documents permettant de vérifier la nature des fonctions exactes et, particulièrement, eu égard à la qualité de représentant de commerce revendiquée.
La société s’étant déclarée dans l’impossibilité de déposer l’ensemble de ces pièces, le tribunal conclut dans un second jugement au droit pour l’intéressé de bénéficier d’une indemnité d’éviction. Le tribunal corrige également légèrement l’indemnité compensatoire de préavis.
La société interjette appel.
La décision de la cour
La cour reprend, en droit, les principes applicables. Elle procède en premier lieu à un rappel législatif, avec renvoi aux travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1978 sur la question. Elle définit ensuite les conditions permettant de vérifier si l’exigence de prospection est remplie. Il s’agit, comme elle le rappelle, de vérifier l’existence d’un contact direct entre le client potentiel et le représentant en-dehors des locaux de l’entreprise. Il faut rechercher des nouveaux clients ou vendre une nouvelle gamme de produits à la clientèle existante.
Plus délicate est la question de la négociation et/ou de la conclusion d’affaires, tâche dont le représentant doit être chargé. La cour rappelle que le travailleur est un représentant de commerce même s’il est uniquement chargé de la négociation des affaires (étant qu’il doit entreprendre des démarches, des discussions, des pourparlers en vue d’arriver à un accord), et ce même s’il n’a pas le pouvoir de les conclure. La cour renvoie à l’étude de Ph. LECLERCQ (Ph. LECLERCQ, « Le statut des représentants de commerce : le représentant de commerce et l’agent commercial », Ors., 2005, p. 2). Elle rappelle ensuite les conditions de l’apport de clientèle, également reprises de la doctrine ainsi que de la jurisprudence.
Sur le plan de la preuve, la cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2014 (Cass., 5 mai 2014, n° S.12.0036.N), selon lequel c’est sur le travailleur qui revendique la qualité de représentant de commerce que repose la charge de la preuve de l’exercice de la représentation commerciale au titre d’activité principale, ainsi que de la prospection et de la visite habituelle de clientèle en-dehors des locaux de l’entreprise.
La doctrine de Ph. LECLERCQ est encore rappelée pour ce qui est de l’obligation de loyauté dans l’administration de la preuve : même si le représentant a la charge de la preuve, l’employeur doit collaborer loyalement à l’administration de celle-ci.
En l’espèce, la cour reprend très longuement les éléments de fait, étant l’échange des courriels et l’existence de plannings de visites. Elle retient sur cette question précise qu’un planning sur la base de 6 à 8 visites journalières n’est pas une activité secondaire mais principale.
Sont également prises en compte la carte d’essence ainsi qu’une attestation qui avait été rédigée in tempore non suspecto par le directeur financier de la société, aux fins de permettre à l’intéressé de conserver son permis de conduire (vu des excès de vitesse commis en déplacements). Dans cette attestation, il est précisé que l’employé effectue ses prestations exclusivement en déplacement clientèle.
Il ressort des éléments retenus qu’il y avait prospection et visites en vue de négociation ou de conclusion d’affaires. L’activité du représentant a ainsi contribué à apporter une clientèle à la société.
La cour examine encore l’évolution du chiffre d’affaires, passé en 2009 d’un montant de l’ordre de 176.000 euros à 333.000 euros en 2010 (l’intéressé ayant été engagé le 1er janvier 2010), le chiffre ayant encore évolué à la hausse, pour être de l’ordre de 422.000 euros en 2012.
Elle rappelle que, prise isolément, l’augmentation du chiffre d’affaires est un fait indifférent. Cependant, l’examen conjoint des éléments du dossier permet de conclure que la preuve de l’apport de nouveaux clients est rapportée. Le droit à l’indemnité d’éviction est reconnu et le jugement est confirmé.
Reste en litige, entre les parties, le montant de la rémunération de base, que la cour calcule, rappelant que l’indemnité d’éviction comprend non seulement la rémunération en cours, mais aussi les avantages acquis en vertu du contrat.
Enfin, le licenciement étant intervenu le 21 mai 2013, elle rappelle les principes applicables à l’époque, étant qu’il y a lieu de renvoyer à l’article 82, § 3, LCT, et que ni la loi du 12 avril 2011 ni celle du 26 décembre 2013 ne règlent le litige, cette dernière ne pouvant rétroagir. La durée du préavis est dès lors à fixer conformément aux critères classiques, étant les difficultés du travailleur à retrouver un emploi. La durée du préavis est portée à 4 mois.
Intérêt de la décision
Dans ce bel arrêt, la Cour du travail de Bruxelles reprend les divers éléments du statut de représentant de commerce, aux fins de déterminer, malgré le libellé de la fonction tel que figurant dans le contrat de travail, si le travailleur peut avoir cette qualité et, en conséquence, bénéficier de l’indemnité d’éviction légale, dans la mesure où son activité est susceptible d’avoir apporté une clientèle à l’entreprise.
Dans cette affaire, l’apport ne pouvait se présumer, ce qui aurait pu être le cas en présence d’une clause de non-concurrence dans le contrat, de telle sorte que, ici, s’appliquent les principes habituels en matière de preuve, étant que la preuve de l’apport est à charge du travailleur qui revendique la qualité de représentant. Cette preuve porte également sur la nature de l’activité elle-même, étant qu’il doit établir avoir prospecté et visité concrètement et habituellement la clientèle du secteur en-dehors des locaux de l’entreprise, cette activité devant être comprise comme exercée à titre principal.