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Respect des langues dans les relations sociales en Communauté française

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 5 décembre 2018, R.G. 17/800/A

Mis en ligne le jeudi 27 juin 2019


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 5 décembre 2018, R.G. 17/800/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 décembre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) reprend les obligations du Décret du 30 juin 1982 relatif à l’usage de la langue française dans les relations sociales entre employeurs et leur personnel, dans la mesure où existe un siège social ou un siège d’exploitation dans la région de langue française ou qu’une partie y est domiciliée.

Les faits

Un contrat de travail à durée indéterminée est signé en octobre 2015, pour des fonctions de manager de vente, entre un jeune travailleur et une société exploitant des grandes surfaces de vente au détail.

Une formation est prévue, avec des échéances d’évaluation. Une clause contractuelle prévoit que, si le travailleur n’a pas donné satisfaction au terme de la période de formation, il resterait définitivement occupé en tant que « junior consult ». Le contrat est rédigé en néerlandais et le lieu du travail est fixé en région néerlandaise, ce lieu n’étant cependant pas considéré comme élément essentiel. L’intéressé preste, pendant les dix premiers mois de l’occupation, sur divers sites en Région wallonne et, entre ces occupations, dans un centre de distribution en Wallonie également.

La société rédige trois évaluations (en français), dans lesquelles il est certes fait état d’améliorations dans le chef de l’employé, mais celles-ci sont insuffisantes. Il est licencié quelques jours plus tard, étant convoqué aux fins de signer à la fois la lettre de licenciement ainsi qu’une convention transactionnelle. Les deux documents sont rédigés en néerlandais.

Le travailleur signe, en apposant la mention « pour réception » sur la lettre de licenciement. Sur la convention transactionnelle, il n’apporte que sa signature. La rupture du contrat intervient sur le champ avec paiement d’une indemnité de sept semaines de rémunération, l’intéressé pouvant conserver l’usage du véhicule de la société pendant quatre semaines, moyennant paiement d’une caution. La transaction contient également une renonciation des deux parties à toute réclamation née ou à naître du fait ou à l’occasion de la relation de travail.

Deux jours plus tard, le travailleur demande communication des motifs du licenciement dans le cadre de la convention collective de travail n° 109. Il invoque également la nullité de la transaction.

La société ne répondra pas à ce courrier.

Le véhicule de la société est restitué (plus tôt que prévu). Selon ses dires, l’intéressé a, entre-temps et avant la rupture du contrat, eu un accident, qu’il dira avoir déclaré en son temps à la société.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers), qui est saisi de plusieurs chefs de demande, étant d’une part l’amende civile prévue à l’article 7 de la convention collective n° 109, une indemnité de dix-sept semaines de rémunération pour licenciement manifestement déraisonnable et le remboursement de la garantie afférente au véhicule de société.

Celle-ci fait, pour sa part, une demande reconventionnelle pour frais de réparation et de nettoyage du véhicule.

La décision du tribunal

Le tribunal est saisi, en premier lieu, de la question de la validité de la transaction entre les parties, et ce eu égard à la réglementation en matière d’emploi des langues.

Le Décret du 30 juin 1982 (Décret du Conseil de la Communauté française relatif à la protection de la liberté de l’emploi des langues et de l’usage de la langue française en matière de relations sociales entre les employeurs et leur personnel, ainsi que d’actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements) s’applique aux personnes physiques ou morales ayant leur siège social ou un siège d’exploitation dans la région de langue française ou y étant domiciliées.

Il impose, pour les relations sociales entre employeurs et travailleurs, le français, sans préjudice de l’usage complémentaire de la langue choisie par les parties. En cas de non-respect, les actes et documents visés sont nuls et cette nullité est constatée d’office par le juge. La levée de celle-ci ne peut sortir ses effets qu’au moment où une version des actes et documents conforme est mise à la disposition des parties.

Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 26 septembre 2008, J.T.T., 2008, p. 76), qui a considéré qu’il s’agit d’une nullité absolue et que le juge ne doit, en conséquence, pas tenir compte des actes nuls ni de la volonté qui y est exprimée.

Retenant en l’espèce que la société a son siège social en Région flamande, mais qu’elle a plusieurs sièges d’exploitation en région francophone, où l’intéressé a été principalement – voire exclusivement – occupé, la langue à utiliser pour les formulaires d’évaluation était le français.

De même, pour la convention de transaction, qui a pour objet de régler les questions relatives à la fin du contrat, c’est un document qui relève des relations sociales entre les parties. La convention doit dès lors être considérée comme nulle et de nul effet, sans qu’il soit utile, selon le tribunal, d’examiner les causes de nullité résultant d’éventuels vices de consentement, telles qu’alléguées par le travailleur.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne la lettre de rupture. Le congé étant cependant irrévocable, la rupture reste acquise.

Le tribunal estime, dès lors, qu’il y a lieu d’examiner les demandes du travailleur.

La première est relative à l’amende civile et le tribunal rappelle à cet égard que l’abstention de réponse a des conséquences pour la charge de la preuve du licenciement manifestement déraisonnable, outre qu’elle prive le travailleur de la possibilité de connaître les motifs à la base de la décision de rupture.

Par ailleurs, la communication des motifs à l’ONEm est sans relevance pour ce qui est des obligations de l’employeur dans le cadre de la C.C.T. n° 109.

Sur cette question, se pose essentiellement la contestation de la rémunération de base (prise en compte des éco-chèques, de l’utilisation privée d’une voiture de société, ainsi que d’un GSM).

Le tribunal rappelle ici la jurisprudence de la Cour de cassation en son arrêt du 29 janvier 1996 (Cass., 29 janvier 1996, n° S.95.0072.N), selon laquelle, pour l’évaluation des avantages en nature octroyés au travailleur, il faut prendre en considération la valeur réelle et non la valeur conventionnelle. Le critère à retenir est l’économie que l’avantage représente effectivement pour le travailleur. Pour ce qui est d’une voiture, entrent en considération la valeur d’amortissement, le carburant, l’assurance et les taxes de circulation.

Le tribunal détermine en conséquence le montant de l’amende civile, tenant compte de l’évaluation concrète de l’avantage accordé.

Pour ce qui est, ensuite, du caractère manifestement déraisonnable du licenciement, il est constaté que l’intéressé n’a pas fait montre, au terme de la période de formation, des aptitudes suffisantes à la fonction pour laquelle il était engagé, à l’issue de celle-ci, étant celle de « manager de magasin ».

Le tribunal conclut au rejet de ce chef de demande, les éléments retenus lors des évaluations indiquant que le licenciement qui est intervenu ensuite était lié à l’aptitude à la fonction.

Pour ce qui est de la retenue opérée sur l’indemnité de rupture au titre de « garantie », celle-ci n’est pas valable, vu que la convention a été frappée de nullité.

Enfin, sur la demande reconventionnelle, il constate que le travailleur n’apporte pas la preuve que le véhicule a été endommagé durant l’exécution du contrat de travail, aucune déclaration n’étant par ailleurs produite. Toutefois, aucun constat contradictoire n’a été fait quant à l’état du véhicule lors de sa restitution, de telle sorte que l’imputabilité à l’employé des frais faisant l’objet de la demande reconventionnelle n’est pas établie.

Intérêt de la décision

Ce jugement rappelle les règles du Décret du 30 juin 1982 relatif à l’emploi des langues dans les relations sociales entre employeurs et travailleurs, dès lors que celles-ci concernent des personnes physiques ou morales ayant leur siège social ou un siège d’exploitation dans la région de langue française ou qu’elles y sont domiciliées.

Le non-respect du français entraîne la nullité des documents visés et cette nullité est absolue. Elle peut dès lors être soulevée d’office par le juge, ce qui a apparemment été fait en l’occurrence.

Le tribunal a retenu le respect du décret, pour ce qui est des formulaires d’évaluation, ceux-ci ayant pu servir d’élément d’analyse en ce qui concerne le motif du licenciement. Par contre, la convention de transaction est visée par le type de documents concernés, dans la mesure où elle règle les questions relatives à la fin du contrat de travail et aux obligations qui en résultent.

Relevons encore que le tribunal rejette à cet égard l’argument de la société selon lequel la portée du décret aurait été limitée aux « relations sociales entre l’employeur et son personnel » et que, le contrat de travail ayant préalablement pris fin, il n’existait plus au moment de la signature de la convention de relations sociales entre les parties. Pour le tribunal, au contraire, celles-ci sont visées par la convention litigieuse, l’employeur et le travailleur étant d’ailleurs identifiés comme tels dans le texte.


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