Terralaboris asbl

Consommation d’alcool au travail et motif équitable de licenciement

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mouscron), 21 décembre 2018, R.G. 17/567/A

Mis en ligne le mardi 30 juillet 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division Mouscron), 21 décembre 2018, R.G. 17/567/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 21 décembre 2018, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mouscron) confirme la position de l’ONEm selon laquelle la consommation de boissons alcoolisées sur les lieux du travail, et particulièrement la conduite d’un véhicule après celle-ci, est un motif équitable de licenciement, le tribunal constatant en outre que le règlement de travail contient une interdiction formelle en ce sens.

Les faits

Suite à son licenciement par la société de logements sociaux qui l’occupait, un ouvrier s’inscrit au chômage. L’ONEm, après examen du dossier, l’exclut pour une période de 13 semaines, au motif de licenciement intervenu pour motif équitable, eu égard à son attitude fautive (articles 51 et 52 de l’arrêté royal organique). Il lui est fait grief d’avoir été licencié en raison d’un état d’ébriété, situation qui constitue des circonstances dépendant de sa volonté. En ce qui concerne la sanction, fixée à 13 semaines, la décision est motivée par le fait que les moyens de défense invoqués ne sont pas recevables, l’intéressé ayant minimisé excessivement la consommation en cause, alors que l’état d’ébriété avait été dûment constaté par quatre responsables de la société. L’ONEm tient cependant compte du passé professionnel.

Le jugement

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut, qui se retrouve ainsi saisi de la question du motif équitable de licenciement au sens de la réglementation chômage.

Reprenant les principes, il renvoie à la doctrine la plus autorisée sur la question (B. GRAULICH et P. PALSTERMAN, « Les droits et obligations du chômeur dans le nouveau code du chômage », Kluwer, 1993, p. 94). Selon ces auteurs, pour qu’il y ait motif équitable, l’ONEm doit établir (i) une attitude fautive dans le chef du travailleur, (ii) un lien de causalité entre la faute et le licenciement et (iii) la conscience dans le chef du travailleur que son attitude fautive impliquait ce risque.

La charge de la preuve est dans le camp de l’ONEm et le tribunal précise que celui-ci doit apporter tous les soins à la constitution de son dossier, et ce d’autant que l’article 139 de l’arrêté royal met à sa disposition les moyens légaux nécessaires à cet effet.

En l’espèce, il est reproché à l’intéressé d’avoir été trouvé en état d’ébriété et, en sus, d’avoir été impliqué dans un accident de la circulation, dans lequel les services de police ont été appelés.

Partant du constat que la quantité d’alcool consommée n’est pas déterminée avec certitude et qu’il n’y a pas d’éléments objectifs, le tribunal considère devoir se fonder sur l’évaluation subjective des représentants de la société ainsi que sur les propres déclarations du demandeur et, pour ces dernières, a minima.

L’intéressé ayant invoqué la prise de deux Duvel, d’un « verre » (non précisé), ainsi encore que d’un apéritif et d’un verre de vin sur le temps de midi, le tribunal admet qu’il y a eu interférence avec un médicament de nature à renforcer les effets de l’alcool. Cependant, alors qu’après avoir consommé des boissons alcoolisées, le travailleur avait utilisé le véhicule de l‘employeur pour se déplacer chez des particuliers, le tribunal conclut que cette conduite a été volontaire.

Un litige ayant opposé le travailleur à son employeur dans le cadre d’une procédure en licenciement abusif, le tribunal retient de celle-ci une prescription du règlement de travail selon laquelle le travailleur ne peut conduire le véhicule sous l’influence de boissons alcoolisées. Il y a dès lors une faute et l’intéressé avait (ou, à tout le moins, selon le tribunal, devait avoir) conscience que son comportement impliquait un risque de licenciement.

Par ailleurs, vu la gravité potentielle du comportement, le tribunal retient que le premier manquement est susceptible de provoquer le licenciement. La décision administrative est en conséquence maintenue, tant dans son principe que dans son montant.

Intérêt de la décision

Ce jugement pose clairement le lien entre la conduite du travailleur et la possibilité d’être sanctionné au niveau de l’octroi d’allocations de chômage, celui-ci pouvant, du fait de cette conduite, être considéré comme chômage volontaire. Dès lors qu’un ou plusieurs manquements sont constatés, le critère du motif équitable est que ce manquement soit en lien de causalité avec le licenciement et que le travailleur ait pu avoir conscience du fait que celui-ci l’exposait au risque de perdre son emploi.

Le motif équitable dans la réglementation du chômage est dès lors beaucoup plus large que le motif grave au sens de la loi du 3 juillet 1978. La doctrine citée dans le jugement sert de référence générale dans l’appréciation du caractère équitable du motif.

Par ailleurs, sur la question de la sanction, il s’agit d’une exclusion pendant une période déterminée entre 4 et 26 semaines, mais celle-ci n’est pas une sanction administrative. C’est la conséquence du fait que les conditions d’octroi ne sont plus remplies. L’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 23 avril 2015 (R.G. 2014/AN/70) – précédemment commenté –, où a été rappelée, sur cette question spécifique de la sanction, la contribution de Mme HAUTENNE (N. HAUTENNE, « Sanctions : quelques questions et controverses », in Ouvrage collectif sur la réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, 2011, p. 721).

Dans le cas d’espèce, la sanction était de 13 semaines et elle a été maintenue par le tribunal.

Quant à la Cour du travail de Liège, elle avait, à partir d’une sanction de 13 semaines, considéré que celle-ci devait être maintenue mais pouvait être assortie d’un sursis complet au motif, d’une part, de l’absence d’antécédents et, d’autre part, d’une longue ancienneté (9 ans) pour le même employeur.

La possibilité d’octroyer un sursis est tirée de l’article 53bis de l’arrêté royal, qui prévoit que le directeur du bureau régional peut se limiter à donner un avertissement et qu’il peut assortir la décision d’exclusion d’un sursis partiel ou complet. Cette possibilité de limitation de la mesure est exclue si, dans les deux ans qui précèdent l’événement en cause, il y a déjà eu un fait ayant donné lieu à l’application de ces dispositions.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be