Commentaire de Cass., 20 mai 2019, n° S.16.0094.F
Mis en ligne le lundi 13 janvier 2020
Cass., 20 mai 2019, n° S.16.0094.F
Terra Laboris
Par arrêt du 20 mai 2019, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 octobre 2016, rappelant que la prescription de l’action en récupération des allocations de chômage perçues indûment doit s’apprécier au moment où le juge a été saisi de la demande en récupération de l’indu.
La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 octobre 2016 (non disponible du Juridat).
L’objet du litige
L’ONEm a exclu, par décision du 8 avril 2010, une assurée sociale du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002. Il a décidé en outre de récupérer les allocations perçues indûment et il a prononcé une sanction d’exclusion de 26 semaines. Les dispositions à la base de sa décision sont (i), pour l’exclusion à partir du 1er mai 2002, les articles 44, 45 et 48 de l’arrêté royal organique, (ii), pour la récupération, l’article 169 et (iii), pour la sanction, l’article 154, alinéa 1er.
L’intéressée a en effet été gérante d’une S.P.R.L. depuis le 19 janvier 1998 et n’a pas respecté les obligations à sa charge permettant le cumul d’une activité accessoire avec les allocations de chômage.
Le recours devant le tribunal du travail
L’intéressée a formé recours par requête du 1er juillet 2010, demandant l’annulation de la décision de l’ONEm. A titre subsidiaire, elle plaide sa bonne foi, demandant la limitation de la récupération des allocations aux 150 derniers jours ainsi qu’un sursis pour la sanction d’exclusion.
Le jugement du tribunal du travail
Le tribunal du travail a débouté l’intéressée par jugement du 20 avril 2012, confirmant pour autant que de besoin la décision administrative. La demanderesse a été condamnée au remboursement d’un montant de l’ordre de 21.150 euros.
La décision de la cour du travail
Suite à l’appel interjeté par l’intéressée, la Cour du travail de Bruxelles a été saisie. L’arrêt a conclu que l’appelante ne pouvait prétendre aux allocations de chômage pendant la période litigieuse et que la décision de l’ONEm était fondée. Il a également considéré que le délai raisonnable n’a pas été dépassé. Cependant, l’arrêt a annulé la décision de l’Office et a statué à nouveau. Il a confirmé partiellement la décision, en excluant l’intéressée du bénéfice de « 15 » (sic) allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 et a constaté que la récupération des allocations perçues indûment était prescrite.
Pour la cour du travail, l’audition est en effet nulle. Elle a considéré que l’audition devait être réalisée par le directeur du bureau de chômage, sauf délégation expresse. En l’occurrence, elle a été conduite par un gestionnaire administratif, sans qu’aucune délégation n’ait été mentionnée. Il s’agit pourtant d’une formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité. Vu l’absence de justification d’une délégation dans le chef de l’ONEm, la cour, qui a conclu à l’irrégularité de l’audition, a également considéré que celle-ci entraîne la nullité de la décision litigieuse (cette nullité ne s’étendant cependant pas aux pièces du dossier administratif constitué auparavant, non plus qu’aux pièces produites par le Ministère public au cours de procédure).
Pour la cour du travail, vu leur pouvoir de pleine de juridiction, les juridictions du travail qui ont constaté la nullité de la procédure administrative sont autorisées à se substituer à l’ONEm et à prendre une nouvelle décision sur la base des règles de droit applicables en la matière et les pièces régulièrement produites.
Pour ce qui est de la récupération des allocations indues, vu la nullité de la décision administrative, c’est la décision judiciaire qui en ordonne la répétition. Renvoyant au délai de 3 ans visé à l’article 7, § 13, de l’arrêté royal du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, la cour a conclu à la prescription pour la totalité, la dernière allocation indue ayant été payée pour une journée en avril 2009.
Le pourvoi
Le pourvoi est articulé en trois branches.
La première porte sur la mention de l’exclusion de « 15 » allocations de chômage.
La deuxième branche, divisée en deux rameaux (dont le second est développé à titre subsidiaire et sera considéré irrecevable par la Cour de cassation), considère qu’il ne résulte pas de l’article 144, § 1er, de l’arrêté royal organique que le travailleur doit être convoqué et être entendu préalablement par le directeur du bureau de chômage ou son délégué. En vertu de l’alinéa 2 de cette disposition, le travailleur peut ne pas se présenter et faire valoir ses moyens par écrit, en sorte qu’il suffit que le membre du personnel du bureau de chômage chargé de statuer sur son cas ait connaissance de ses moyens (qu’il s’agisse de l’écrit en cause ou du procès-verbal de l’audition). Pour l’ONEm, la cour ne pouvait dès lors conclure à l’irrégularité de l’audition au motif de l’absence de délégation spéciale.
La troisième branche porte sur la question de la prescription.
L’arrêt de la Cour
La Cour rejette la première branche, au motif que la décision de la cour du travail est affectée d’une erreur matérielle évidente (« 15 » allocations) et qu’elle n’est dès lors pas entachée de contradiction, dans la mesure où elle mentionne que l’exclusion vaut à partir du 1er mai 2002. Ce moyen manque en fait et est rejeté.
Pour ce qui est du deuxième moyen (premier rameau), la Cour le rejette, considérant qu’il manque en droit, et ce au motif que l’article 144, § 1er, aliéna 2, de l’arrêté royal organique dispose que la convocation est faite au moyen d’un écrit mentionnant le motif, le jour et l’heure de l’audition, ainsi que la possibilité de ne pas se présenter, mais de communiquer ses moyens de défense par écrit. Pour la Cour suprême, il ne suit pas de cette disposition que, lorsque le travailleur n’a pas fait usage de la faculté de présenter ses moyens de défense par écrit, le procès-verbal de son audition pourrait, fût-elle irrégulière, être tenu pour un écrit contenant sa défense et satisfaisant dès lors à la formalité substantielle de l’article 144, § 1er, alinéa 1er, en sorte que la décision fondée sur cette audition irrégulière ne serait pas nulle.
Pour ce qui est de la troisième branche, elle reprend l’article 170, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, selon lequel la récupération des sommes payées indûment est ordonnée par le directeur ou par la juridiction compétente et le montant de la récupération est notifié au chômeur et à l’organisme de paiement. Une décision doit dès lors être prise par le directeur du bureau régional ou par la juridiction compétente et ordonnant la récupération de l’indu.
Si la décision du directeur est annulée par la juridiction compétente parce qu’elle est illégale et que, comme l’avait fait le directeur, le juge dénie au chômeur le droit aux allocations, il ne peut ordonner la récupération des sommes payées indûment que s’il est saisi d’une demande tendant à cette fin.
La Cour rejette dès lors le moyen, au motif que la décision du juge sur la récupération des allocations perdues indûment ne se substitue pas à la décision du directeur du bureau de chômage qu’elle annule, de sorte que la prescription doit être appréciée non au moment où la décision administrative a été notifiée au chômeur ni lorsque celui-ci a saisi le juge compétent, mais au moment où le juge a été saisi de la demande en récupération de l’indu.
Intérêt de la décision
La Cour de cassation fait ici un point important.
Le pourvoi considérait que l’arrêt de la cour du travail avait méconnu les règles relatives à l’interruption de la prescription de la récupération des allocations de chômage perçues indûment par la notification de la décision de récupération (violation de l’article 170, alinéa 1er, de l’arrêté royal, ainsi que 7, § 13, alinéas 2 à 4, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944), ainsi que par une citation en justice ou par tout autre mode de saisine du tribunal jusqu’à la prononciation de la décision définitive (violation des articles 2244, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code civil et 7, § 11, alinéa 2, de l’arrêté-loi précité).
Pour la Cour de cassation, si le juge a annulé la décision de l’ONEm, la décision qu’il rend sur la récupération des allocations perçues indûment ne se substitue pas à la décision du directeur du bureau de chômage qu’elle annule.
Il y a lieu d’examiner les règles de prescription de l’action au moment où le juge a été saisi de la demande en récupération d’indu et non à d’autres moments, étant celui de la notification de la décision administrative ou celui du recours en justice.