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Accident du travail et trajet de réintégration

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Arlon), 11 octobre 2019, R.G. 18/68/A

Mis en ligne le vendredi 12 juin 2020


Tribunal du travail de Liège (division Arlon), 11 octobre 2019, R.G. 18/68/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 11 octobre 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Arlon) examine la régularité de l’introduction d’une procédure de trajet de réintégration dans l’hypothèse où le travailleur, en incapacité de travail, a été antérieurement victime d’un accident du travail.

Les faits

Un technicien au service d’une association publique depuis 2009 est victime d’un accident du travail en 2016 et a été en incapacité de travail jusque fin février 2017. A cette date, l’incapacité n’est plus retenue comme étant en lien avec l’accident du travail et le travailleur accepte la proposition d’indemnisation à la date du 1er mars 2017, avec un taux d’incapacité permanente de 2%.

Six mois plus tard, le travailleur, toujours en incapacité, entame un trajet de réintégration, à l’initiative du médecin-conseil de la mutuelle. Il est constaté qu’il est définitivement inapte à reprendre le travail convenu mais peut effectuer un travail adapté ou différent auprès de l’employeur, avec certaines recommandations.

L’employeur entreprend des démarches à cette fin et un poste (opérateur polyvalent) est envisagé. Le travailleur le refuse, au motif que la conduite d’engins serait trop douloureuse (vibrations). L’employeur rédige alors un rapport, constatant l’impossibilité d’établir un plan de réintégration conforme aux recommandations du médecin du travail.

Un entretien est proposé mais refusé par l’intéressé, au motif qu’il est toujours sous certificat médical.

L’employeur constate alors la force majeure. Il reprend le rapport du médecin du travail, qui conclut à l’interdiction de travail sur échelle, du port de charges lourdes et de positions de travail prolongées, accroupies ou à genoux. L’employeur conclut qu’il n’y a pas d’autre fonction disponible dans les douze mois à venir.

Le travailleur introduit une procédure devant le tribunal du travail, demandant condamnation de son ex-employeur à une indemnité de préavis de cinq mois et treize semaines, contestant son licenciement, au motif que l’incapacité de travail résulterait d’un accident du travail et que le trajet de réintégration n’était pas applicable.

L’employeur considère que la procédure l’est, au contraire, et que l’issue de celle-ci l’autorisait à constater la force majeure constitutive d’une cause de rupture du contrat.

La décision du tribunal

Après un rappel des articles 1.4.72 et suivants du Code du bien-être, qui sont venus remplacer la procédure mise sur pied par l’arrêté royal du 28 mai 2003, le tribunal aborde la question de l’exclusion des incapacités de travail résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles. Malgré les discussions sur la question, il rappelle qu’il s’agit de la volonté du législateur en vue d’éviter les interférences dans les deux législations, reprenant notamment la contribution de Aurélie MORTIER (A. MORTIER, « Vers une (ré)activation des personnes en incapacité de travail ? », Actualité et innovations en droit social, sous la direction de J. CLESSE et H. MORMONT, CUP, Anthémis, Liège, 2018, p. 167) et de Jacques VAN DROOGHENBROECK (J. VAN DROOGHENBROECK, « La réintégration des travailleurs en incapacité de travail, la réinsertion professionnelle et le nouveau visage de la force majeure médicale », Le contrat de travail revisité à la lumière du XXIe siècle, sous la coordination de L. DEAR et E. PLASSCHAERT, Larcier, Bruxelles, 2018, p. 291), ainsi que l’avis du Conseil National du Travail n° 1923.

L’article 34 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail n’exclut pas, pour sa part, les incapacités de travail résultant du risque professionnel. Pour pouvoir invoquer la force majeure, celle-ci doit être constatée et la procédure de trajet de réintégration doit être clôturée.

En l’espèce, le tribunal estime ne pas pouvoir suivre la position du demandeur, dont il relève qu’il ne conteste pas l’incapacité définitive d’exécuter la fonction convenue. En réalité, doit être posée la question de savoir si la procédure pouvait être suivie, le demandeur faisant état du fait qu’il serait en incapacité suite à un accident du travail.

Le tribunal constate que la proposition de consolidation a été acceptée par lui et qu’il n’a pas contesté la non-prise en charge des incapacités de travail ultérieures, les séquelles de l’accident étant par ailleurs minimes, puisque la consolidation est intervenue avec un taux d’I.P.P. de 2%. Par ailleurs, la procédure a été mise en œuvre six mois plus tard, à l’initiative du médecin de la mutualité, et elle a été suivie – sans contestation – par l’intéressé.

Pour le tribunal, la procédure a été entamée à juste titre et contester la chose aboutirait à priver tout travailleur qui a subi un accident du travail ou une maladie professionnelle du bénéfice de la procédure de réintégration, même pour une incapacité de nature différente. De même dans une telle hypothèse, l’employeur serait privé du droit d’entamer cette procédure, ce qui n’est pas le vœu du législateur.

Dans un deuxième temps, le tribunal examine si les conditions de la force majeure sont réunies. Les conclusions du médecin du travail n’ont pas été contestées et l’employeur a proposé plusieurs fonctions, qui n’ont pas été acceptées par le travailleur. En outre, celui-ci n’a pas sollicité des aménagements raisonnables qu’il aurait estimé pouvoir revendiquer dans le cadre de son handicap.

Pour le tribunal, la procédure a été correctement suivie et la force majeure est établie. Il déboute dès lors l’intéressé de sa demande.

Intérêt de la décision

Cette affaire renvoie à la question de l’exclusion des incapacités de travail consécutives à un risque professionnel dans la procédure de réintégration mise sur pied par le Code du bien-être dans ses articles 1.4.72 à 1.4.80.

Cette procédure, longuement détaillée dans ces dispositions, ne peut en effet pas être enclenchée en cas d’incapacité de travail liée à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Le tribunal rappelle à juste titre que – même si cette exclusion n’est pas exempte de critiques (se référant d’ailleurs à une doctrine autorisée sur la question) – le législateur a voulu éviter les interférences entre les deux mécanismes : le trajet de réintégration d’une part et d’autre part les mesures susceptibles d’intervenir dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 en cas d’accident du travail et du 3 juin 1970 en cas de maladie professionnelle, dispositions applicables également dans le secteur public (sous réserve de spécificités dans les arrêtés royaux d’exécution).

Dans l’hypothèse de l’accident du travail, spécifiquement, des dispositions particulières règlent la question de la remise au travail. Il s’agit essentiellement de l’article 23, qui vise à la fois les conditions de remise au travail, les traitements proposés aux fins de rétablir la santé de la victime, ainsi que les hypothèses de refus de celle-ci et les conséquences de ces situations sur son indemnisation.

En l’espèce, le tribunal a fait à très juste titre la distinction entre les effets d’un accident du travail survenu dans le passé et dont le règlement définitif est intervenu avant le trajet de réintégration et la régularité de la mise en route de cette procédure dans une telle hypothèse.

Il a notamment relevé à cet égard l’absence de contestation du travailleur quant au règlement des séquelles, le peu d’impact de cet accident sur l’incapacité permanente (2%), c’est-à-dire sur le potentiel concurrentiel de la victime, et la circonstance que cette perte de capacité ne peut justifier la reconnaissance de l’incapacité en A.M.I.


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