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Calcul des allocations de chômage et principe de la libre circulation

Commentaire de C.J.U.E., 23 janvier 2020, Aff. n° C-29/19 (ZP c/ BUNDESAGENTUR FÜR ARBEIT)

Mis en ligne le jeudi 25 juin 2020


Cour de Justice de l’Union européenne, 23 janvier 2020, Aff. n° C-29/19 (ZP c/ BUNDESAGENTUR FÜR ARBEIT)

Terra Laboris

Par arrêt du 23 janvier 2020, la Cour de Justice de l’Union européenne conclut que le Règlement n° 883/2004 s’oppose à une règle nationale prévoyant le calcul des allocations de chômage sur une base moins favorable pour les travailleurs qui ont exercé leur droit à la libre circulation.

Les faits

Un citoyen de nationalité allemande et résidant en Allemagne a travaillé en tant que frontalier pendant 24 ans en Suisse. Il a ensuite entrepris une activité salariée en Allemagne, à laquelle il a été rapidement mis fin par l’employeur (3 semaines de prestations).

Il a sollicité le bénéfice des allocations de chômage et sa demande a été accueillie par une décision de l’Agence, retenant comme salaire de référence un salaire journalier fictif (73,73 euros), l’allocation de chômage étant ainsi de 29,48 euros.

Le droit à l’allocation de chômage a été fixé en tenant compte des périodes d’emploi accomplies en vertu de la législation suisse (Règlement n° 883/2004 et ALCP), mais le salaire perçu en Suisse n’a pas été pris en compte. Un salaire fictif a été retenu au motif que l’intéressé ne pouvait se prévaloir d’une période de référence selon le droit national, à savoir une période d’au moins 150 jours, ouvrant le droit à un salaire en Allemagne, période d’emploi soumise à des cotisations obligatoires. En outre, l’Agence a exclu de son calcul le salaire payé après les relations de travail (décembre 2014) au motif que la loi allemande ne retient que les salaires versés à la fin de celles-ci.

Un recours ayant été introduit devant le Sozialgericht Konstanz (Tribunal du contentieux social de Constance), celui-ci a partiellement fait droit à la demande et a fixé le salaire de base à 93,03 euros au lieu du montant retenu.

Les deux parties ont interjeté appel devant le Landessozialgericht Baden-Württemberg (Tribunal supérieur du contentieux social du Bade-Wurtemberg). Pour le juge d’appel, l’allocation de chômage doit être calculée selon l’article 62 du Règlement n° 883/2004 sur le montant du salaire perçu au titre du dernier emploi occupé en Allemagne, et non sur un salaire fictif tel que calculé par l’Agence.

Un recours a alors été formé par l’Agence devant le Bundessozialgericht (Cour fédérale du contentieux social), qui a considéré qu’une interprétation stricte de l’article 62, § 1er, du Règlement est celle qui a été retenue par les juridictions ayant déjà connu du litige. Cependant, le juge de renvoi s’interroge : la réglementation européenne tend à la coordination des systèmes de sécurité sociale (et non à une harmonisation), les Etats restant compétents pour fixer les conditions auxquelles ils soumettent les prestations de sécurité sociale. Dès lors, se pose la question de l’interprétation de l’article 62 du Règlement, qui fait mention du salaire perçu pour la dernière activité : s’agit-il uniquement d’un rattachement de principe aux fins de la coordination qui n’affecte pas les règles de calcul des prestations sociales ?

La Cour de Justice est dès lors saisie de deux questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 62, §§ 1er et 2.

Les questions préjudicielles

La première question porte sur le point de savoir si doit être retenu le salaire « perçu » pour la dernière activité, même si celle-ci, faute d’une durée suffisante, ne peut être prise en compte, débouchant ainsi sur l’établissement d’un calcul fictif de prestations.

La seconde porte sur la circonstance que le salaire dû (comme en l’espèce), mais qui n’a pas fait l’objet d’un décompte en temps utile, ne peut être intégré en tant que base de calcul dans la période de référence, débouchant ainsi également sur l’établissement d’un calcul fictif.

La décision de la Cour

La Cour rappelle l’article 62, § 1er, du Règlement n° 883/2004 : lorsque la législation d’un Etat membre prévoit que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, il doit être tenu compte exclusivement du salaire perçu par l’intéressé pour la dernière activité salariée qu’il a exercée sous cette législation. Il n’y a aucune dérogation à cette règle (contrairement au Règlement n° 1408/71).

Si la législation d’un Etat membre peut définir une période de référence pour déterminer le salaire de base pour le calcul des prestations sociales, les périodes pendant lesquelles le travailleur a été soumis à la législation d’un autre Etat doivent également être prises en compte aux fins d’établir celles-ci. Il ne peut dès lors être retenu uniquement les périodes d’emploi dans l’Etat membre à l’exclusion de celles accomplies dans un autre Etat (ou la Confédération suisse en l’occurrence). Cette interprétation est conforme aux objectifs du Règlement, la Cour rappelant que celui-ci veut garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes et, ainsi, éviter que le travailleur qui a fait usage de son droit de libre circulation et qui a occupé plusieurs emplois dans des Etats membres différents fasse, sans justification objective, l’objet d’un traitement moins favorable que celui qui n’a pas exercé cette liberté. Raisonner autrement aboutirait à admettre que le travailleur qui fait usage de son droit de libre circulation peut faire l’objet d’un traitement moins favorable que celui qui a effectué toute sa carrière dans le même Etat membre.

La Cour renvoie à son arrêt CRESPO REY (C.J.U.E., 28 juin 2018, Aff. n° C-2/17, INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL c/ CRESPO REY), qui a confirmé la compétence des Etats membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale. Les Etats membres doivent cependant respecter le droit de l’Union (renvoyant ici à C.J.U.E., 7 décembre 2017, Aff. n° C-189/16, ZANIEWICZ-DYBECK c/ PENSIONSMYNDIGHETEN). Calculer, comme en l’espèce, l’allocation sur la base d’un salaire fictif est susceptible d’entraver la libre circulation des personnes.

La réponse à la première question doit dès lors être que le droit de l’Union s’oppose à une telle législation nationale, qui prévoit que le calcul des prestations de chômage repose sur le montant du salaire antérieur, mais ne permet pas, lorsque la période de référence n’est pas atteinte, de tenir compte du salaire perçu par l’intéressé pour cette activité pendant celle-ci.

Pour ce qui est de la seconde question, il découle de la réponse apportée à la première question ci-dessus que, pour les mêmes motifs, le droit de l’Union s’oppose à la législation d’un Etat membre qui ne tient pas compte, pour le calcul des prestations de chômage, du salaire perçu par l’intéressé pour l’activité salariée exercée.

La Cour relève ici une particularité du texte du Règlement n° 883/2004 dans sa version en langue allemande, étant que, contrairement aux autres versions, il est fait état du salaire perçu « pendant » la dernière activité.

Elle revient ici sur les règles d’interprétation en cas de divergence dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union. Il faut donner à ces règles une application uniforme et, en cas de disparité, la disposition doit être interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément.

La réponse à la seconde question est dès lors que le Règlement n° 883/2004 s’oppose également à la législation qui ne retiendrait pas le salaire établi et payé après la cessation de la relation de travail.

Intérêt de la décision

C’est une nouvelle fois le principe de la libre circulation des travailleurs qui donne la réponse à la question posée.

La Cour en revient aux fondamentaux : appliquer le droit interne aboutirait à admettre un traitement moins favorable des citoyens qui ont exercé leur droit à la libre circulation et qui, du fait de circonstances liées à leur dernier emploi (ici le fait que la période de référence n’a pas été suffisamment longue – le droit allemand prévoyant 150 jours), verraient leur allocation de chômage calculée sur une base inférieure à celle à laquelle ils pourraient prétendre.

La Cour renvoie à plusieurs arrêts de sa jurisprudence, dont l’arrêt DREYER (C.J.U.E., 14 mars 2019, Aff. n° C-372/18, MINISTRE DE L’ACTION ET DES COMPTES PUBLICS c/ DREYER – précédemment commenté), où elle a rappelé la définition de la prestation de sécurité sociale en droit européen. Elle renvoie également à l’arrêt CRESPO REY (également précédemment commenté), rendu en matière de calcul de la pension de retraite, ainsi qu’à l’arrêt KLEIN SCHIPHORST (C.J.U.E., 21 mars 2018, Aff. n° C-551/16, KLEIN SCHIPHORST c/ RAAD VAN BESTUUR VAN HET UITVOERINGSINSTITUUT WERKNEMERSVERZEKERINGEN – également précédemment commenté), rendu en matière de chômage et précisant la durée de l’absence du territoire national autorisée au sens du Règlement n° 883/2004.


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