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Accident du travail : règles relatives à la décision de guérison sans séquelles

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 8 octobre 2019, R.G. 18/1.583/A

Mis en ligne le jeudi 9 juillet 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 8 octobre 2019, R.G. 18/1.583/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 octobre 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle que, si la décision de guérison sans séquelles ne doit pas être notifiée par voie recommandée, la preuve de cette notification incombe à l’assureur. Elle peut être recueillie par voie de présomptions au sens de l’article 1349 du Code civil.

Les faits

Suite à un accident du travail survenu le 3 avril 2007, l’assureur-loi a indemnisé la victime dans le cadre de l’incapacité temporaire (incapacité supérieure à 30 jours). Il en fut de même pour un second accident survenu le 24 juin 2009.

L’assureur fait valoir qu’il aurait envoyé, pour chacun de ceux-ci, une décision de guérison sans séquelles, respectivement le 10 septembre 2007 pour le premier accident et le 25 novembre 2009 pour le second.

L’intéressé a introduit une citation le 1er août 2018, exposant qu’il s’agit d’une action en contestation des décisions de guérison sans séquelles.

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur plaide qu’il n’a jamais été tenu informé des suites réservées aux deux accidents et conteste avoir reçu les deux notifications ci-dessus.

L’assureur, au contraire, soutient qu’il a notifié ces deux décisions et que l’action en paiement est dès lors prescrite, sauf en ce qu’elle porte sur la prise en charge d’une intervention chirurgicale (recevable en application de l’article 28 de la loi).

La décision du tribunal

Le tribunal statue sur le texte de la loi tel qu’en vigueur avant la modification législative intervenue par la loi du 21 décembre 2013 portant des dispositions diverses urgentes en matière de législation sociale. A cette époque, la question était visée à l’article 72, alinéa 2, cette disposition précisant que la victime ou ses ayants droit peuvent intenter une action en justice contre la décision de guérison sans incapacité permanente, le délai étant de 3 ans suivant la date de la notification visée à l’article 24.

Le tribunal rappelle que cette disposition (alinéa 2) a été supprimée et que l’article 69 de la loi a été complété par un alinéa 5, qui prévoit actuellement que, dans les cas visés à l’article 24, alinéa 1er, l’action en paiement des indemnités se prescrit par 3 ans à dater de la notification ou de la décision de déclaration de guérison. Cette règle est applicable aux déclarations de guérison notifiées dans un délai de 3 ans précédant la date d’entrée en vigueur. L’article 24, alinéa 1er, de la loi règle le mode de notification, étant que, si l’incapacité temporaire a duré plus de 7 jours, la décision doit être notifiée selon les modalités définies par le Roi. Si elle est de plus de 30 jours, la décision de l’assureur doit être justifiée par un certificat médical, celui-ci pouvant être rédigé par le médecin consulté par la victime ou par son médecin-conseil (le modèle étant déterminé par le Roi).

L’article 24 a été exécuté par un arrêté royal du 9 octobre 2003. Celui-ci exige, en cas d’incapacité de plus de 7 jours, que la notification se fasse par lettre distincte, la date figurant sur la lettre valant comme date de prise de cours du délai visé à l’article 72. Pour l’incapacité de plus de 30 jours, est prévue la formalité du certificat médical (avec modèle conforme), ces notifications devant être adressées à la résidence principale de la victime, sauf dérogation expresse sur demande écrite de celle-ci. La résidence principale est celle reconnue comme telle par la loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques.

L’arrêté royal ne prévoit pas l’obligation de notifier par voie recommandée, ce qui a des répercussions sur la preuve de celle-ci. Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 28 février 2012 (C. trav. Mons, 28 février 2012, R.G. 2011/AM/89), qui a admis la preuve par présomption, conformément à l’article 1349 du Code civil. Le magistrat (ou la loi) peut tirer des conséquences d’un fait connu à un fait inconnu et les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont abandonnées à sa lumière et à sa prudence.

En l’espèce, il passe en revue les éléments permettant de vérifier le respect ou non du délai de 3 ans, des lettres de notification étant produites en copie, pour chacun des deux accidents, ainsi que l’impression d’écrans informatiques. Le tribunal estime que, sauf à considérer qu’il s’agirait de faux documents rédigés pour les besoins de la cause – ce que le demandeur ne soutient pas –, il faut en conclure qu’ils ont bien été envoyés.

Par ailleurs, il fait grief au demandeur de ne pas s’être préoccupé des suites des deux accidents, ayant notamment subi un examen médical suite au premier. Il estime dès lors qu’il y a des présomptions graves, précises et concordantes permettant de conclure que les notifications ont été faites. Le délai de 3 ans est dès lors dépassé et l’action est prescrite.

Cette prescription touche cependant uniquement l’action en tant que demande de contestation de ces décisions, demande assortie d’une désignation d’expert. La demande ne l’est cependant pas pour l’intervention chirurgicale, pour laquelle est désigné un expert sur la question de savoir si celle-ci est de nature à remettre la victime dans un état aussi proche que possible de celui dans lequel elle était avant l’accident (articles 28 et 28bis de la loi). Sur cette question, le tribunal retient qu’il suffit que ces soins aient pu présenter une utilité.

Un expert judiciaire est dès lors désigné à cette seule fin.

Intérêt de la décision

Rappelons qu’en cas de décision de guérison sans séquelles deux actions peuvent être intentées, d’une part l’action en contestation de la décision, qui s’analyse en action en paiement des indemnités, et d’autre part l’action en révision, qui suppose l’absence de contestation sur la décision de guérison sans séquelles elle-même.

Le délai est de 3 ans et il commence à courir dès la notification de la décision, à la condition que le formalisme légal soit respecté.

L’article 24 de la loi a été exécuté, dans un premier temps, par un A.R. du 16 décembre 1987 et actuellement par celui du 9 octobre 2003, qui a abrogé le précédent. Selon celui-ci,

  • en cas d’incapacité temporaire de plus de 7 jours, la notification de la décision de guérison sans séquelles doit intervenir par lettre distincte. La date figurant sur la lettre de l’assureur vaut comme date de prise de cours du délai ;
  • lorsque celle-ci est de plus de 30 jours, le certificat médical de guérison (dont le modèle est joint au texte de l’arrêté) est rédigé par le médecin consulté par la victime ou par le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances.

Ces notifications sont à faire à l’adresse de la résidence principale de la victime sauf dérogation écrite de celle-ci.

Il faut comprendre le terme de notification dans son acception usuelle : le verbe « notifier » signifie « faire savoir dans les formes légales ».

Il n’est pas exigé que la notification intervienne par lettre recommandée de telle sorte qu’un envoi ordinaire suffit à la validité de la notification.

Le texte laisse ainsi entière la question de la preuve de l’envoi effectif de cette lettre. Celui-ci se démontre souvent par la susdite formalité ou, à défaut, par l’un des modes de preuve habituels (aveu de réception par le destinataire, témoignages, présomptions graves, précises et concordantes répondant aux conditions de l’article 1349 du Code civil - C. trav. Liège, 4 oct. 2004, R.G. n° 31.124/02, inédit).

La charge de la preuve de la notification incombe en conséquence à l’assureur.

L’on peut renvoyer à cet égard outre à l’arrêt cité dans le corps du jugement à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 14 mai 2019 (C. trav. Mons, 14 mai 2019, R.G. 2018/AM/318 – précédemment commenté).

La preuve pouvant être apportée par présomptions, l’existence d’un rapport médical circonstancié contestant la décision de guérison sans séquelles a été considérée comme constituant une présomption suffisante pour établir la notification de la décision (C. trav. Mons 28 février 2012, cité). Par contre, ne constitue pas une notification de guérison sans séquelle (conforme à l’article 24, alinéa 1er de la loi du 10 avril 1971 et à l’arrêté royal du 16 décembre 1987) une copie d’un courrier adressé à la mutuelle dont le signataire n’est pas identifié, l’absence de certificat médical (pourtant annoncé comme « joint » - alors même que ce certificat est primordial, vu qu’il permet de constater l’état de la victime (et d’apprécier son éventuelle évolution ultérieurement) -, à quoi s’ajoutent encore qu’il n’est pas mentionné que la consolidation des lésions est acquise sans incapacité permanente et que la prise de cours du délai de contestation ne figure pas (C. trav. Mons, 14 mai 2008, R.G. n° 19.170).

Pointons une décision allant en sens contraire de la solution retenue dans le jugement annoté : en cas de contestation, il appartient à l’assureur d’établir non seulement la matérialité de cette notification mais aussi la date à laquelle il a procédé à celle-ci. Il ne peut se borner à produire la copie détenue par ses services d’un courrier simple par lequel il affirmerait que la victime a été, à une date déterminée, informée de sa guérison sans incapacité permanente (C. trav. Liège, 26 mars 2001, R.G. n° 6.407/99).

Pour la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Brux., 30 avril 2007, R.G. n° 37.220), le délai pour agir ne commence à courir qu’à partir du moment où la victime de l’accident a été valablement informée de la décision en cause.


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