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Allocations familiales indues et délai de prescription de l’action en répétition

Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 17 février 2020, R.G. 15/1.455/A

Mis en ligne le lundi 28 septembre 2020


Dans un jugement du 17 février 2020, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle l’évolution de la question de la prescription en cas de déclarations fausses ou sciemment incomplètes ou de manœuvres frauduleuses ayant abouti à l’octroi d’allocations familiales indues.

Les faits

Depuis septembre 2003, une mère de deux enfants perçoit pour ceux-ci des allocations familiales au taux orphelin. En 2008, elle se remarie et son nouveau conjoint n’est pas domicilié à son adresse avant deux ans et demi. La caisse est alors informée de l’inscription de l’intéressé au domicile et les allocations sont modifiées, étant ramenées au taux ordinaire.

Un indu est réclamé et la prescription est interrompue. Vu le mariage, le nouveau conjoint est devenu attributaire et les allocations sont en partie récupérées à charge de l’organisme débiteur, vu cette situation nouvelle. Reste cependant un reliquat de l’ordre de 6.600 euros, pour lequel une décision de récupération est prise en avril 2015. Une demande de renonciation est introduite, mais sans succès.

Le tribunal du travail, qui a été saisi entre-temps, se prononce par jugement du 17 février 2020.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle l’objectif de la loi, en accordant une allocation majorée aux enfants qui ont perdu un parent. Il s’agit de parer à l’insuffisance des ressources provenant de l’absence de salaire du chef de famille. Renvoi est ici fait à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 mars 2004 (C. const., 24 mars 2004, n° 55/2004), qui renvoie lui-même aux travaux préparatoires.

Le défunt avait la qualité de travailleur indépendant et était applicable l’arrêté-royal du 8 avril 1976, en son article 8, qui prévoit notamment que le conjoint survivant perd la qualité d’attributaire s’il se remarie ou s’il forme un ménage de fait avec une personne autre qu’un parent ou allié jusqu’au troisième degré inclusivement. Cette qualité peut être recouvrée si la cause d’exclusion ci-dessus cesse d’exister ou si, étant remarié, il ne cohabite plus avec le conjoint avec lequel un nouveau mariage a été contracté. Des conditions sont mises à l’officialisation de la séparation de fait, aux fins de vérifier si elle est effective. La disposition prévoit une présomption de formation de ménage de fait, lorsqu’il y a cohabitation entre des personnes qui ne sont ni parentes ni alliées jusqu’au troisième degré inclusivement. Il s’agit d’une présomption réfragable.

L’enfant orphelin perd sa qualité d’attributaire en cas de remariage ou de ménage de fait du parent survivant. Le conjoint survivant est ainsi attributaire en fonction de l’article 8 s’il bénéficie d’une prestation de survie dans le régime de pension des travailleurs indépendants et dans les autre cas, l’orphelin lui-même a cette qualité.

Le tribunal rappelle encore l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt ci-dessus, qui a conclu que la différence de traitement entre les orphelins dont le parent survivant s’est marié ou a fondé un nouveau ménage, repose sur un critère objectif en rapport avec le but poursuivi.

En l’espèce, le tribunal écarte les explications données par la demanderesse, qui considère d’une part avoir été induite en erreur par les questions posées dans les documents annuels de vérification de son droit aux allocations et, d’autre part, qui tentent d’assimiler sa situation (absence de cohabitation en début du mariage) avec celle visée par l’arrêté royal, qui porte sur la cessation d’une cohabitation (« qui ne cohabite plus » avec son nouveau conjoint). Il s’agit de deux hypothèses différentes, qui ne peuvent être assimilées. L’absence de cohabitation d’une veuve avec son nouvel époux n’a pas d’incidence sur le droit aux allocations familiales, la loi prévoyant que le seul mariage du parent survivant entraîne la perte du bénéfice du taux majoré (6e feuillet du jugement).

Il existe dès lors bien un indu.

Se pose cependant une question de prescription, pour laquelle le tribunal rappelle qu’au moment du litige, l’action en répétition de prestations indues se prescrit par cinq ans, le point de départ étant la date à laquelle le paiement a été effectué. Ceci en l’absence de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes, pour lesquelles il faut se reporter à l’article 2262bis du Code civil, qui prévoit un délai de dix ans. Cependant, une modification est intervenue dans le secteur, vu l’uniformisation des droits, le régime des allocations familiales pour travailleurs indépendants ayant été intégré dans le régime de la loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales par la loi du 4 avril 2014. Depuis son entrée en vigueur (30 juin 2014), le système commun aux deux secteurs (travailleurs indépendants et travailleurs salariés) est de fixer un délai de trois ans à partir du paiement, l’hypothèse des manœuvres frauduleuses ou des déclarations fausses ou sciemment incomplètes faisant l’objet d’un délai de cinq ans pour lequel le point de départ prend cours à la date à laquelle l’institution a eu connaissance de la fraude, du dol ou des manœuvres frauduleuses (article 120bis).

En l’espèce, le délai de prescription nouveau est inférieur et la question se pose, vu que le droit est né avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (30 juin 2014). Dans cette hypothèse, le nouveau délai de prescription prend cours au plus tôt au moment où la loi nouvelle est entrée en vigueur, sans cependant faire obstacle à la prescription acquise en application de la loi antérieure (le tribunal renvoyant à Cass., 30 novembre 2009, n° C.08.0498.N).

En l’espèce, il y a eu des déclarations sciemment incomplètes (absence de mention du mariage). Ceci est constitutif de mauvaise foi et justifie pour le tribunal l’application du délai plus long prévu dans ce cas de figure.

Il était ainsi de dix ans et a été ramené à cinq ans par l’article 120bis L.G.A.F. Cette disposition étant une règle de procédure, elle s’applique aux procès en cours au moment de son entrée en vigueur. Se pose dès lors la question de savoir quel est le délai applicable à la demande reconventionnelle introduite par la caisse en répétition des montants réclamés.

Les parties ne s’étant pas expliquées à suffisance, le tribunal ordonne la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Plusieurs décisions sont intervenues sur la question des déclarations sciemment fausses ou incomplètes ou de manœuvres frauduleuses dans la matière des allocations familiales.

L’on peut renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 28 mai 2010 (C. trav. Bruxelles, 28 mai 2010, R.G. 2006/AB/48.496), qui, sur le plan de la prescription, a rappelé la modification législative intervenue. Il s’agissait en l’espèce d’allocations familiales ordinaires (les enfants n’étant manifestement pas éduqués en Belgique et aucune dérogation n’étant intervenue). Le tribunal y a rappelé la définition de manœuvres frauduleuses, étant qu’il doit s’agir de l’agissement volontairement illicite dont le bénéficiaire de prestations sociales use pour en obtenir indûment l’octroi de sorte que la création de l’indu dans ce cas a pour cause la volonté malicieuse d’y déboucher. Le renvoi est fait à deux arrêts de la Cour du travail de Mons, l’un du 19 mai 1993 (C. trav. Mons, 19 mai 1993, R.G. 91/18.346) et l’autre du 27 août 1998 (C. trav. Mons, 27 août 1998, R.G. 14.223). En l’espèce, l’inscription des enfants était maintenue au domicile mais ceux-ci avaient (pour l’un d’entre eux en tout cas) quitté la Belgique depuis de longues années. Les parents ne pouvaient dès lors ignorer les conséquences de la situation. L’absence de déclaration correcte constitue des déclarations fausses ou sciemment incomplètes. La question s’était posée précédemment en jurisprudence de savoir si l’indu portant sur des prestations de sécurité sociale pouvait rentrer dans le champ d’application de l’article 2277 du Code civil, question à laquelle la Cour de cassation avait, dans des arrêts anciens, répondu par la négative.

La Cour constitutionnelle est intervenue dans un arrêt du 19 janvier 2005 (C. const., 19 janvier 2005, n° 15/2005) et dans un second du 17 janvier 2007 (C. const., 17 janvier 2007, n° 13/2007) et, suite à cette position de la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation a admis dans son arrêt du 25 janvier 2010 (Cass., 25 janvier 2010, n° C.09.0410.F) que la dette qui présente le caractère d’avoir augmenté chaque mois rentre dans le champ d’application de l’article 2277 du Code civil (la discussion portant sur une éventuelle distinction à faire entre une dette de capital et une dette périodique). La cour du travail rappelle encore les interventions ultérieures de la Cour constitutionnelle, qui a notamment jugé dans son arrêt du 19 janvier 2005 (C. const., 19 janvier 2005, n° 13/2005) qu’il ne pouvait être admis de réclamer un indu dans un délai de cinq ans dans le cas où ce paiement n’était pas lié à une fraude et pendant dix ans dans le cas il l’était. Cet arrêt a amené le législateur à intervenir, l’article 120bis ayant été modifié par la loi-programme du 20 juillet 2006.


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