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Âge de la pension et incapacité de travail

Trib. trav. Liège (div. Liège), 2 mars 2020, R.G. 18/3.750/A

Mis en ligne le lundi 28 septembre 2020


Dans un jugement du 2 mars 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) examine les différences de traitement en matière d’indemnités AMI pour les travailleurs qui sont toujours sous contrat de travail à l’âge de la retraite et n’ont pas sollicité celle-ci, différence prévue à l’article 108 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, selon que l’incapacité de travail intervient avant ou après l’âge de la pension (texte antérieur à la loi du 7 avril 2019 relative aux dispositions sociales de l’accord pour l’emploi).

Les faits

Un assuré social est en incapacité de travail à partir du 1er juillet 2018. Il remet alors un certificat le couvrant jusqu’au 29 juillet, ainsi qu’un suivant, qui le couvrira jusqu’au 28 septembre 2018. La mutuelle accuse réception de ceux-ci et l’informe le 10 septembre que son indemnisation a pris fin à la date du 31 juillet, vu qu’il a atteint l’âge légal de la pension.

L’intéressé conteste cette décision devant le Tribunal du travail de Liège, lui demandant d’écarter l’article 108, 1°, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, qui limite notamment (3° ?) les indemnités à la veille du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel l’assuré social peut faire valoir ses droits en matière de pension. Il estime qu’il y a une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, vu la discrimination introduite entre le travailleur âgé de moins de 65 ans en incapacité de travail qui peut prétendre aux indemnités et celui qui a dépassé cet âge et a poursuivi son occupation professionnelle, qui ne peut, s’il tombe en incapacité, prétendre au bénéfice des indemnités correspondantes. Une question est proposée à destination de la Cour constitutionnelle.

La décision du tribunal

Le tribunal renvoie au texte de l’article 108 de la loi coordonnée, qui refuse le droit aux indemnités le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel l’assuré social a atteint l’âge de la pension, déterminé par la loi du 26 juillet 1996 et son arrêté d’exécution du 23 décembre 1996, à partir du premier jour du deuxième mois qui suit celui au cours duquel l’incapacité de travail a débuté si le titulaire a continué à travailler après l’âge de la pension et à partir du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel il peut faire valoir ses droits à quelque titre que ce soit en matière de pensions (vieillesse, retraite ou avantages assimilés). Le tribunal relève qu’en vertu de cette disposition, si le travailleur a dépassé l’âge légal de la pension mais qu’il n’a pas fait valoir ses droits dans ce secteur et poursuit une activité professionnelle salariée, il ne peut plus bénéficier des indemnités d’incapacité de travail et qu’il n’a d’autre choix que de demander sa pension s’il veut bénéficier d’un revenu de remplacement.

La loi du 7 avril 2019 relative aux dispositions sociales de l’accord pour l’emploi a modifié l’article 108 pour les incapacités qui débutent à partir de la date de son entrée en vigueur (1er mai). Il est précisé dans les travaux préparatoires que l’objectif du législateur est d’encourager la poursuite du travail au-delà de l’âge légal du départ à la retraite et de prévoir, en conséquence, une protection sociale suffisante pour ces travailleurs. Certains peuvent poursuivre leur activité professionnelle sans demander leur pension, ainsi dans le but d’atteindre une fraction de carrière complète et recevoir ultérieurement une pension de retraite correspondante. En outre, pour les pensions de retraite prenant cours à partir du 1er janvier 2019, l’on prend en compte les périodes d’occupation, même après que la carrière globale complète aura été obtenue (soit 14040 jours équivalant temps plein). Ceci également pour obtenir une pension plus élevée. Les travaux préparatoires relèvent également que le travailleur salarié qui continue à travailler après l’âge légal de la pension n’a qu’un droit très limité à des indemnités en cas d’incapacité de travail. Elles seront refusées à partir du premier jour du deuxième mois suivant celui au cours duquel l’incapacité a débuté. Vu l’octroi du salaire garanti, si l’incapacité de travail dure plus d’un mois, les indemnités sont accordées pour une durée très limitée, voire nulle. En outre, la période de maladie ne permet pas de constituer des droits de pension supplémentaires. Le droit aux indemnités est donc élargi dans le temps aux 6 premier mois de la période d’incapacité primaire pour les titulaires qui n’ont pas encore bénéficié de la pension. Le droit élargi concerne également l’hypothèse où le titulaire tombe malade avant le premier jour du mois qui suit celui de l’âge de la pension : à dater de ce jour et pendant une période de 6 mois, il peut être indemnisé (doc. parl. doc. 54/3464 2018/2019, proposition de loi, pp. 8-10). La demande concerne la mouture du texte avant cette modification légale. Le bénéfice des indemnités n’est possible que si le travailleur est toujours sous contrat de travail et n’a pas demandé sa pension et s’il a atteint l’âge légal de la pension en cours d’incapacité. Le tribunal retient que, vu le bref délai d’octroi, et particulièrement son point de départ, ce texte ne vise que la survenance d’une incapacité de travail après l’âge de la pension.

Il examine, ensuite, la question de la discrimination soulevée par la partie demanderesse, soulignant que, dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle exige que soit passé un test en trois étapes, étant de savoir (i) si la différence de traitement est fondée sur un critère objectif, (ii) si elle est justifiée et (iii) si elle est proportionnée au but poursuivi. Le tribunal relève une première discrimination possible, étant que, dans le cas de figure (existence d’un contrat de travail après l’âge de la retraite, absence de demande de bénéfice de la pension), selon que l’incapacité de travail survient avant l’âge de 65 ans (qui sera couverte par les indemnités AMI) et celle qui débute après l’âge de la pension (qui ne fera l’objet d’indemnités que pendant une très courte période, période pouvant être nulle – cf. ci-dessus).

Une première question est dès lors posée à la Cour constitutionnelle.

Dans la première branche, ajouter : « ces indemnités étant refusées dès le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel l’âge légal de la pension est atteint ».

Le demandeur soulève quant à lui une deuxième question, reposant sur la différence de traitement entre les travailleurs de moins de 65 ans et ceux ayant dépassé cet âge, tous deux dans l’hypothèse d’une incapacité de travail. Pour le tribunal, la différence repose sur un critère objectif, qui est l’âge du travailleur. Pour ce qui est de la justification et de la proportion, si l’article 100 contient une limitation de l’octroi des indemnités dans le temps, c’est au motif que le travailleur peut, à l’âge de 65 ans, bénéficier d’une pension de retraite, le législateur considérant qu’en cas d’incapacité de travail, celle-ci doit être à charge du secteur pensions à partir de ce moment.

Sur le plan de la proportion, le tribunal s’interroge sue le rapport de la mesure à l’objectif poursuivi, le travailleur perdant très rapidement son droit aux indemnités d’incapacité et étant contraint à demander sa pension dès la fin de la période du salaire garanti, et ce même si l’incapacité est susceptible d’être de courte durée. En cas de reprise du travail, il ne sera plus possible de cotiser pour la pension, qui est figée, alors qu’il peut avoir intérêt à la compléter (et ce même dans le nouveau régime, puisque le principe d’unité de carrière peut être dépassé). Le tribunal relève qu’actuellement, il y a une couverture durant les 6 premiers mois d’incapacité des travailleurs toujours actifs, ainsi que la possibilité pour celui qui tombe malade avant le premier jour du mois suivant l’âge de 65 ans de se voir encore indemniser pour une période de 6 mois. Ces mesures rendent la différence de traitement davantage proportionnée, vu la règle des 6 mois.

Le tribunal pose en conséquence une seconde question à la Cour constitutionnelle concernant la différence de traitement existant avant la modification légale.

Intérêt de la décision

Le tribunal est saisi de la mouture de l’article 108 avant la modification du texte par la loi du 7 avril 2019 relative aux dispositions sociales de l’accord pour l’emploi (date en vigueur : 1er mai 2019), qui est applicable aux incapacités de travail débutant à partir de cette date.

La modification législative a eu pour effet d’allonger la période pendant laquelle les indemnités sont payées en cas d’incapacité de travail.

Le tribunal a relevé dans le texte antérieur des questions qui interpellent, étant l’application d’une différence de traitement pour les travailleurs âgés de 65 ans et plus, selon que l’incapacité de travail intervient avant cet âge ou après. Aucune référence n’est faite dans ce texte à la durée de cette incapacité et tel est l’objet de la modification législative, vu que les désavantages du système antérieur sont évidents, dans la mesure où, une fois privé de son revenu AMI, le travailleur qui n’a pas pris sa pension et qui reste en incapacité de travail se retrouve sans revenus. Il devrait même, dans cette situation, devoir recourir au régime de la pension de retraite, sans pouvoir revenir en arrière ultérieurement.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle est attendu avec intérêt.


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