Terralaboris asbl

Conditions de débition de cotisations de sécurité sociale sur des avantages accordés par l’employeur

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 13 février 2020, R.G. 18/813/A

Mis en ligne le mercredi 28 octobre 2020


Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 13 février 2020, R.G. 18/813/A

Conditions de débition de cotisations de sécurité sociale sur des avantages accordés par l’employeur

Dans un jugement du 13 février 2020, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle les conditions dans lesquelles des avantages accordés et non limités à des fins strictement professionnelles sont passibles de cotisations de sécurité sociale (et/ou de cotisations de solidarité), et ce essentiellement pour ce qui est de PC portables et de l’utilisation d’un véhicule.

Les faits

En septembre 2016, l’O.N.S.S. informe le FOREm qu’il va procéder à un contrôle général de l’application de la législation en matière de sécurité sociale. Il s’intéresse particulièrement aux ordinateurs portables et aux véhicules de société dont bénéficie le personnel.

Dans son audition, le représentant du FOREm donne des explications quant aux conditions d’utilisation des PC portables et des véhicules de service. Il souligne que, pour certaines fonctions, certains ordinateurs portables sont indispensables, les membres du personnel ayant des droits administrateurs, étant principalement ceux du service information et du service d’analyse du marché de l’emploi. Pour les véhicules de service, il donne également des explications sur l’obligation légale de les prendre et de les déposer le jour même sur le site qui gère ces véhicules, si l’employeur entend que ceux-ci ne soient pas soumis à cotisations de sécurité sociale.

Des discussions se poursuivent quant aux conditions d’utilisation de ces deux avantages. En fin de compte, l’O.N.S.S. notifie une régularisation d’office sur pied de l’article 22 de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Celle-ci porte sur des abonnements GSM, des véhicules de société, des PC portables, des connexions internet à domicile et des cadeaux d’ancienneté.

Le FOREm conteste l’assujettissement des PC portables et des véhicules de fonction. Il estime que la décision de régularisation d’office n’est pas motivée, ne répondant pas aux considérations de droit et de fait requises, et qu’elle est, dès lors, irrégulière. Par ailleurs, il estime que les PC portables et les véhicules de société ont un caractère exclusivement professionnel, une convention étant passée avec les agents concernés et le règlement de travail prévoyant des conditions d’octroi.

Le FOREm paie les cotisations réclamées mais introduit une procédure devant le tribunal du travail. L’O.N.S.S., pour sa part, demande reconventionnellement condamnation du FOREm au paiement des cotisations, celles-ci étant de l’ordre de 128.700 euros.

La décision du tribunal

Le tribunal s’attache en premier lieu à l’examen de la motivation.

Une décision de régularisation est un acte administratif qui émane d’une autorité administrative, s’agissant d’un acte juridique qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou de plusieurs administrés ou d’une autre autorité administrative. Examinant la décision, le tribunal conclut qu’elle est suffisamment motivée tant en droit qu’en fait.

Pour ce qui est du fond, il passe à l’examen de la notion de rémunération en droit de la sécurité sociale, telle qu’admise généralement. Renvoyant à la doctrine de N. WELLEMANS (N. WELLEMANS, Les rémunérations alternatives. Comment doper (le salaire de) vos travailleurs ?, Anthémis, 2018, p. 28), il reprend la définition suivante : tout ce que le travailleur reçoit en raison de son statut de travailleur salarié entre dans le cadre de la rémunération et est soumis aux cotisations de sécurité sociale, sauf exceptions explicites. Cela signifie que les cotisations ne sont pas seulement dues sur la rémunération brute proprement dite mais également sur de nombreux avantages.

C’est l’employeur qui doit, en vertu de l’article 14, § 4, de la loi O.N.S.S., apporter la preuve du caractère strictement professionnel de l’avantage accordé.

Pour les deux éléments visés, le tribunal examine d’abord le sort fiscal. Pour le PC, si celui-ci est mis à disposition uniquement pour des besoins professionnels, il n’y a pas d’avantage imposable. Des conditions sont cependant mises par le C.I.R. (le tribunal citant avec le FOREm une circulaire n° Ci.RH.241/616.975 du 16 janvier 2014 – AGFisc n° 2/2014). Si un véhicule est mis à disposition mais n’est pas réservé uniquement à des fins professionnelles, il y a un avantage, soumis au paiement d’une cotisation de solidarité (due par l’employeur) en vertu de l’article 38, § 3quater, 1°, de la loi du 29 juin 1981. La cotisation est liée au taux d’émission du CO2 du véhicule.

Pour qu’il y ait mise à disposition à des fins autres que strictement professionnelles, il faut que soient autorisés le déplacement domicile-lieu de travail, tout usage privé, ainsi que le transport collectif de travailleurs. Dans les autres hypothèses, il n’y a pas lieu de payer la cotisation de solidarité. Le tribunal renvoie encore, sur cette question, à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 23 novembre 2017, R.G. 2016/AM/196), qui a jugé que ne sont pas considérés comme des déplacements domicile-lieu de travail les déplacements que le travailleur effectue avec un véhicule ordinaire de son domicile pour se rendre à un lieu qui n’est pas un lieu fixe de travail.

En l’espèce, les conditions d’utilisation sont scrupuleusement examinées, tant pour ce qui est de l’usage professionnel que privé.

Pour les PC, il y a usage professionnel, dans la mesure où les bénéficiaires sont amenés à se déplacer sur les sites du FOREm (au nombre de 220) pour des formations, séminaires, etc. Ceci implique que les PC doivent être emportés par les travailleurs, et ce même à leur domicile. Par ailleurs, l’usage privé est possible dans la mesure où l’employeur ne peut avoir un contrôle absolu de l’utilisation faite du PC (internet, réseaux sociaux, sites commerciaux), ceci ne signifiant pas que l’usage privé était autorisé. Cependant, les éléments produits, loin d’apporter la preuve de l’interdiction de l’usage privé des PC, montrent au contraire que celui-ci était toléré.

Le tribunal constate encore que, si des mesures sont intervenues pour remédier à la chose par un contrôle sévère, c’est après la période litigieuse. Dès lors, le FOREm ayant la charge de la preuve du caractère purement professionnel mais ne l’établissant pas, le tribunal fait droit à la demande de l’O.N.S.S. sur cet avantage.

Reste la question de l’usage privé d’un véhicule de société, le tribunal resserrant le débat autour de la question de savoir si, en dehors de cas bien précis, les travailleurs peuvent utiliser les véhicules mis à leur disposition et, si cet usage privé était interdit, si le FOREm a mis en place un système de contrôle avec sanction.

Le même constat est fait quant à ces mesures, étant que, si elles existent, elles concernent une période postérieure à celle examinée. L’employeur ne rapporte pas ici non plus la preuve de l’usage strictement professionnel et le tribunal fait donc droit à la demande de l’O.N.S.S.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par le Tribunal du travail du Hainaut concerne une problématique récurrente, étant de déterminer dans quelle mesure des avantages, qui par nature ont certes un caractère professionnel, sont néanmoins passibles de cotisations de sécurité sociale, dans la mesure où ils ont un caractère également rémunératoire, pouvant être utilisés par leur bénéficiaire à des fins privées.

Le tribunal a renvoyé à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 23 novembre 2017 (R.G. 2016/AM/196 – précédemment commenté) concernant la débition de cotisations de solidarité sur des véhicules utilitaires mis à disposition des travailleurs. La cour du travail avait, dans cet arrêt très fouillé, repris les conditions de débition.

Elle avait déjà rendu, précédemment (C. trav. Mons, 10 octobre 2013, R.G. 2012/AM/326), un arrêt sur cette cotisation de solidarité et de sécurité sociale sur véhicules utilitaires et, de même, la Cour du travail de Bruxelles avait tranché une autre espèce dans un arrêt du 24 août 2011 (C. trav. Bruxelles, 24 août 2011, R.G. 2008/AB/51.380).

Pour les avantages en nature, de manière générale, le tribunal rappelle à très juste titre qu’il appartient à l’employeur d’établir l’usage strictement professionnel – ce qui n’a pas été fait dans le cas d’espèce, le doute profitant à la partie qui n’a pas la charge de la preuve.

Relevons encore à cet égard un arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 2014 (Cass., 8 décembre 2014, n° S.13.0099.N), qui concerne l’usage privé d’un laptop : si l’avantage est attribué gratuitement mais qu’il fait l’objet d’une évaluation fiscale forfaitaire (PC, raccordement et abonnement internet), il y a un avantage en nature, dont la contre-valeur correspond à l’évaluation fiscale – il n’est pas imposé à l’O.N.S.S. de démontrer le caractère privé de l’utilisation faite de l’avantage ainsi accordé (cassation de C. trav. Bruxelles, 13 décembre 2012).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be