Terralaboris asbl

Cohabitation et droit aux allocations familiales majorées

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 mai 2020, R.G. 2019/AB/464

Mis en ligne le lundi 30 novembre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 7 mai 2020, R.G. 2019/AB/464

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles reprend les exigences posées par la Cour de cassation en matière de chômage et les applique à un litige relatif à un supplément d’allocations familiales pour une allocataire en incapacité de travail de longue durée.

Les faits

Une mère de famille, invalide, bénéficie depuis 2014 d’allocations familiales majorées.

Suite à une enquête de police faite en 2016, il a été porté à la connaissance de l’Auditeur du travail de Louvain qu’il y aurait cohabitation.

L’I.N.A.M.I. a dès lors demandé à l’organisme assureur d’effectuer une visite de contrôle sur la base des renseignements fournis par la police. Le résultat de ce contrôle concluait à la cohabitation et, dès lors, à un indu.

Ce contrôle fut également communiqué à la section Fraude de FAMIFED, qui demanda alors à la caisse de vérifier le droit de l’intéressée aux allocations.

Il fut ici également conclu à la cohabitation, de telle sorte que le supplément fut considéré comme indu, les allocations étant adaptées et un remboursement étant demandé.

La bénéficiaire introduisit un recours devant le Tribunal du travail de Louvain, contestant ces conclusions.

Ce recours fut déclaré non fondé par jugement du tribunal du 7 mai 2019 et la demanderesse originaire interjeta appel.

Position des parties devant la cour

La mère ne conteste pas qu’elle avait une relation avec un tiers et que celui-ci se trouvait fréquemment à son domicile. Elle considère cependant que les conditions légales pour que l’on puisse conclure à une cohabitation ne sont pas remplies. La première composante, étant la vie sous le même toit, n’est pas présente, non plus que la mise en commun des questions ménagères. Pour l’appelante, qui renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question, l’on ne peut en l’espèce parler de cohabitation, même si les parties reconnaissent une relation suivie. Chacun a, en effet, un domicile séparé et supporte complétement les charges de son propre ménage (loyer, prêt de l’immeuble, électricité, eau, chauffage et courses). Chacun en outre a sa propre voiture. Elle souligne qu’aucun élément figurant dans le dossier de la police n’est susceptible d’apporter la preuve de la cohabitation avec ce tiers.

Pour la caisse, intimée, le jugement doit être confirmé au motif que l’inspecteur de quartier a confirmé que ce tiers était très peu présent à son propre domicile et qu’il n’y venait qu’aux fins de relever sa boîte aux lettres. Par ailleurs, le contrôle effectué chez la mère des enfants avait fait apparaître que des vêtements masculins s’y trouvaient.

La décision de la cour

La cour procède à un rappel des principes contenus dans la loi du 19 décembre 1939, dont l’article 40 détermine le montant des allocations, des compléments étant prévus à l’article 50ter.

La réglementation a été complétée par l’article 1er de l’arrêté royal du 26 octobre 2014, qui procède à la distinction entre l’allocataire qui vit seul avec un ou plusieurs enfants pour lesquels le droit aux allocations est ouvert et l’allocataire qui vit avec un ou plusieurs enfants et son conjoint ou un tiers avec qui il (elle) forme un ménage de fait. La loi relative aux allocations familiales ne donne pas une description plus précise de la notion de « ménage de fait » (hors article 56bis, § 2, relatif à la cohabitation du parent survivant avec une personne qui n’est ni parente ni alliée jusqu’au troisième degré).

La décision administrative se réfère à trois éléments, étant que le couple cohabite et est domicilié à la même adresse, qu’ils ne sont pas parents ou alliés jusqu’au troisième degré et qu’ils contribuent financièrement ou d’une autre manière à l’entretien du ménage. La cour constate cependant, pour le premier point, que ceci est inexact, puisque des domiciles séparés existaient et qu’ils étaient effectifs. L’intéressée n’étant ni parente ni alliée avec le tiers en question, la deuxième condition n’est pas davantage remplie. Reste donc à examiner essentiellement la question de la cohabitation.

La cour renvoie à la jurisprudence rendue en matière de chômage, étant l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 octobre 2017 (Cass., 9 octobre 2017, n° S.16.0084.N), jurisprudence confirmée dans plusieurs arrêts de la même cour du 22 janvier 2018.

Elle examine dès lors ce qu’il en était dans la pratique, eu égard aux exigences posées par la Cour suprême pour qu’il y ait cohabitation, à savoir le fait de vivre sous le même toit et de mettre principalement en commun les charges ménagères. Ceci suppose qu’existe un avantage économico-financier, découlant du partage de l’habitation. La Cour suprême a exigé que soit établie l’existence de tâches, d’activités et d’autres éléments d’ordre ménager tels que l’entretien du domicile éventuellement, l’organisation de la lessive, des courses, ainsi que la préparation des repas, toutes tâches qui doivent être exécutées ensemble et entraîner, dès lors, une économie de moyens financiers.

En l’espèce, rien de tel n’existe, l’allocataire ayant produit tous les éléments permettant de vérifier qu’elle se charge seule de ces frais. Il s’agit non seulement des « gros frais » (impôts, polices d’assurances, internet, etc.), mais également des frais médicaux et des frais de la vie courante. Aucun élément n’est produit établissant l’intervention du tiers dans ceux-ci.

Il n’est dès lors pas confirmé, d’après les données du dossier, qu’il y a eu cohabitation au sens légal.

Le jugement est dès lors réformé et la cour a confirmé que la mère conservait la qualité de travailleuse en incapacité de travail avec charge de famille et ne cohabitait pas. Elle est donc rétablie dans ses droits.

Intérêt de la décision

Ce nouvel arrêt de la Cour du travail de Bruxelles confirme qu’il est actuellement acquis, au niveau des juridictions de fond, que la cohabitation en matière de sécurité sociale a un sens spécifique. Cette notion a été balisée dans divers arrêts de la Cour de cassation, qui impliquent non seulement la réalisation d’une économie d’échelle du fait de la cohabitation, mais également que diverses mesures aient été mises en œuvre par les « cohabitants » aux fins de gérer leur quotidien dans le sens de la réalisation d’économies.

L’on notera que, dans l’arrêt repris par la Cour du travail, la Cour de cassation avait été à ce point exigeante dans les conditions requises qu’elle avait même énoncé les tâches ménagères à vérifier, étant la lessive, les courses, etc. Il est assez rare de voir la Cour de cassation se livrer à une telle énonciation. Ceci indique dès lors à suffisance l’importance que revêt cet examen, puisque c’est à travers celui-ci que peut être vérifiée la condition d’économie d’échelle. L’on notera également que l’ensemble des autres éléments examinés par la cour (présence régulière du tiers chez la mère, présence également de son véhicule près du domicile, présence d’un nécessaire à raser et d’un pantalon dans son appartement (!)) sont évidemment insuffisants pour renverser les critères légaux exigés par la Cour de cassation dans sa jurisprudence.

Cette matière trouve ainsi, espérons-là, une clarification bien nécessaire.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be