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Etudes à l’étranger dans le cadre d’un programme « Erasmus junior » et allocations familiales

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 11 mars 2020, R.G. 2019/AU/5

Mis en ligne le jeudi 10 décembre 2020


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 11 mars 2020, R.G. 2019/AU/5

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 mars 2020, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) confirme un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Arlon) annulant un refus par le SPF Sécurité sociale de dérogation à la condition de résidence dans le Royaume en cas d’études suivies aux Etats-Unis dans le cours d’études secondaires en Belgique.

Les faits

Une étudiante dans l’enseignement secondaire, bénéficiaire d’allocations familiales, va aux Etats-Unis pendant l’année scolaire 2017-2018 pour suivre des études dans le cadre d’un programme « Erasmus junior ». Pendant cette période, elle reste inscrite à l’école où elle suit habituellement son enseignement secondaire. Cette école validera également sa réussite pour l’année en cours.

Le programme d’échange scolaire intervient via un organisme reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, les cours aux Etats-Unis étant suivis dans un établissement de l’enseignement officiel.

En ce qui concerne les allocations familiales, la mère a informé la caisse du départ de sa fille, et ce en mai 2017, en vue de l’année scolaire 2017-2018.

La demande de dérogation introduite auprès du SPF Sécurité sociale est rejetée. Celui-ci considère qu’aucun élément ne démontre que la situation est socialement digne d’intérêt et que, par ailleurs, ne sont pas suivies des études d’un niveau supérieur, la jeune fille ne résidant pas, non plus, à l’étranger pour raisons médicales.

Les allocations familiales sont dès lors refusées par la caisse au motif que les conditions de l’article 52 de la loi générale relative aux allocations familiales ne sont pas remplies et que le Ministre a rendu un avis défavorable quant à la demande de dérogation.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Arlon), qui fait droit à la demande, sur avis conforme de l’auditeur du travail. La caisse FAMIWAL interjette appel.

Les arrêts prononcés par la cour

La cour a rendu deux arrêts.

L’arrêt du 13 novembre 2019

Dans cet arrêt (non publié), la cour a annulé la décision du SPF Sécurité sociale rejetant la demande de dérogation. Cette annulation intervient au motif de motivation non adéquate, la décision étant considérée comme entachée d’un vice de légalité manifeste. La cour a donné un délai de trois mois maximum au SPF Sécurité sociale aux fins de prendre une nouvelle décision (le SPF faisant défaut tant en première instance qu’en appel) et a rappelé que, s’il dispose d’un pouvoir discrétionnaire sur lequel les cours et tribunaux ne peuvent empiéter, ce pouvoir doit être effectivement et régulièrement exercé. Dans l’hypothèse où la décision demandée n’interviendrait pas, la cour a conclu qu’elle n’aurait pas d’autre choix que de statuer elle-même, des indications étant données pour ce qui est de la décision à prendre, étant que (i) il s’agit d’un programme « Erasmus junior » reconnu et validé en Belgique, (ii) ce programme est organisé par un organisme reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, (iii) les cours sont suivis dans un établissement de l’enseignement officiel et (iv) l’existence d’un cas digne d’intérêt (qui aurait été retenu si l’étudiante avait suivi une deuxième rhéto aux Etats-Unis).

En outre, la cour a exigé la production de l’ensemble des circulaires ministérielles et administratives pertinentes relatives à l’article 52 L.G.A.F., demandant à être éclairée sur tout ce qui est relatif au cas d’une seconde rhéto à l’étranger, aux hypothèses de cours suivis dans un Etat membre de l’Union, aux programmes Erasmus, tant pour le secondaire que pour le supérieur.

Une comparution personnelle du Président du Comité de Direction du SPF Sécurité sociale a également été ordonnée.

L’arrêt du 11 mars 2020

La cour constate qu’il n’a pas été donné de suite à sa demande de prise d’une nouvelle décision, des circulaires étant cependant produites sur les questions posées. La cour épingle la Circulaire ministérielle n° 599 du 16 juillet 2007, contenant une dérogation générale en faveur de certaines catégories d’enfants (ceux-ci ayant obtenu un diplôme de fin d’études de l’enseignement secondaire, qui suivent un enseignement non supérieur dans un pays hors Espace Economique Européen, un enseignement supérieur dans un de ces pays sans avoir de diplôme de l’enseignement supérieur au préalable, et enfin ceux qui ont un tel diplôme et y suivent un enseignement supérieur).

Trois conditions sont mises pour que la dérogation soit admise, étant que (i) l’étudiant doit rester inscrit dans les registres de la population et y conserver sa résidence principale, (ii) qu’il n’ait pas droit à d’autres allocations familiales et (iii) que ne soit pas exercée une activité lucrative dans ce pays par une personne à la charge de laquelle il se trouverait (père, mère, beau-père, belle-mère ou compagnon).

Pour la cour, le cas de l’étudiante doit être considéré comme digne d’intérêt au motif que, si elle avait suivi une année de l’enseignement secondaire aux Etats-Unis après avoir terminé ses études secondaires en Belgique, elle aurait eu une dérogation pendant un an. La première catégorie visée à la Circulaire ministérielle n° 599 vise en effet les enfants ayant déjà obtenu en Belgique un diplôme de fin d’études de l’enseignement secondaire et suivant un enseignement non supérieur dans un pays hors E.E.E. Ne pas lui accorder à titre individuel la dérogation crée une différence de traitement injustifiée en sa défaveur.

La cour fait dès lors droit à la demande, rejetant l’appel et condamnant la caisse au paiement des allocations familiales pour toute l’année académique.

Intérêt de la décision

L’article 52 de la loi générale dispose que les allocations familiales ne sont pas dues en faveur des enfants qui sont élevés ou suivent des cours hors du Royaume. Cependant, le ministre compétent (ou le fonctionnaire du Service public fédéral Sécurité sociale qu’il désigne) peut, dans des cas dignes d’intérêt, accorder une dispense de cette condition.

Comme l’a rappelé la cour dans cet arrêt, le Ministre a une compétence discrétionnaire pour décider de l’octroi d’une dérogation. Les cours et tribunaux ne peuvent empiéter sur celle-ci. Ceci suppose cependant que ce pouvoir discrétionnaire soit effectivement et régulièrement exercé.

Dans un arrêt du 14 avril 2010 (C. trav. Bruxelles, 14 avril 2010, R.G. 2008/AB/51.653), la Cour du travail de Bruxelles avait renvoyé aux travaux parlementaires lors de l’élaboration de la loi du 22 décembre 2008 portant des dispositions diverses, dont l’article 209 a complété l’article 52 de la loi générale, pour donner au Ministre ou à son délégué, lorsqu’ils accordent une dérogation à cette condition de territorialité, le pouvoir de fixer le montant mensuel des allocations familiales dues. Ces travaux parlementaires prévoyaient à cet égard que le montant octroyé est adapté au coût de la vie dans le pays d’éducation ou d’études et que, des décisions judiciaires ayant contesté cette faculté, il importait de rétablir la sécurité juridique en la matière. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2008, le pouvoir de dérogation de l’article 52 ne portait que sur les conditions « prévues à l’alinéa précédent », à savoir sur la condition de résidence devant être remplie par les enfants, et non sur le montant des allocations familiales dues.

Dans l’espèce tranchée par la Cour du travail de Liège dans son arrêt du 11 mars 2020, figurent les conditions de dérogation prévues dans la Circulaire ministérielle n° 599 du 16 juillet 2007, dérogation intervenant selon les étapes de la scolarité du jeune (fin des études secondaires) et le projet d’études suivies à l’étranger. Lorsqu’il s’agit d’un enseignement non supérieur, la dérogation est limitée à un an. Lorsqu’il s’agit d’un enseignement supérieur, aucune limitation n’intervient, mais elle est de nouveau ramenée à une année scolaire si les étudiants ont déjà un diplôme de l’enseignement supérieur et entendent suivre un autre enseignement de ce niveau dans un pays hors Espace Economique Européen.

Les conditions mises sont également reprises dans l’arrêt : maintien de l’inscription dans les registres de la population et maintien de la résidence principale, absence de droit à des allocations familiales en vertu d’autres législations et absence d’activités lucratives exercées dans le pays d’accueil par le parent qui aurait l’enfant à charge.

L’on notera que, dans son arrêt, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) a élargi les possibilités de dérogation à l’hypothèse d’un jeune qui n’a pas terminé ses études secondaires mais se trouve en fin de ce cursus, au motif de discrimination.


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