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Non-respect des obligations de la Charte de l’assuré social et prise de cours du délai de prescription

Commentaire de C. trav. Mons, 2 septembre 2020, R.G. 2019/AM/257

Mis en ligne le vendredi 12 février 2021


Cour du travail de Mons, 2 septembre 2020, R.G. 2019/AM/257

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 septembre 2020, la Cour du travail de Mons interroge la Cour constitutionnelle sur des discriminations possibles eu égard aux obligations de la Charte d’une part et de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration d’autre part, vu les règles en matière de délai de recours, la cour s’interrogeant sur l’inclusion ou non dans ceux-ci des délais de prescription.

Les faits

Un agent pénitentiaire fut victime d’un accident du travail le 20 avril 2013, un détenu l’ayant agressé. Le SPF Justice admit l’accident, la reconnaissance de celui-ci étant faite sous réserve de la décision du MEDEX quant aux lésions.

Cette administration décida le 17 juin 2014 de la consolidation sans séquelles indemnisables. En conséquence, le SPF notifia à l’intéressé qu’il était guéri sans incapacité permanente. Ce courrier donnait en outre comme information quant au délai pour agir que celui-ci était de trois ans à dater de l’arrêté ministériel dont il recevrait copie après avoir marqué accord sur cette conclusion. Etait également précisé que son « éventuelle demande en révision » devait être adressée par voie recommandée. Enfin, il était invité à signer pour accord le courrier en cause. Il ne le fit pas, accusant réception de celui-ci et précisant « pas d’accord ».

Près de quatre mois plus tard, le SPF accusa réception de son courrier contenant son désaccord. Il lui était précisé que, s’il persistait dans son refus, il pouvait porter l’affaire devant le tribunal du travail de son domicile, conformément à l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967. L’intéressé introduisit la procédure dans le délai de trois ans à dater de ce dernier courrier.

Par jugement du 8 janvier 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division de Binche) dit la demande prescrite.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

Le jugement n’ayant pas été signifié, la cour conclut à la recevabilité de l’appel. Quant à son fondement, elle examine les délais applicables, dans le secteur public, pour ce qui est de l’indemnisation de l’accident du travail.

Elle reprend la règle générale, selon laquelle toutes les contestations relatives à l’application de la loi du 3 juillet 1967 sont déférées à l’autorité judiciaire compétente pour traiter les actions relatives aux indemnités prévues par la législation sur la réparation des accidents du travail. C’est l’article 19, alinéa 1er, de la loi.

La disposition suivante (étant l’article 20, alinéa 1er) prévoit quant à lui que les actions en paiement des indemnités se prescrivent par trois ans. Le point de départ est la notification de l’acte juridique administratif contesté.

Pour ce qui est de la révision, la demande peut également être introduite dans un délai de trois ans, celui-ci débutant soit à la notification de la décision de l’autorité administrative ou de l’arrêté ministériel, soit à la décision coulée en force de chose jugée (article 10, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 – applicable en l’espèce). Ce délai de l’action en révision est un délai préfix. La cour rappelle encore que le droit à une allocation d’aggravation de l’incapacité permanente après le délai de révision est également prévu (article 3, alinéa 1er, 1°, c), de la loi du 3 juillet 1967). Les conditions de cette allocation d’aggravation sont fixées pour ce type de personnel à l’article 5bis, § 1er, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969.

La cour s’interroge ensuite quant au respect, en l’espèce, des obligations légales de l’autorité employeur, et ce au regard des obligations organisées par la Charte de l’assuré social et la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration.

La première prévoit notamment que les décisions d’octroi ou de refus de prestations doivent contenir des mentions relatives à la possibilité d’intenter un recours devant la juridiction compétente ainsi que le délai et les modalités pour intenter celui-ci. A défaut, le délai de recours ne commence pas à courir. La cour rappelle à ce propos l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2010 (Cass., 10 mai 2010, n° S.08.0140.F), selon lequel l’absence d’indication des délais et des possibilités de recours n’a pas pour effet d’empêcher la prise de cours du délai de prescription de l’action en paiement. Ceci vise le délai de prescription de l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967. Dans un autre arrêt, du 6 septembre 2010 (Cass., 6 septembre 2010, n° S.10.0004.N), la Cour suprême a également précisé qu’il ressort des travaux parlementaires que, par les termes « délais plus favorables résultant des législations spécifiques » (termes figurant à l’article 23 de la Charte), il y a lieu d’entendre également les délais de prescription prévus par ces législations, dans lesquels les actions en octroi, paiement ou récupération doivent être introduites lorsque ces législations ne prévoient pas de délai de recours.

Quant à la loi du 11 avril 1994, elle fait obligation aux autorités administratives fédérales d’indiquer, dans tout document par lequel une décision ou un acte administratif à portée individuelle est notifié à un administré, les voies éventuelles de recours, les instances compétentes ainsi que les formes et délais. A défaut, le délai de prescription pour introduire le recours ne prend pas cours.

Le respect de ces dispositions légales fait question, dans la mesure où la décision notifiée le 26 septembre 2014 concluant à une guérison sans séquelles est une décision relative à une prestation sociale, prise par une institution de sécurité sociale envers un assuré social (qui est également un administré au sens de la loi du 11 avril 1994). Ce courrier ne contient cependant aucune indication quant au délai de prescription de trois ans de l’article 20 de la loi.

Pour la cour, la notion de délai (de prescription) de recours visée à la Charte (articles 7 et 14, alinéas 1er, 1° et 3°, et 2) et à la loi du 11 avril 1994 (en son article 2, 4°) peut être interprétée de deux manières, étant que les délais de prescription sont inclus dans ces notions ou qu’ils ne le sont pas.

Dès lors, l’interprétation à donner à ces dispositions va avoir des conséquences sur les obligations d’information pesant sur les institutions de sécurité sociale ainsi que sur les autorités administratives fédérales en ce qui concerne la prise de cours du délai de prescription.

La cour du travail décide, en conséquence, d’interroger la Cour constitutionnelle sur deux discriminations possibles.

La première concerne, d’une part, les assurés sociaux qui doivent recevoir une information quant aux possibilités de recours et aux formes et délais à respecter et, d’autre part, ceux qui sont soumis à un délai de prescription pour agir, dans l’interprétation où les délais de recours n’incluent pas les délais de prescription (l’absence d’information quant au délai de prescription n’ayant, pour eux, pas pour effet d’empêcher la prise de cours de celui-ci). La seconde discrimination possible vise d’une part les administrés qui doivent recevoir une information quant aux voies de recours et aux formes et délais, à défaut de quoi le délai pour introduire le recours ne commence pas à courir et ceux d’autre part qui sont soumis à un délai de prescription pour agir, dans l’interprétation où ces délais n’incluent pas les délais de prescription (l’absence d’information n’ayant pas pour effet d’empêcher la prise de cours du délai).

La première question porte ainsi sur les articles 7 et 14, alinéa 1er, 1° et 3°, de la Charte, ainsi que l’article 14, alinéa 2, la seconde question visant l’article 2, 4°, de la loi du 11 avril 1994.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons va permettre une clarification importante sur la question.

Dans l’arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2010 cité, il est en effet rappelé qu’il ressort des travaux parlementaires de la loi du 11 avril 1995 (la Charte de l’assuré social) que, par les termes « délais plus favorables résultant des législations spécifiques », il y a lieu d’entendre également les délais de prescription prévus par celles-ci, dans lesquels les actions en octroi, paiement ou récupération doivent être introduites lorsque ces législations ne prévoient pas de délai de recours. La matière concernait les lois relatives aux vacances annuelles coordonnées par l’arrêté royal du 28 juin 1971, matière dans laquelle aucun délai spécifique n’est prévu pour introduire le recours contre une décision d’une caisse spéciale de vacances refusant l’octroi d’un pécule de vacances au motif que des jours de chômage pris en compte ne sont pas considérés comme des jours assimilés, ne résultant pas de motifs d’ordre économique.

La question est dès lors transversale.

L’on attendra avec très grand intérêt la réponse de la Cour constitutionnelle. Dans un précédent arrêt du 10 mai 2010, la Cour de cassation avait en effet considéré, à propos du prescrit de l’article 7 de la Charte, que l’absence d’indication des délais et des possibilités de recours n’a pas pour effet d’empêcher la prise de cours du délai de prescription de l’action en paiement des indemnités. La distinction y était ainsi faite entre le délai de recours et le délai de prescription.


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