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Rémunération versée partiellement à l’étranger et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 juin 2020, R.G. 2017/AB/362

Mis en ligne le mardi 13 avril 2021


Cour du travail de Bruxelles, 3 juin 2020, R.G. 2017/AB/362

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 juin 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le caractère d’ordre public de l’obligation de l’employeur en matière de versement de cotisations de sécurité sociale sur les rémunérations versées à un travailleur engagé par contrat de travail, les parties ne pouvant décider qu’une part de celle-ci peut être versée à l’étranger en termes nets sans que les retenues correspondantes ne soient effectuées.

Les faits

Une société, active dans le domaine du transport (service d’expédition), a à son service un employé chargé essentiellement du retrait des marchandises chez les fournisseurs, de la préparation des expéditions, de la remise de celles-ci auprès des transporteurs, etc.

Il est licencié en mars 2014 pour motif grave. Celui-ci est relatif à une prestation dont il était chargé et qu’il n’a pas effectuée. Il s’agit d’une livraison urgente d’un colis. Il lui est fait grief de ne pas s’être rendu à l’aéroport afin d’en prendre livraison, comme il l’avait signalé. Il lui est ainsi reproché d’avoir menti ainsi que de ne pas avoir fait ce travail le lendemain alors qu’il l’avait annoncé. Il s’agit d’un mensonge destiné à couvrir une négligence grave dans l’exécution de ses tâches professionnelles, tâches au demeurant non accomplies. L’employeur estime qu’il a été gravement abusé de sa confiance.

Suite à la procédure introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, le travailleur réclamant une indemnité compensatoire de préavis ainsi que des arriérés de rémunération « au sens large », le jugement a accueilli sa demande, mais uniquement pour ce qui concerne l’indemnité compensatoire de préavis.

L’intéressé interjette dès lors appel sur les chefs de demande non admis. Il sollicite devant la cour à titre principal l’équivalent d’une somme nette de l’ordre de 25.600 dollars américains, à majorer des intérêts, ainsi que d’une autre somme de 31.000 euros bruts environ. A titre subsidiaire, la première somme est ramenée à un montant de 16.400 dollars américains, l’équivalent de cette somme étant postulé en euros et représentant un net.

La décision de la cour

La cour est saisie d’un appel principal du travailleur et d’un appel incident de la société, qui conteste que le motif grave n’ait pas été retenu.

Sur l’appel principal, la cour précise qu’il s’agit essentiellement d’arriérés de rémunération pour heures supplémentaires (pour le premier poste) et de paiements contractuellement convenus sur un compte bancaire ouvert au Congo (pour le second).

En ce qui concerne les heures supplémentaires, elle rappelle les règles de preuve, dont la règle selon laquelle l’incertitude subsistant à la suite de la production d’une preuve, d’où qu’elle vienne, doit nécessairement être retenue au détriment de celui qui a la charge de celle-ci et sur lequel pèse le risque du défaut de preuve.

Vu l’absence de preuve de prestations, la cour déboute l’appelant de ce chef de demande.

Sur le second poste, elle renvoie au contrat, qui est soumis au droit belge et qui précise que le lieu d’exécution des prestations est à une adresse déterminée à Ixelles (ou en un autre lieu nécessaire au service). Aucune prestation en dehors de la Belgique n’est avérée. Dès lors, la cour s’interroge sur la clause contractuelle qui prévoit qu’une partie de la rémunération était versée sur un compte bancaire ouvert au Congo via une société filiale dans ce pays.

Il est acquis aux débats que la somme réclamée constituait effectivement une partie de la rémunération de l’employé, des écrits étant déposés, confirmant l’accord de la société de verser « 1.000 Usd par mois à Kin ».

Cette clause a été partiellement exécutée, ainsi que cela ressort de transferts bancaires. Or, comme le tribunal l’avait déjà constaté, ces sommes n’ont pas été déclarées à l’O.N.S.S. ni au fisc. Le premier juge avait dès lors décidé, dans la mesure où il pouvait être en présence d’une infraction pénale, de communiquer le jugement à l’auditeur du travail en application de l’article 29 C.I.C.

La cour relève que l’accord des parties, qui a consisté à éluder les cotisations de sécurité sociale (quote-part travailleur et quote-part employeur), est contraire à l’ordre public. Elle rappelle qu’est d’ordre public toute disposition qui touche aux intérêts essentiels de l’Etat ou de la collectivité ou qui fixe, dans le droit privé, les bases juridiques fondamentales sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral d’une société déterminée. Ont ce caractère les dispositions qui concernent l’obligation pour l’employeur de déclarer un travailleur à l’O.N.S.S. et de payer les cotisations sociales correspondantes.

Après avoir conclu à la contrariété de la situation à l’ordre public, la cour invite les parties à débattre des conséquences sur la demande formée par l’employé à cet égard. Cette question n’est dès lors pas tranchée dans l’arrêt annoté.

La cour examine ensuite l’appel incident de la société et confirme, à cet égard, la position du premier juge, aucun fait fautif n’étant établi qui eut été connu dans les trois jours ouvrables précédant le congé.

Intérêt de la décision

Les faits ne sont pas contestés, en ce qu’ils portent sur un engagement contractuel, accepté par les deux parties et exécuté (mais incomplètement).

La contrariété à l’ordre public ne l’est pas davantage, s’agissant des cotisations de sécurité sociale et du caractère d’ordre public de la matière.

La solution que dégagera la cour est attendue, dans la mesure où plusieurs voies s’offrent au juge lorsqu’il est en présence d’une telle illégalité.

Outre la voie pénale, qui a déjà été décidée par le premier juge (et qui reste maintenue, l’auditeur du travail étant saisi du dossier), des suites doivent intervenir sur le plan civil. L’obligation de retenir sur la rémunération brute du travailleur les cotisations de sécurité sociale existant dans le chef de l’employeur (et de lui uniquement) – à telle enseigne qu’il ne peut récupérer à charge du travailleur des cotisations (quote-part travailleur) qui n’auraient pas été prélevées – et cette obligation étant d’ordre public, les parties ne peuvent convenir que celle-ci ne soit pas respectée. Elles n’ont en effet aucun pouvoir de décision ou de disposition à cet égard. Il en découle que la clause litigieuse doit certes être frappée de nullité, mais non l’engagement de l’employeur de payer une rémunération contractuellement convenue.

La convention des parties fait sur ce plan loi, l’employeur s’étant engagé à verser un montant déterminé au travailleur en contrepartie du travail fourni et en exécution du contrat.

La cour devra trancher, et ce dans le respect des engagements contractuels relatifs à la fixation de la rémunération et du caractère d’ordre public des obligations patronales vis-à-vis de la sécurité sociale.

La suite est dès lors attendue avec grand intérêt.


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