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Exclusion de certains employés pour la désignation de la délégation syndicale : un arrêt de la Cour du travail d’Anvers

Commentaire de C. trav. Anvers (div. Anvers), 13 janvier 2021, R.G. 2019/AA/412

Mis en ligne le vendredi 14 mai 2021


Cour du travail d’Anvers (division Anvers), 13 janvier 2021, R.G. 2019/AA/412

Terra Laboris

Par arrêt du 13 janvier 2021, la Cour du travail d’Anvers (division Anvers) a écarté une disposition d’une convention collective applicable dans la commission paritaire n° 207, excluant le droit des employés « non barémisés » d’être pris en compte pour la désignation de la délégation syndicale.

Les faits

Une société dépend pour son personnel employé de la commission paritaire n° 207 pour employés de l’industrie chimique. Une convention collective de secteur a été conclue le 4 mai 1999. Elle fixe notamment la composition de la délégation syndicale, dont elle détermine le nombre maximal de membres effectifs en fonction du nombre d’employés occupés dans l’unité technique d’exploitation visée. Il n’est pas tenu compte des « employés non barémisés », étant l’ensemble des employés dont la fonction n’est pas reprise dans une convention collective du 17 janvier 1947. Il s’agit de fonctions concernant des employés d’exécution et occupant des fonctions administratives, à l’exclusion de personnel de cadre.

Deux membres de ce personnel (« non barémisés ») introduisent une procédure devant le Tribunal du travail d’Anvers, avec diverses organisations syndicales. Les deux employés en cause sont membres du Conseil d’Entreprise de la société et ils ont été présentés, en 2016, sur la liste des membres de la délégation syndicale que les organisations syndicales entendaient désigner, l’un d’entre eux comme candidat effectif et l’autre comme suppléant.

Ceci a été refusé par la société, qui s’est référée aux dispositions de la convention collective. Une tentative de conciliation au sein du SPF Emploi n’a pas abouti. Une procédure a, en conséquence, été lancée devant le Tribunal du travail d’Anvers (division Anvers). Celui-ci a statué par jugement du 29 août 2019. Le tribunal a considéré qu’il était sans pouvoir pour connaître du litige. Il a débouté les demandeurs et les a condamnés aux dépens.

Appel a été interjeté.

La décision de la cour

La cour tranche successivement la question du pouvoir des juridictions du travail pour connaître d’un tel litige ainsi que de l’intérêt qu’ont les deux travailleurs à l’action et, enfin, la question de la constitutionnalité des dispositions en cause, eu égard aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Sur le premier point, elle rappelle la distinction à opérer entre le pouvoir de juger et la compétence : la notion de pouvoir a trait à l’exercice du pouvoir de juger dans le chef des cours et tribunaux, tandis que la compétence vise les pouvoirs juridictionnels attribués par le législateur à un juge ou à un tribunal déterminé. Les juridictions du travail ne peuvent être compétentes que si elles disposent également du pouvoir de juger. L’article 578, 3°, du Code judiciaire leur confie la compétence pour statuer sur les litiges individuels concernant l’application des conventions collectives de travail. Pour ces litiges, le législateur a par conséquent confié de manière expresse aux juridictions du travail à la fois le pouvoir de juger et la compétence juridictionnelle.

L’article 578, 3°, porte sur toutes les dispositions d’une convention collective, aussi bien les dispositions normatives que les dispositions obligatoires. Les litiges individuels visés par la disposition ne sont pas des litiges collectifs, ces derniers ne relevant pas de la compétence des tribunaux du travail.

Un litige collectif oppose une collectivité de travailleurs et un ou plusieurs employeurs et a trait à un intérêt collectif, à l’opposé des litiges individuels, qui portent sur des questions juridiques. En conséquence, les tribunaux ne sont pas compétents pour prendre des décisions relatives à la suspension ou l’interdiction d’une grève… mais ils peuvent connaître de litiges où sont en cause des droits individuels subjectifs découlant de l’application d’une convention collective, et ce indépendamment de la question de savoir si la demande a été introduite par un seul travailleur, par plusieurs travailleurs et/ou par une ou plusieurs organisations syndicales. La cour conclut dès lors à l’affirmative quant au pouvoir du juge de trancher l’affaire.

Elle examine ensuite l’intérêt qu’ont les deux travailleurs au sens des articles 17 et 18 du Code judiciaire à introduire l’action. Les faits ne sont pas contestés quant au refus de l’employeur de prendre en compte la catégorie à laquelle ils appartiennent pour la fixation du nombre de membres de la délégation syndicale. Est également relevé leur intérêt pour l’action syndicale. La cour insiste en outre sur l’article 2 de la convention collective, qui prévoit que les employeurs et les organisations de travailleurs s’engagent à appliquer et respecter les dispositions de la C.C.T. n° 5.

Sur le fond, elle examine la conformité des dispositions en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle rappelle que les conventions collectives rendues obligatoires par arrêté royal contiennent des droits et des obligations à la fois pour les employeurs et les travailleurs et ont de ce fait également un caractère réglementaire. En cas de nullité d’une disposition d’une convention collective vu sa contrariété aux articles 10 et 11 de la Constitution, cette nullité n’a en règle pas de conséquence en ce qui concerne les autres dispositions, ne pouvant déboucher sur la nullité de la convention, la cour renvoyant ici à un arrêt du 18 février 2020 (C. trav. Anvers, div. Hasselt, 18 février 2020, R.G. 2019/AH/101). Ceci vaut notamment en cas de discrimination si un groupe déterminé de travailleurs est irrégulièrement exclu du champ d’application d’une convention collective et qu’ils ne peuvent ainsi bénéficier de la protection, des avantages et des droits auxquels les autres travailleurs peuvent prétendre.

La cour rappelle encore l’arrêt du 12 décembre 2016 de la Cour de cassation (Cass., 12 décembre 2016, n° S.14.0104.F) : la règle de l’égalité des Belges devant la loi, contenue dans l’article 10 de la Constitution, et celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés qui leur sont reconnus, contenue dans l’article 11 de la Constitution, implique que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n’exclut pas qu’une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise. Le principe d’égalité est également violé lorsqu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La cour répond point par point aux divers arguments de la société, pour les rejeter. Elle constate que les employés non barémisés n’ont pas de représentation syndicale et qu’ils ne se reconnaissent pas dans les représentants du personnel de cadre, ceux-ci ne partageant pas la spécificité de leur situation.

Elle renvoie, in fine, à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 5 septembre 2014 (C. trav. Mons, 5 septembre 2014, R.G. 2013/AM/102), qui avait dû examiner la légalité de l’exclusion d’employés non barémisés lors des élections intervenues pour le renouvellement de la délégation syndicale.

Comme cette jurisprudence, la cour conclut à l’inconstitutionnalité de la disposition de la convention collective litigieuse et, dans son dispositif, écarte cette disposition.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par la Cour du travail d’Anvers dans cet arrêt du 13 janvier 2021 renvoie directement à celle dont avait connu la Cour du travail de Mons dans l’arrêt du 5 septembre 2014 (précédemment commenté).

Celle-ci se mouvait dans le cadre de la commission paritaire pour employés des fabrications métalliques, où étaient exclus tant de la liste des électeurs que de celle des candidats les employés « non barémisés » ou « barémisables ».

La cour du travail avait prononcé la nullité des articles de la convention collective de travail contraires à l’égalité de traitement garantie par la Constitution, contrôle qu’elle exerçait en vertu de l’article 9 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Vu la discrimination constatée dans les élections syndicales qui avaient déjà eu lieu, la cour a considéré qu’il fallait en organiser de nouvelles et avait dès lors dit pour droit que ces employés devaient être pris en compte. Ceci tant en qualité d’électeurs que pour fixer le nombre des membres de la délégation.


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