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Indemnité de sécurité d’emploi dans le secteur des banques : conditions d’octroi

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 novembre 2020, R.G. 2018/AB/220

Mis en ligne le jeudi 27 mai 2021


Cour du travail de Bruxelles, 25 novembre 2020, R.G. 2018/AB/220

Terra Laboris

Par arrêt du 25 novembre 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la modification de la convention collective du 2 juillet 2007 par une autre, datée du 9 octobre 2009 : sont visés par le texte les manquements du travailleur (fautifs et non fautifs) et non plus les carences disciplinaires ou fautes professionnelles, termes repris dans le texte originaire.

Les faits

Un organisme bancaire conclut un contrat de travail à durée indéterminée avec un employé en 1979 aux fins de lui confier les fonctions de chef de service. Ces fonctions évoluèrent. Au fil du temps, cependant, les évaluations furent (selon les termes de la cour) « peu brillantes » pendant deux années. Une convocation fut adressée à l’intéressé pour un entretien. Il lui était annoncé qu’au cours de celui-ci, il serait informé des raisons pour lesquelles la banque envisageait son licenciement.

Un courrier lui fut remis lors de l’entretien qui se tint, courrier se référant à trois évaluations annuelles ainsi qu’à des entretiens de suivi. Les résultats des prestations avaient été considérés insuffisants et l’employeur considérait que la poursuite du contrat n’était plus possible. La rupture intervint sur le champ et une indemnité compensatoire de préavis lui fut annoncée et payée.

Ultérieurement, l’intéressé réclama le bénéfice de la convention collective sectorielle du 2 juillet 2007 portant les dispositions relatives à l’emploi dans le secteur bancaire (modifiée par une autre convention collective du 9 octobre 2009).

Vu le refus de l’employeur de satisfaire à la demande (ainsi qu’au paiement d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis), une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celui-ci statua par jugement du 22 octobre 2017, déboutant l’intéressé de l’indemnité de sécurité d’emploi et accordant un complément d’indemnité de rupture.

La décision de la cour

La cour rappelle les termes de la convention collective du 2 juillet 2007, dont l’article 2, § 2 (relatif à la procédure) fut modifié par le texte du 9 octobre 2009, ainsi que le § 3. Actuellement, la procédure n’est plus prévue en cas de « carence disciplinaire ou faute professionnelle », ces termes ayant été remplacés par « manquement disciplinaire ou professionnel ».

La cour relève d’emblée que le terme « manquement » est plus large que celui de « faute », renvoyant à un arrêt de la même cour du 28 mai 2013 (C. trav. Bruxelles, 28 mai 2013, J.T.T., 2013, p. 384), qui a défini le manquement comme signifiant « ne satisfait pas à ce qui est exigé ». Il peut s’agir de manquements fautifs ou de manquements non fautifs, étant visées une incompétence, une inaptitude, etc. Pour la cour, le fait de ne pas convenir pour la nouvelle fonction exercée est un manquement professionnel et la procédure doit ainsi trouver à s’appliquer.

La cour précise encore que, pour atteindre l’objectif visé par la C.C.T., l’employeur ne doit pas avoir déjà pris la décision de licencier avant l’entretien. Celui-ci doit donner la possibilité à l’employeur d’expliquer les raisons pour lesquelles ce licenciement est envisagé, ce qui doit permettre au travailleur de se défendre. Un renvoi est fait aux conclusions de M. L’Avocat général près la Cour de cassation GENICOT, avant l’arrêt du 18 novembre 2013 (Cass., 18 novembre 2013, n° S.12.0008.F). Il avait rappelé la définition du Grand Robert, où le terme « envisager » est défini comme signifiant « considérer », « regarder comme », « avoir en vue », « projeter », etc. Si l’employeur envisage de licencier, ceci signifie que l’intention lui en vient et qu’il ne s’est pas encore résolu à prendre la décision ferme et, a fortiori, qu’il ne l’a pas notifiée sous forme d’un congé. Il considérait que l’entretien devait intervenir au stade « embryonnaire » du processus décisionnel de licenciement.

La Cour de cassation avait, dans l’arrêt rendu, jugé que l’article 2, § 2, qui a pour objet d’assurer une sécurité d’emploi aux travailleurs auxquels il s’applique, impose que l’invitation du travailleur à l’entretien précède la décision de l’employeur de le licencier. Pour la Cour suprême, il ne suffit pas qu’elle se produise avant le congé, étant l’acte par lequel l’employeur notifie au travailleur qu’il entend que le contrat de travail prenne fin.

En l’espèce, l’employé plaide également que la décision de licenciement avait déjà été prise au moment de l’entretien, des éléments confirmant cet état de choses (suppression de la connexion informatique à distance, rédaction et signature de la lettre avant l’entretien, de même qu’accomplissement des formalités relatives au licenciement et usage du terme « confirmation » dans ladite lettre).

La cour rappelle que l’article 2 de la C.C.T. apporte des réserves au droit de l’employeur de licencier le travailleur par l’obligation de suivre une procédure préalable dès lors qu’un projet de licenciement est envisagé. Le travailleur est associé à celle-ci et la charge financière du licenciement est alourdie, en cas de non-respect de la procédure. Aussi, pour la cour, la disposition doit-elle être interprétée de manière stricte. Aucun délai n’étant prévu si l’employeur maintient son projet de licenciement, celui-ci peut intervenir à la fin de l’entretien et, à cet égard, la cour rejette les arguments de l’employé selon lesquels la décision ferme avait déjà été prise, l’entretien n’étant que de pure forme.

La cour rencontre un après l’autre les arguments avancés pour conclure que le licenciement avait déjà un caractère définitif.

La coupure des accès informatiques à distance est une mesure de sécurité dans un secteur très concurrentiel et surtout s’agissant d’un poste à responsabilité, l’employé ayant accès à des informations sensibles et confidentielles. La cour souligne que la coupure est intervenue après la convocation pour l’entretien et, d’ailleurs, pendant une période de suspension du contrat (l’intéressé ayant été en incapacité, la date de l’entretien avait été reportée à sa demande).

La circonstance que le courrier ait été rédigé et signé n’est pour la cour pas anormal dans une grosse structure, d’autant qu’un des deux responsables qui devait signer la lettre ne pouvait être présent à l’entretien. Il apparaît par ailleurs que le membre de personnel-cadre qui dirigeait l’entretien devait décider de la suite à donner à celui-ci, ce qui implique – pour la cour – le fait de décider de ne pas licencier. Le même raisonnement est adopté pour le calcul de l’indemnité de congé et, pour ce qui est du terme « nous vous confirmons », la cour n’y voyant rien de suspect.

En conclusion, l’employé, qui a la charge de la preuve, échoue à rapporter que l’entretien a été purement formel et qu’il n’a pas pu faire valoir ses moyens de défense sur les reproches qui lui avaient été adressés.

La cour examine ensuite le poste relatif au complément d’indemnité compensatoire de préavis et statue sur le principe d’un droit à un tel complément, s’agissant d’un avantage rémunératoire complémentaire.

Intérêt de la décision

La cour du travail rappelle l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 novembre 2013, qui a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 8 décembre 2010. Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait relevé que l’article 2, § 2, de la convention collective du 2 juillet 2007 disposait que, si l’employeur envisage de licencier un des travailleurs visés par cette disposition conventionnelle pour carence disciplinaire ou faute professionnelle, ce travailleur était invité à un entretien au cours duquel il était informé des raisons ayant abouti à ce que l’employeur envisage son licenciement.

Le but de la disposition est d’assurer une sécurité d’emploi aux travailleurs et elle impose que l’invitation du travailleur à l’entretien précède la décision de l’employeur de le licencier. Il ne suffit pas qu’elle se produise avant le congé, étant l’acte par lequel l’employeur notifie au travailleur qu’il entend que le contrat de travail prenne fin. L’invitation à l’entretien doit dès lors précéder la décision elle-même, n’étant pas suffisant que l’invitation se produise avant le congé lui-même. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a également énoncé ce qu’il faut entendre par le terme « salaire courant » pris comme base pour le calcul de l’indemnité forfaitaire : il s’agit de la rémunération due en contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail.

Après cet arrêt de la Cour de cassation, la Cour du travail de Bruxelles a de nouveau été saisie d’une demande relative à une clause de stabilité d’emploi figurant non dans une convention collective mais dans un règlement de travail (C. trav. Bruxelles, 19 septembre 2014, R.G. 2013/AB/805). Cette clause prévoyait que les travailleurs ne pouvaient être licenciés pour des raisons qui n’ont aucun lien avec leur aptitude ou leur conduite ou qui ne sont pas fondées sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Étaient notamment visés une faute professionnelle (répétée ou suffisamment sérieuse) ou même des cas de conduite non professionnelle ou inadéquate. La limitation des causes de licenciement, prévue dans un règlement de travail, est légale, la cour renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2001 (Cass., 22 janvier 2001, n° S.00.0037.N). Le secteur n’était pas celui des banques (le règlement de travail ne concernant d’ailleurs que l’entreprise elle-même, société distributrice de carburant).

Dans l’arrêt annoté, la cour du travail rappelle la modification des hypothèses eu égard à la convention collective du 9 octobre 2009, qui a notamment modifié les termes « carence disciplinaire ou faute professionnelle » en « manquements disciplinaires ou professionnels ». Les hypothèses visées sont ainsi plus larges, le terme « manquement » n’étant pas synonyme de « faute ». Ainsi que précisé dans l’arrêt, le manquement doit être compris dans le sens « ne satisfait pas à ce qui est exigé » et est une notion plus large, pouvant viser à la fois le manquement fautif et le manquement non fautif. Sont ainsi couvertes les hypothèses d’incompétence, d’inaptitude ou similaires.


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