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La cotisation d’affiliation d’office de l’employeur non assuré contre les accidents du travail peut-elle faire l’objet d’un sursis ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 décembre 2020, R.G. 2018/AB/598

Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021


Cour du travail de Bruxelles, 16 décembre 2020, R.G. 2018/AB/598

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 décembre 2020, la Cour du travail de Bruxelles confirme que la cotisation d’affiliation d’office de l’employeur non assuré contre le risque d’accident du travail n’est pas une sanction pénale au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’employeur ne peut dès lors se voir appliquer un sursis.

Les rétroactes

Un employeur (personne physique), non assuré contre les accidents du travail, occupait un ouvrier. Celui-ci prestait comme chauffeur de poids lourds. Il a été licencié deux jours après avoir subi un accident du travail, licenciement intervenant avec effet immédiat. Trois jours plus tard, l’employeur souscrit une assurance contre les accidents du travail. Il s’avérera, ultérieurement que, quoiqu’actif depuis plus de vingt ans, il n’a jamais souscrit une telle assurance.

FEDRIS lui adressa, en conséquence, une demande de paiement d’un montant de l’ordre de plus 10.000 euros, représentant la cotisation d’office pour plusieurs travailleurs successivement à son service. Elle réclama ultérieurement le remboursement de montants supplémentaires avancés au titre de débours dans le cadre de l’accident du travail.

Le travailleur ayant introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Nivelles aux fins de faire fixer les séquelles de l’accident, un jugement fut rendu le 24 mars 2015 fixant les montants que FEDRIS était condamnée à lui payer. L’employeur a été condamné pour sa part à une série de montants dus jusqu’à cette date, ainsi qu’à un euro provisionnel pour toutes les indemnités que FEDRIS devrait payer ultérieurement. Il a été réservé à statuer sur la cotisation d’office.

Un échange de courriers intervint ensuite, et ce pendant plusieurs années, les parties ne marquant pas accord sur le décompte.

Un second jugement fut rendu par le Tribunal du travail du Brabant wallon le 7 mai 2018, statuant sur celle-ci, ainsi que sur d’autres postes restés en suspens, relatifs à d’autres sommes pour lesquelles FEDRIS était intervenue.

Appel est interjeté.

Position de l’appelant devant la cour

L’appelant fait valoir que la cotisation d’affiliation d’office est une sanction pénale et qu’elle doit dès lors pouvoir bénéficier d’un sursis, sur la base de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation.

Cette position est vivement contestée par FEDRIS.

La décision de la cour

La cour rappelle que tout employeur a, en vertu de l’article 49 de la loi du 10 avril 1971, l’obligation de souscrire une assurance contre les accidents du travail auprès d’une entreprise d’assurances agréée. A défaut, les dispositions suivantes de la loi prévoient l’obligation de payer une cotisation d’office auprès de FEDRIS. Parmi ses missions, figure celle d’accorder la réparation en matière d’accident du travail dans une telle hypothèse. Elle peut récupérer, à charge de l’employeur, les débours et les capitaux y correspondants (et autres montants pris en charge dans des hypothèses bien spécifiques).

Cette cotisation est fixée par l’article 59 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail. Elle est de 2,5% par an de la rémunération annuelle fixée à l’article 39 de la loi et peut être portée, dans divers cas, à 3, 4 ou 5%.

La cour rappelle que, dans son arrêt du 22 octobre 2015 (C. const., 22 octobre 2015, n° 146/2015), la Cour constitutionnelle a considéré que l’article 8 de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l’article 6 de la C.E.D.H. en ce qu’ils ne s’appliquent pas aux juridictions du travail saisies d’un litige relatif à une cotisation d’affiliation d’office.

La cour reprend très longuement les motifs de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, soulignant notamment que la mesure doit être qualifiée de sanction de nature essentiellement civile, dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale, de sorte qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 6 de la C.E.D.H. (considérant B.8.3.).

Pour la cour du travail, l’examen auquel la Cour constitutionnelle a procédé dans cet arrêt est clair, les raisons pour lesquelles la cotisation d’affiliation d’office n’est pas une sanction à caractère pénal ayant été examinées sous l’angle des critères dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme.

En l’espèce, l’appelant demande à la cour du travail d’écarter cet arrêt de la Cour constitutionnelle et de lui poser une nouvelle question. Il considère notamment que l’employeur qui, pour des mêmes faits, se retrouve préalablement poursuivi devant les juridictions pénales, peut solliciter l’octroi d’un sursis, puis invoquer le principe non bis in idem pour empêcher la condamnation à des cotisations d’office, alors qu’en l’absence de telles poursuites, il ne le peut pas.

La cour du travail ne se déclare pas convaincue par cette argumentation, au motif que la Cour constitutionnelle a déjà rejeté le caractère de sanction pénale en appliquant les critères de la Cr.E.D.H. et qu’on la voit mal revenir sur sa jurisprudence sans argumentation nouvelle. En conséquence, même s’il est condamné au pénal pour défaut d’assurance, l’employeur ne pourra pas utilement invoquer le principe non bis in idem. Même à admettre qu’il s’agirait d’une sanction administrative à caractère pénal, la cour fait grief à l’appelant de ne pas établir que le principe non bis in idem empêcherait nécessairement qu’il y ait condamnation à une sanction pénale et, ensuite, réclamation du paiement d’une cotisation d’affiliation d’office, et ce au motif que la jurisprudence admet le cumul de sanctions à certaines conditions.

Elle renvoie notamment à la note de F. LUGENTZ sous l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2018 (Cass., 22 novembre 2018, n° C.17.0126.F, note F. LUGENTZ, « Non bis in idem : application limitée en présence de poursuites successives du chef de faits identiques ou substantiellement les mêmes, ou lorsque ‘un plus un égale deux’ », Rev. dr. pén. crim., 2019/2, pp. 169 et s.).

La cour considère cependant que cette question ne doit pas être davantage approfondie, au motif que l’employeur ne démontre pas que, s’il avait été poursuivi au pénal, il aurait pu bénéficier d’un sursis. Il n’y a dès lors pas de discrimination.

La cour examine ensuite une demande de l’appelant de bénéficier de la possibilité de solliciter une réduction de la cotisation (sur la base de l’arrêté royal du 27 mai 2014 modifiant celui du 30 décembre 1976 portant exécution de certaines dispositions de l’article 59quater de la loi du 10 avril 1971). La cour rejette cette demande, au motif qu’elle aurait dû prioritairement être adressée à FEDRIS – ce qui n’est pas le cas, la demande ayant été introduite devant le juge par voie de conclusions.

Elle rejette encore que puisse être discriminatoire la situation d’un employeur en défaut d’assurance avant ou à partir d’une date déterminée, au motif que le seul fait qu’une réglementation change ne peut suffire à reconnaître l’existence d’une discrimination contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

De même pour une demande de réduction des cotisations en vertu des principes d’équité et de proportionnalité ainsi que du droit de propriété, l’appelant sollicitant ici une réduction à un montant de 1.000 euros.

Cette demande amène la cour à rappeler les règles en ce qui concerne les principes évoqués, étant l’équité, la proportionnalité et le droit de propriété consacré par l’article 1er du Protocole n° 1 à la C.E.D.H.

Elle reprend l’arrêt MAMIDAKIS (Cr.E.D.H., 11 janvier 2007, Req. n° 35533/04, MAMIDAKIS c/ GRECE), où la Cour a admis qu’une amende est une ingérence dans le droit garanti par l’alinéa 1er de l’article 1er du Premier Protocole car elle prive le titulaire du droit d’un élément de propriété, à savoir de la somme qu’il doit payer. Cette ingérence doit se justifier conformément aux critères du second alinéa de l’article. Il s’agissait en l’espèce d’une amende imposée pour des violations douanières et qui constituait une charge exorbitante.

De même, dans un arrêt du 11 février 2019 (C. trav. Liège, div. Liège, 11 février 2019, R.G. 2017/AL/467), la Cour du travail de Liège a interrogé la Cour constitutionnelle sur la question de la proportionnalité d’une sanction administrative dont le caractère pénal était reconnu, question examinée sous l’angle du droit de propriété consacré par l’article 16 de la Constitution lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel ci-dessus et l’article 6 de la Convention. L’affaire concernant la majoration de 35% prévue par l’article 30bis, § 5, de la loi du 27 juin 1969 (responsabilité solidaire du co-contractant), la Cour y a retenu que cette majoration a un caractère répressif prédominant et qu’elle est de nature pénale au sens de l’article 6 de la C.E.D.H. Elle a souligné que cette mesure pénale s’ajoute en outre au mécanisme de la responsabilité solidaire lui-même visé à l’article 30bis, § 3, de la même loi, qui a quant à lui un caractère indemnitaire. Elle a conclu à l’inconstitutionnalité de l’article 30bis, § 5 (C. const., 9 juillet 2020, n° 104/2020).

En l’espèce, la cour déboute l’appelant de sa demande, reprenant l’absence de caractère pénal de la cotisation d’affiliation d’office, ainsi d’ailleurs que l’absence de bonne foi dans son chef, celui-ci ne donnant notamment aucune indication sur les revenus qu’il tirait de son entreprise, élément important pour la question relative au droit de propriété.

La demande n’est dès lors pas fondée, la cour concluant à l’absence de disproportion entre l’ingérence dans le droit de propriété et le but d’intérêt général poursuivi, les cotisations servant au financement de FEDRIS, qui agit comme fonds de garantie, et le montant étant fixé sur la base d’un pourcentage de la rémunération perçue par les travailleurs (et étant majoré en tenant compte de divers facteurs). Il s’agit d’une mutualisation du risque.

Intérêt de la décision

Comme le rappelle la cour du travail dans cette décision, c’est l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 octobre 2015 qui a réglé le point de déterminer s’il s’agit d’une sanction de nature pénale au sens de la C.E.D.H. ou d’une sanction de nature civile.

L’enseignement de la Cour constitutionnelle est que le caractère forfaitaire des cotisations d’affiliation d’office dues par l’employeur en défaut d’assurance contre les accidents du travail vise à rencontrer la mutualisation du risque encouru du fait de l’absence d’assurance tant à l’égard des travailleurs concernés que de la sécurité sociale. La mesure est une sanction de nature essentiellement civile, dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale, et n’entre pas dans le champ d’application de la C.E.D.H. Dès lors que la contestation est de nature civile, l’impossibilité pour les juridictions du travail d’appliquer une mesure comme le sursis est raisonnablement justifiée.

Depuis cet arrêt, la Cour constitutionnelle avait été réinterrogée dans une autre matière, relative à la responsabilité solidaire du co-contractant prévue à l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969. Elle fut saisie par la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 11 février 2019 (C. trav. Liège, div. Liège, 11 février 2019, R.G. 2017/AL/467 – précédemment commenté) sur la question de la sanction prévue au § 5, qui s’ajoute à l’obligation solidaire au paiement visée au § 3.

La Cour constitutionnelle a répondu dans son arrêt du 9 juillet 2020 (n° 104/2020). Elle enseigne qu’en ce qu’il s’applique indistinctement à des personnes de bonne foi et à des personnes auxquelles il n’y a pas lieu de reconnaître cette qualité, l’article 30bis, § 5, de la loi du 27 juin 1969 « révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. En ce qu’elle ne permet pas à l’Office national de sécurité sociale ou au tribunal du travail de tenir compte de tous les éléments pertinents de la cause, notamment la bonne foi du « commettant », pour réduire le montant de la « majoration » qu’elle prévoit, la même disposition viole l’article 16 de la Constitution lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 6 de celle-ci.

Cette jurisprudence récente a été invoquée en vain pour obtenir que soit réinterrogée la Cour constitutionnelle dans la matière des cotisations d’affiliation d’office, matière dans laquelle elle a rendu un arrêt clair et décisif le 22 octobre 2015.


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