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Prestations de travail incomplètes : maintien du statut de chômeur complet ou statut de travailleur à temps partiel ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 6 janvier 2021, R.G. 2019/AL/416

Mis en ligne le mardi 14 septembre 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 6 janvier 2021, R.G. 2019/AL/416

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 janvier 2021, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’un travailleur à temps partiel volontaire ne peut être tenu pour un chômeur complet au sens de l’article 27, 1°, b), de l’arrêté royal organique et qu’il ne peut prétendre à aucune allocation pour les heures pendant lesquelles il ne travaille pas habituellement. Seul lui est ouvert le statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits.

Rétroactes

Un enseignant, bénéficiaire d’allocations de chômage, a été occupé dans le cadre de plusieurs contrats de travail avec la Communauté française, à raison d’horaires très réduits. Les cours se donnent en promotion sociale. Plusieurs contrats seront signés, dans le cadre desquels il a presté de manière variable (une fois par quinzaine ou selon des horaires très partiels). Plusieurs de ces contrats n’ont pas été déclarés à l’ONEm. L’intéressé a cependant noirci ses cartes de contrôle, mais incomplètement et incorrectement.

L’ONEm a constaté que les jours noircis ne correspondaient pas aux données de la Banque-carrefour de la sécurité sociale. L’intéressé a été auditionné et a donné toutes les explications voulues, exposant que, lorsqu’il n’avait qu’un très petit horaire (2,82 heures), il avait considéré que ce n’était pas important, mais qu’au moment de l’audition, il noircissait les jours prestés.

L’ONEm a constaté le cumul d’allocations avec des journées couvertes par un contrat de travail, et ce pour diverses périodes. Par deux décisions, il l’exclut pour toute une série de journées, avec récupération des allocations et exclusion d’une période de 13 semaines. Lui est reproché d’avoir été lié par un contrat de travail pour les journées examinées.

Le jugement a fait droit aux recours (en réalité deux recours, qui ont été joints) et a annulé les décisions de l’ONEm. Une période doit faire l’objet d’un examen ultérieur, le tribunal réservant à statuer au motif de l’insuffisance des éléments produits.

L’ONEm interjette appel, demandant de réformer le jugement et de rétablir les décisions litigieuses. Il considère qu’en présence de contrats à temps partiel, seuls deux statuts sont accessibles, étant celui de travailleur à temps partiel volontaire (cas dans lequel le travailleur ne peut prétendre à aucune allocation pendant toute la durée d’occupation) ou celui de travailleur à temps partiel avec maintien des droits (avec perception d’une allocation de garantie de revenus, sous réserve de formalités pré-requises). Pour l’ONEm, l’intéressé ne pouvait être reconnu comme chômeur complet, privé d’allocations uniquement pour les jours travaillés qu’il lui aurait suffi de noircir sur sa carte de contrôle. En outre, il aurait dû être en possession d’une carte de contrôle C3 temps partiel pour pouvoir être indemnisé dans le régime du chômage temps partiel avec maintien des droits et, à défaut, noircir les cases pour tous les jours couverts par ces contrats de travail.

L’avis du Ministère public

L’avocat général renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2019 (Cass., 20 mai 2019, n° S.17.0004.F), qui a distingué les deux statuts : pendant son occupation, le travailleur à temps partiel volontaire ne peut pas être considéré comme un chômeur complet au sens de l’article 27, 1°, b), de l’arrêté royal et il ne peut prétendre à aucune allocation pour les heures pendant lesquelles il ne travaille pas habituellement. Par contre, après l’admission au bénéfice des allocations de chômage comme chômeur complet sur la base d’un temps plein, le chômeur qui a conclu un contrat de travail à temps partiel sans remplir les conditions du statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits ne peut, pendant qu’il preste à temps partiel, avoir droit aux allocations pour les jours pendant lesquels il ne preste pas dans le cadre du contrat de travail.

En d’autres termes, le travailleur à temps partiel ne peut bénéficier d’allocations de chômage ordinaire pour les jours d’inactivité, mais peut obtenir le statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits et percevoir l’allocation de garantie de revenus (en vertu de l’article 29, § 2, et de l’article 131bis de l’arrêté royal).

L’avocat général examine également la situation du chômeur exerçant une activité occasionnelle, qui se situerait dans le régime ordinaire du chômage complet (cette situation permettant l’octroi des allocations de chômage pour les jours non prestés, conformément au régime ordinaire de ce type d’activité). Des conditions sont cependant posées, étant que l’activité doit être de faible importance et ne peut avoir vocation à être exercée de manière régulière et durable. Serait ainsi visé un contrat de travail à temps partiel prévoyant une durée de travail inférieure au tiers-temps (contrevenant ainsi à l’article 11bis, alinéa 5, de la loi du 3 juillet 1978 et au minimum prévu par la réglementation chômage pour pouvoir être reconnu comme travailleur à temps partiel avec maintien des droits).

Le Ministère public renvoie également aux instructions de l’ONEm (RioDoc n° 082108/1 du 1er février 1993), l’Office acceptant expressément d’inclure dans le régime de l’activité occasionnelle les personnes qui donnent des cours de manière irrégulière ou occasionnelle en dehors du réseau normal de l’enseignement. Ceci vise notamment les professeurs chargés de cours de formation d’adultes, les conférenciers, etc. Vu que chaque établissement dispose d’une certaine autonomie dans son recrutement, il y a lieu de « raisonner par école » aux fins d’examiner la conformité des contrats avec la perception des allocations.

L’avocat général estime également qu’une décision doit être annulée pour défaut d’audition préalable, l’annulation de la sanction administrative intervenant sans pouvoir de substitution. Par contre, l’exclusion doit être examinée, de même que la récupération, l’ONEm ayant introduit une demande reconventionnelle.

La décision de la cour

La cour reprend les articles 27, 1°, et 29, §§ 2 et 2bis, de l’arrêté royal, soulignant la règle posée par la Cour de cassation dans son arrêt du 20 mai 2019, selon laquelle, pendant la durée de son occupation, le travailleur à temps partiel volontaire ne peut être tenu pour un chômeur complet et ne peut prétendre à aucune allocation pour les heures pendant lesquelles il ne travaille pas habituellement.

La cour expose ensuite les principes relatifs au droit de défense tels que garantis par l’arrêté royal, via l’obligation d’auditionner le chômeur. Dans un arrêt du 23 mai 2011 (Cass., 23 mai 2011, n° S.10.0064.F), la Cour de cassation a ainsi jugé qu’en cas de non-respect des droits de défense du travailleur tels qu’organisés par l’article 144 (obligation d’audition), la décision administrative est nulle, mais cette nullité ne s’étend ni aux pièces du dossier administratif constitué préalablement par l’ONEm ni aux pièces par lesquelles celui-ci complète ultérieurement le dossier.

Sur le plan de la sanction, en cas de récidive, la durée de l’exclusion ne peut être inférieure au double de la sanction précédente, sans dépasser 52 semaines. La sanction est de nature pénale, ce qui entraîne l’application du principe « non bis in idem ».

Enfin, la cour reprend en les résumant les règles en matière de prescription.

En l’espèce, l’intéressé a perdu son statut de chômeur complet et, durant son occupation comme travailleur à temps partiel, il a également perdu le droit aux allocations pour les jours pendant lesquels il ne travaillait pas en vertu du contrat de travail. L’activité exercée ne peut être qualifiée d’« activité occasionnelle », dans la mesure où il a travaillé pour le compte du même employeur que celui qui l’engageait habituellement, étant la Communauté française, et ce dans le réseau d’enseignement subsidié pendant deux périodes en tout cas. Il y a un rythme récurrent, régulier, qui ne correspond pas à un travail presté de temps en temps. Le caractère décalé de l’horaire n’annihile pas sa régularité, qui s’inscrit dans un cycle scolaire long. La cour retient également que, pour l’employeur, il s’agit d’un emploi « temporaire », étant le statut donné au personnel non nommé. Il y a un travail régulier, et ce même si le temps total est inférieur au seuil minimum requis par la législation sur le contrat de travail. Elle renvoie ici à un arrêt du 31 mai 1999 (Cass., 31 mai 1999, n° S.98.0057.N) et au commentaire fait par D. ROULIVE (D. ROULIVE, « Le contentieux en matière de chômage », Les grands arrêts de la Cour de cassation, de la Cour constitutionnelle et de la Cour de justice de l’Union européenne, Larcier, 2015, pp. 133 et s.).

La cour confirme en conséquence la récupération sur l’ensemble des jours indemnisés en chômage complet.

Quant à la sanction, elle fixe celle-ci à un avertissement, tenant compte du caractère minime du manquement (non-déclaration d’un contrat, pour une sanction) et à une réduction d’une autre à 4 semaines (et ce tenant compte de la complexité de la situation des enseignants qui prestent dans un cadre précaire et à temps partiel dans différents établissements et sous le couvert de multiples contrats).

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 mai 2019 a donné un coup d’arrêt à un courant de jurisprudence qui avait admis le maintien du statut de chômeur complet dans l’hypothèse telle que celle du cas d’espèce.

Pour la Cour de cassation, il suit du rapprochement des articles 44, 27, 1°, 29, §§ 2, 2bis et 4 et 131bis, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 que, durant la durée de son occupation, le travailleur à temps partiel volontaire ne peut être tenu pour un chômeur complet au sens de l’article 27, 1°, b), de l’arrêté royal et qu’il ne peut prétendre à aucune allocation pour les heures pendant lesquelles il ne travaille pas habituellement. L’arrêt qui en a décidé autrement viole les dispositions légales précitées, la Cour cassant ici un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 19 octobre 2016 (R.G. 2015/AB/2675).

Seule est ouverte la voie du statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits. En effet, après avoir été admis au bénéfice des allocations comme chômeur complet sur la base d’une activité à temps plein, le chômeur qui a conclu un contrat de travail à temps partiel doit remplir les conditions du statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits s’il veut, pendant la période d’occupation comme travailleur à temps partiel, continuer à bénéficier d’allocations pour les jours pendant lesquels il ne travaille pas en vertu du contrat de travail. Est allouée, dans cette hypothèse, une allocation de garantie de revenus. Les conditions de reconnaissance du statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits sont reprises à l’article 29, § 2, de l’arrêté royal.


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