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Non-justification d’une prolongation d’incapacité de travail et acte équipollent à rupture

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 2 avril 2021, R.G. 19/260/A et 19/531/A

Mis en ligne le vendredi 24 septembre 2021


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 2 avril 2021, R.G. 19/260/A et 19/531/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 2 avril 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division de Tournai) rappelle qu’en cas de manquement dans le chef du travailleur, celui-ci peut donner lieu à un acte équipollent à rupture du contrat de travail et qu’un critère d’examen est la persistance du manquement lui-même.

Les faits

Une ouvrière occupée à durée indéterminée (temps partiel) est en absence injustifiée à partir du 9 octobre 2017. Un premier courrier recommandé lui est adressé, lui rappelant le règlement de travail. L’employeur y précise qu’elle est en absence pour cause de maladie et devait dès lors reprendre le travail à la date ci-dessus. Il demande communication des certificats médicaux nécessaires à la justification du prolongement de l’absence.

Près de trois mois plus tard, en janvier 2018, l’intéressée justifie de son absence à partir du 7 janvier, et ce jusqu’au 21 janvier. A l’issue de cette période, elle est de nouveau en absence injustifiée et reçoit un nouveau courrier recommandé. L’employeur précise qu’à défaut pour elle de justifier de son absence, il y aura rupture unilatérale du contrat de travail dans son chef. Un courrier recommandé est alors adressé, contenant un certificat médical pour une durée d’un mois, soit jusqu’au 16 février 2018, date à laquelle un nouveau courrier recommandé doit lui être adressé, vu l’absence de justification de la prolongation de l’incapacité de travail. L’employeur précise avoir voulu prendre contact par téléphone avec elle, mais sans succès. Le courrier recommandé se fait insistant quant au manquement.

Quoique le médecin-traitant ait délivré un nouveau certificat, celui-ci n’est pas envoyé, la société étant ainsi amenée à faire un nouveau courrier recommandé, beaucoup plus strict. Suite à ce courrier, l’intéressée remet alors plusieurs certificats non envoyés. Fin mars 2018, le médecin-traitant confirme encore l’incapacité de travail, par un certificat qui n’est pas non plus transmis à l’employeur. Un autre courrier recommandé est encore envoyé au titre d’avertissement ultime. Après un dernier rappel recommandé, la société constate la rupture unilatérale du contrat, renvoyant aux six lettres qui ont été adressées et rappelant la procédure en matière de maladie. L’employeur réclame une indemnité équivalente au délai de préavis qui aurait dû être presté, étant quatorze jours et sept semaines.

Il introduit une procédure devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai).

L’intéressée demande dans les deux mois du licenciement à connaître les motifs de celui-ci, contestant avoir abandonné son poste de travail, étant la mention figurant sur le C4. L’employeur maintient sa position dans un courrier en réponse.

L’intéressée demande quant à elle par une requête séparée condamnation de l’employeur à une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’à une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle les principes relatifs au mode de rupture en cause. L’acte équipollent à rupture, tout en ne figurant pas dans les modes de résiliation du contrat de travail prévus par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, est une construction jurisprudentielle. Il en rappelle le fondement, qui est l’article 1134 du Code civil.

La Cour de cassation a, dans divers arrêts, balisé les règles, étant qu’il peut s’agir d’une modification importante et unilatérale d’un des éléments essentiels du contrat de travail, hypothèse dans laquelle n’est pas recherchée l’existence de la volonté de rompre ou du manquement d’une des parties à l’une de ses obligations contractuelles, la preuve de la volonté de rompre devant ici être rapportée pour que la rupture du contrat de travail puisse être constatée.

Le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 26 février 1990 (Cass., 26 février 1990, Chron. dr. soc., 1990, p. 273), selon lequel un manquement ne peut constituer un congé tacite que si est présente la volonté de rompre, par exemple vu son caractère persistant.

Les manquements en cause peuvent être ceux repris à l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978, le tribunal pointant le fait de ne pas exécuter son travail avec soin, probité et conscience, au temps et au lieu et dans les conditions convenues, ainsi que le fait de ne pas suivre les ordres et instructions de l’employeur relatives à l’exécution du contrat.

Dès lors que l’acte équipollent à rupture est constaté, la rupture intervient immédiatement et irrévocablement, le tribunal renvoyant à un arrêt plus récent de la Cour de cassation (Cass., 20 décembre 2004, n° S.04.0095.N).

Le contrôle judiciaire porte d’abord sur la réalité du fait avancé comme constitutif d’acte équipollent à rupture et, s’il est avéré, sur l’adéquation de la qualification donnée à celui-ci, vu les principes ci-dessus. Si une partie a dénoncé l’acte équipollent à rupture à tort, elle peut être tenue envers l’autre partie du paiement d’une indemnité de rupture.

Pour ce qui est de l’hypothèse de l’incapacité de travail non justifiée (ou de la prolongation de celle-ci), le tribunal rappelle que la jurisprudence est divisée sur la question de savoir s’il y a rupture unilatérale du contrat en cas de défaut de justification. Il faut, selon le jugement, tenir compte de toutes les circonstances propres au cas d’espèce.

Il reprend ensuite l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978, qui impose à la partie qui résilie le contrat sans motif grave ou sans respecter le délai de préavis légal, de payer une indemnité égale à la rémunération en cours, qui correspond soit à la durée du délai de préavis, soit à la partie de celui-ci restant à courir.

En l’espèce, le fait est établi, étant le défaut de justification des absences, suite à quoi le tribunal examine s’il y a eu volonté de rompre le contrat dans le chef de la travailleuse. L’attention de cette dernière a été attirée à de nombreuses reprises sur ses obligations et sur la suite que l’employeur comptait donner au manquement. Celui-ci est dès lors établi, la volonté de rompre étant constatée. Le tribunal fait droit à la demande de paiement de l’indemnité compensatoire.

Quant au licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal répond succinctement que cette indemnité n’est pas fondée, la rupture du contrat ayant un lien avec la conduite de l’intéressée.

Intérêt de la décision

Comme le tribunal l’a rappelé dans ce jugement, la question du comportement du travailleur eu égard aux obligations légales et contractuelles se pose régulièrement à propos d’absences non justifiées, que ce soit des absences pour incapacité de travail ou des absences pour d’autres motifs. Il y a en effet lieu, dans ce cas de figure de l’acte équipollent à rupture, à rechercher la volonté du travailleur de rompre le contrat. Un simple manquement (ou même un manquement grave) ne suffit pas à établir l’existence de cette volonté, vu que deux éléments sont requis, à savoir d’une part l’élément intentionnel du comportement et d’autre part l’effet de ce comportement intentionnel, qui est la rupture du contrat.

La question de l’absence de justification de l’incapacité de travail est particulièrement délicate, le travailleur pouvant, pour divers motifs liés précisément à cette incapacité, manquer à ses obligations légales ou contractuelles. Telle est la raison pour laquelle la recherche du comportement intentionnel est, dans cette hypothèse, généralement plus exigeante. Le tribunal a rappelé dans son jugement que l’élément déterminant à ce propos peut être la persistance du manquement. Un seul comportement (ou même un comportement répété) ne suffirait ainsi pas, dès lors que la persistance du comportement fautif n’est pas établie.

Il ne fait nul doute que, dans l’hypothèse visée, l’employeur a pris suffisamment de précautions pour qu’il ne puisse lui être reproché une précipitation dans le constat de l’acte équipollent à rupture.


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