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Devoirs d’information et de conseil de l’ONEm

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 15 mars 2021, R.G. 19/953/A

Mis en ligne le jeudi 14 octobre 2021


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 15 mars 2021, R.G. 19/953/A

Terra Laboris

Par jugement du 15 mars 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle l’obligation d’information et de conseil qui pèse sur l’ONEm dans le cadre des formalités à accomplir par le chômeur qui envisage de s’installer comme indépendant (procédure « tremplin-indépendants »).

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations de chômage introduit un recours contre une décision de l’ONEm d’exclusion des allocations et de récupération d’indu, décision intervenue au motif qu’elle aurait effectué une activité pour compte propre tout en bénéficiant d’allocations en tant que chômeur complet.

L’intéressée bénéficiait en effet d’allocations de chômage lorsqu’elle décida d’entamer une activité, en personne physique. Celle-ci consiste en la vente de vêtements. Elle remplit une déclaration d’activité accessoire dans le cadre du « tremplin-indépendants ». Ceci fut fait en août 2018 et elle indiquait comme date de début le 1er janvier 2019. L’entreprise (personne physique) fut enregistrée à la Banque-carrefour en septembre 2018, étant précisé qu’elle n’était active que depuis le 1er janvier 2019. L’intéressée conclut ensuite un bail pour une surface commerciale et c’est alors qu’intervint la décision de l’ONEm de l’exclure à partir du 1er novembre 2018, avec récupération de l’indu et sanction de quatre semaines, sur pied de l’article 154 de l’arrêté royal.

Suite au recours de l’intéressée, le tribunal est ainsi saisi de la question de son droit à des allocations pour la période des mois de novembre et décembre 2018, l’ONEm ayant introduit une demande reconventionnelle en vue de récupération d’indu pour ces deux mois.

La décision du tribunal

Le tribunal part, dans son examen, de l’article 44 de l’arrêté royal, qui reprend les activités susceptibles d’être qualifiées de « travail » au sens de la réglementation, que ce soit pour compte propre ou pour compte de tiers. L’hypothèse de l’installation comme travailleur indépendant fait l’objet de dispositions particulières, le chômeur qui se prépare à celle-ci, ou encore à la création d’une entreprise, et qui en fait la déclaration préalable pouvant bénéficier du maintien des allocations tout en effectuant des activités énumérées par le texte. Il s’agit essentiellement d’études relatives à la faisabilité du projet, de l’aménagement des locaux et du matériel, ainsi que de l’établissement des contacts nécessaires à la mise en œuvre du projet. Le texte précise encore que cette dérogation est valable pour un maximum de six mois et ne sera accordée qu’une fois.

Le tribunal renvoie, pour ce qui est de la déclaration préalable, à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 8 juin 2017, R.G. 2016/AB/94). Celle-ci, tout comme celle visée à l’article 48 du même arrêté royal, s’explique vu que le directeur du bureau de chômage doit pouvoir exercer un contrôle sur le respect de la réglementation, et notamment sur le respect des six mois. Dans l’arrêt auquel le tribunal se réfère, la Cour du travail de Bruxelles avait considéré que la déclaration préalable constitue une condition substantielle pour pouvoir continuer à bénéficier des allocations et que, sans elle, l’autorisation n’est pas acquise et ne pourra être acquise ultérieurement. Dans cette hypothèse, les prestations effectuées ne seront pas cumulables avec les allocations. En outre, les prestations doivent être mentionnées sur la carte de contrôle.

En l’espèce, l’intéressée a effectué diverses formalités, notamment afin d’obtenir un numéro de TVA. Elle a commandé des marchandises (devant être dédouanées), a prospecté en vue de la location d’un local, etc.

Pour le tribunal, il s’agit d’activités préparatoires au sens de l’article 45, alinéa 5.

L’intéressée n’ayant cependant fait aucune déclaration préalable, il conclut que la décision de l’ONEm doit être confirmée.

Cependant, se pose la question du respect par l’ONEm de ses devoirs d’information et de conseil. Sur ce point, le tribunal renvoie aux principes de la Charte de l’assuré social. Dans la mesure où il est fait obligation de fournir à l’assuré social qui en fait la demande écrite toute information utile concernant ses droits et obligations et de lui communiquer d’initiative tout complément d’informations nécessaires à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits, il s’interroge sur le respect de l’article 3.

Il renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 14 décembre 2016 (C. trav. Mons, 14 décembre 2016, R.G. 2013/AM/435), qui a souligné le comportement réactif et proactif imposé, ainsi, par l’article 3 de la Charte aux organismes de sécurité sociale. La cour du travail avait notamment retenu que leur rôle est de faire en sorte que les assurés sociaux puissent obtenir les prestations sociales auxquelles ils ont légalement droit et qu’en conséquence, lorsque l’institution de sécurité sociale reçoit une information qui a une influence sur le maintien ou sur l’étendue des droits de l’assuré social à des prestations, elle est tenue de réagir et de l’informer concernant les démarches à accomplir ou les obligations à respecter en vue de la sauvegarde de ceux-ci. En vertu de l’article 4, par ailleurs, les institutions doivent conseiller l’assuré social qui le demande sur l’exercice de ses droits ou l’accomplissement de ses devoirs et obligations.

En cas de complément d’informations nécessaires à l’examen de la demande ou au maintien des droits de l’assuré social, il n’est cependant pas requis que celui-ci ait préalablement fait une demande écrite en ce sens.

En l’espèce, il est constaté par le tribunal qu’il y a eu un manque d’informations de la part de l’ONEm lorsque l’intéressée a introduit sa demande de « mesures tremplin », celle-ci ayant été formée avant que les actes préparatoires en cause ne soient entrepris.

La demanderesse exposant qu’elle s’était longuement informée quant à la réalisation du projet en cause, le tribunal retient qu’elle a eu la volonté de respecter la loi, ce qui résulte notamment de la déclaration d’activité qu’elle a faite au mois d’août, soit plus de trois mois avant le début officiel de l’activité, alors qu’elle savait que celle-ci ne pourrait être entamée qu’à ce moment.

Dans une telle situation, il appartient à l’ONEm d’établir qu’il a eu un comportement réactif et proactif au sens de l’article 3 de la Charte. Il devait en effet l’informer de manière précise et exhaustive quant à ses droits et obligations dans le cadre du cumul de cette activité avec les allocations de chômage, et notamment lui donner les renseignements relatifs aux « actes préparatoires », dans la mesure où il s’agit d’une formalité substantielle pour bénéficier des allocations.

Le tribunal relève encore la complexité particulière des démarches administratives pour les citoyens, ce qui entraînait l’obligation pour l’ONEm de les guider dans les méandres de la législation (7e feuillet).

Il ordonne, en conséquence, une réouverture des débats afin que l’ONEm puisse apporter la preuve du respect de son devoir d’information et de conseil quant aux conditions prévues à l’article 45, alinéa 5, de l’arrêté royal organique.

Intérêt de la décision

Le tribunal du travail raisonne en deux étapes, dans ce jugement, s’agissant de vérifier si les éléments de fait permettent le cumul des allocations de chômage avec les actes posés par l’assurée sociale en vue de créer son entreprise.

La première étape du raisonnement est de vérifier la réalité des démarches et activités en cause, le tribunal ne pouvant que constater l’existence d’activités préparatoires au sens de l’article 45. La jurisprudence citée retient que la déclaration préalable est une condition substantielle du maintien des allocations de chômage, qui peuvent ainsi être cumulées avec lesdits actes destinés à l’installation du travailleur indépendant.

Une fois les actes qualifiés et l’absence de déclaration accessoire constatée, le tribunal ne peut que conclure au bien-fondé de la décision de l’ONEm, sur pied de l’article 45 de l’arrêté royal organique.

Cependant, la Charte de l’assuré social vient, ensuite, tempérer les effets de ce constat pour l’assuré social, puisque ce texte légal met à charge des institutions de sécurité sociale une obligation qualifiée non seulement de réactive, mais aussi de proactive.

Dans son arrêt du 23 novembre 2009 (Cass., 23 novembre 2009, n° S.07.0115.F), la Cour de cassation a jugé qu’en cas de complément d’informations nécessaires à l’examen de la demande ou au maintien des droits, l’obligation d’information n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré social ait fait une demande écrite préalable concernant ses droits et obligations. Il en découle qu’il appartient à l’ONEm d’établir qu’il a fourni au chômeur les renseignements utiles au maintien de ses droits, en l’occurrence au maintien des allocations de chômage pendant la période en cause.

L’obligation de proactivité des institutions de sécurité sociale a, à de nombreuses reprises, été soulignée en jurisprudence et elle a, au fil du temps, été affinée.

Dans l’arrêt du 14 décembre 2016 rendu par la Cour du travail de Mons (cité dans le jugement), il s’agissait d’une affaire AMI et la cour a considéré que rentre dans ce devoir d’information l’obligation de réagir et d’informer l’assuré social sur les démarches à faire ou sur les obligations à respecter, la cour posant également le débat du lien de causalité.

Dans la jurisprudence plus récente, soulignons, toujours dans le secteur AMI, plusieurs arrêts importants. Ainsi, par arrêt du 14 octobre 2020 (C. trav. Bruxelles, 14 octobre 2020, R.G. 2019/AB/308), la Cour du travail de Bruxelles a jugé que manque aux devoirs que lui imposent les articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social ─ et commet de ce fait une faute réparable par équivalent sur pied de l’article 1382 du Code civil ─, la mutuelle qui, informée à plusieurs reprises d’un départ prochain pour l’étranger et de l’accouchement qui y est prévu, ne fournit pas à son affiliée toutes les informations utiles au maintien de ses droits, dont la nécessité d’obtenir, au préalable, l’autorisation de médecin-conseil.

De même, par arrêt du 15 janvier 2020 (C. trav. Mons, 15 janvier 2020, R.G. 2018/AM/364), la Cour du travail de Mons a considéré que les institutions de sécurité sociale doivent faire en sorte que les assurés sociaux puissent obtenir les prestations sociales auxquelles ils ont légalement droit et qu’elles ne peuvent rester passives face à une information qu’elles reçoivent ou en présence d’un dossier incomplet. C’est la logique de « l’administration active », qui doit jouer un rôle actif dans le traitement des dossiers. Cette obligation a cependant des limites et l’assuré social ne peut se retrancher derrière elle pour s’abstenir de s’informer sur la portée de ses propres droits et obligations. Ainsi, en cas de modification des revenus du ménage (épouse également invalide et autorisée à prester dans le cadre d’un mi-temps médical en l’espèce).

En chômage, la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 18 mai 2017, R.G. 2014/AB/842) a eu précédemment l’occasion de préciser que, s’il est vrai que, en vertu des articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social, l’ONEm a, en tant qu’organisme de sécurité sociale, une obligation d’information et de conseil du chômeur, ces articles précisent que l’obligation n’existe que sur demande de l’assuré. L’obligation générale de bonne administration qui pèse sur l’Office ne l’oblige pas à prendre en compte, préventivement, toutes les situations susceptibles d’influencer le droit aux allocations de chômage et à en avertir systématiquement le chômeur si aucun élément concret n’est porté à sa connaissance par ce dernier. Il n’y a, dans ce cas, pas manquement à l’obligation d’information et de conseil de la part de l’ONEm, qui pourrait engager sa responsabilité.


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