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Accident du travail d’un agent statutaire de HR Rail : spécificités de la réglementation applicable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er mars 2021, R.G. 2019/AB/310 et 2019/AB/318

Mis en ligne le lundi 15 novembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 1er mars 2021, R.G. 2019/AB/310 et 2019/AB/318

Terra Laboris

Par arrêt du 1er mars 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions de reconnaissance d’un accident du travail dans le cadre de la réglementation spécifique applicable à la société HR Rail et rappelle les principes dégagés par la Cour de cassation quant à l’existence du lien de causalité entre l’événement soudain et la lésion.

Les faits

Une agente statutaire de HR Rail (accompagnatrice de train) est victime de deux accidents du travail en 2016, l’un consistant en une entorse au genou droit et l’autre en une altercation avec un passager.

Quelques mois plus tard, un incident éclate avec une supérieure hiérarchique et, suite à celui-ci, lors d’un entretien avec cette dernière ainsi qu’avec un autre membre de la direction, survient un nouvel épisode. Suite à celui-ci, une déclaration d’accident du travail est introduite, l’intéressée y joignant sa version de l’entretien.

Elle tombe en incapacité de travail et, à l’heure où la cour statue, elle n’a pas repris celui-ci.

Une procédure a été introduite devant le tribunal du travail, qui a admis, dans un jugement du 13 février 2019, qu’il y avait accident du travail au sens du § 10.1 du Fascicule 572 du R.G.P.S. applicable aux agents statutaires de HR Rail. Un expert a été désigné.

L’employeur public forme appel et l’affaire vient ainsi devant la cour.

La décision de la cour

La cour entreprend en premier lieu l’examen des règles de droit applicables. Elle constate que l’appel est limité à l’existence d’un accident du travail et que ne se pose pas la discussion relative au R.G.P.S. 572, étant le Règlement général des accidents du travail, des accidents sur le chemin du travail et des maladies professionnelles, qui constitue une disposition réglementaire interne à HR Rail et fait partie intégrante du statut applicable à ses agents statutaires, ainsi que l’a rappelé la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 4 octobre 2018 (C. const., 4 octobre 2018, n° 125/2018).

Le R.G.P.S. 572 prévoit, sur le plan de la preuve, que le demandeur doit établir d’une part l’existence d’un événement soudain dont la cause ou l’une des causes est extérieure à l’organisme de la victime et d’autre part une lésion, auquel cas cette lésion est présumée, jusqu’à preuve du contraire, provenir d’un accident. Pour l’accident du travail au sens strict, elle droit également prouver que l’accident s’est produit au cours de l’exécution du service, auquel cas il est présumé, jusqu’à preuve du contraire, survenu par le fait de cette exécution.

En outre est mise à charge de la victime l’obligation formelle de recourir au service médical, pharmaceutique et hospitalier de la société et de se conformer aux instructions données par le chef immédiat et ce service médical, à défaut de quoi l’agent est considéré comme refusant les soins de ce service. Ce refus peut entraîner des conséquences non négligeables, étant la limitation de l’intervention dans les frais, et notamment via la Caisse des soins de santé, la réduction de l’indemnité pour incapacité temporaire ainsi que de la rente.

Après ce rappel, la cour examine les faits qui lui sont présentés, rappelant qu’il n’est pas requis que l’événement soudain présente une gravité particulière ni qu’il soit exceptionnel. En l’espèce, il est établi que l’intéressée a eu un entretien avec ses deux supérieurs hiérarchiques, que celui-ci a porté de manière imprévue sur des questions disciplinaires, que des reproches lui ont été faits quant à son comportement et qu’une sanction disciplinaire (une « punition ») lui a été annoncée. Il s’agit d’un fait suffisamment déterminé dans le temps et dans l’espace, même s’il s’inscrit dans un ensemble d’incidents et de mauvaises relations entre l’intéressée et sa hiérarchie.

La cour rappelle encore que, pour la reconnaissance d’un événement soudain, il suffit que celui-ci soit susceptible d’avoir causé le problème de santé. La question de savoir si celui-ci a effectivement été causé, en tout ou en partie, par l’événement soudain doit faire l’objet d’un examen distinct, étant sur le plan du lien de causalité entre l’événement soudain et la lésion. Reprenant le R.G.P.S. 572, la cour constate que, comme en matière d’accident du travail dans le secteur public ou dans le secteur privé, il y a une présomption de lien causal et qu’il appartient à HR Rail de démontrer l’absence de causalité.

Dans la mesure où la notion de lien causal n’est pas précisée par le R.G.P.S., il faut faire application du droit commun des accidents du travail par analogie. Ce lien causal existe dès lors que l’événement a été, fût-ce partiellement, la cause de la lésion, c’est-à-dire dès lors que la lésion ne se serait pas produite au moment et dans la forme où elle est survenue sans l’événement soudain. Dans le renversement de la présomption, il faut qu’il soit exclu, avec le plus haut degré de vraisemblance, que les lésions soient, concrètement, une conséquence en tout ou en partie de l’événement soudain (la cour renvoyant ici à deux arrêts de la Cour de cassation, étant Cass., 3 février 2003, n° S.02.0088.N et Cass., 19 octobre 1987, n° 5.739).

En l’espèce, le lien de causalité est contesté par l’employeur. Or, pour que l’accident soit reconnu, il faut que ce lien soit établi, la cour renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2001 (Cass., 18 juin 2001, n° S.99.0159.F) en ce sens. Elle considère dès lors que les faits ont été qualifiés d’accident du travail prématurément et réforme le jugement sur ce point.

Elle estime en conclusion qu’il y a lieu de confirmer la mission d’expertise, mais en précise les termes.

Intérêt de la décision

Deux questions importantes sont abordées dans cet arrêt.

La première porte sur l’application d’une réglementation spécifique au personnel de HR Rail, étant le R.G.P.S. 572.

La Cour constitutionnelle a été interrogée quant à une loi du 25 décembre 2016 portant des dispositions diverses en matière sociale, qui prévoit notamment la non-applicabilité aux membres du personnel de HR Rail de la loi du 3 juillet 1967. Le premier moyen du recours se fondait sur la violation du principe de légalité contenu à l’article 23 de la Constitution, qui implique que le régime des allocations en matière d’accident du travail soit prévu par une loi. Or, la loi du 25 décembre 2016 exclut les membres du personnel statutaire de HR Rail de tout régime légalement institué. Pour la Cour constitutionnelle, le législateur a estimé préférable, comme repris dans les travaux préparatoires de la loi du 4 juillet 1962, de faire fixer par la Commission paritaire nationale, c’est-à-dire au sein de l’organe de concertation sociale supérieur propre au Chemins de fer belges, le régime de réparation des dommages résultant d’accidents du travail ou d’accidents survenus sur le chemin du travail pour les membres du personnel statutaire de la S.N.C.B. repris par HR Rail. Par ailleurs, elle souligne que les travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1967 confirment ce choix du législateur de ne pas assujettir les membres du personnel statutaire de la S.N.C.B. repris par HR Rail au régime de ladite loi.

Lors de la réforme des Chemins de fer belges en 2013, le législateur et le Roi ont pris le soin de souligner expressément que ce transfert s’opère de plein droit et sans modification de la situation juridique du personnel transféré. Les dispositions attaquées dans le recours en annulation n’ont donc pas eu pour effet de soustraire les membres du personnel statutaire au champ d’application de la loi du 3 juillet 1967, puisqu’ils l’étaient déjà avant celles-ci.

Dès lors, elle a également rejeté la seconde branche du premier moyen, qui était fondée sur l’existence d’un recul significatif du niveau de protection du droit à la sécurité sociale, ainsi que deux autres moyens – non commentés ici.

Soulignons que, par arrêt du 10 décembre 2018 (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0057.F), la Cour de cassation a statué sur la même problématique, cassant un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 16 novembre 2017, R.G. 2016/AL/417), qui avait conclu à l’application de la loi sans rechercher si existait un arrêté royal qui la rendait applicable aux membres de la S.N.C.B. Holding. La situation jugée concernait une période antérieure à l’insertion dans la loi elle-même de l’article 1/1 (par la loi du 25 décembre 2016), prévoyant qu’elle n’est pas applicable aux membres du personnel de HR Rail mis ou non à disposition de la S.N.C.B. ou d’Infrabel, qu’ils soient dans un lien statutaire avec HR Rail ou engagés par contrat de travail.

Même si le R.G.P.S. 572 trouve ainsi actuellement à s’appliquer, il faut néanmoins relever – ce qui est pour le moins incongru – que son texte exige encore (contrairement à la jurisprudence bien acquise de la Cour de cassation dans le régime général depuis plusieurs décennies) que la cause ou l’une des causes de l’événement soudain soit extérieure à l’organisme de la victime. Cette condition est pour le moins archaïque. Dans son examen de la cause, la cour du travail a, dans cet arrêt du 1er mars 2021, appliqué les règles générales de reconnaissance de l’événement soudain.

Un deuxième point à retenir de l’arrêt est la référence à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2001, qui a cassé un arrêt de la Cour du travail de Mons du 2 juillet 1998 (R.G. inconnu), au motif que le juge du fond ne pouvait à la fois reconnaître l’existence d’un accident du travail et confier à l’expert, au cours des travaux d’expertise, la mission de se prononcer sur le lien causal. Celui-ci n’étant pas (encore) établi, l’accident ne pouvait être considéré comme un accident du travail. Le lien de causalité n’est dès lors pas uniquement à envisager sur le plan de la preuve, mais également sur celui de la définition.


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