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Choc psychologique d’un fonctionnaire de police et accident du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 mai 2021, R.G. 2019/AB/322

Mis en ligne le mardi 11 janvier 2022


Cour du travail de Bruxelles, 21 mai 2021, R.G. 2019/AB/322

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 mai 2021, la Cour du travail de Bruxelles – confirmant le jugement du tribunal – examine un choc psychologique invoqué par un fonctionnaire de police lors de la prise de connaissance d’une proposition de réaffectation pour mesure d’ordre : cet événement est un événement soudain au sens légal et l’accident du travail est reconnu, le fait étant clairement identifié et déterminé dans le temps et dans l’espace, la cour considérant que celle-ci lui avait causé un choc émotionnel, et ce quels que soient la nature de la mesure, le fait que la notification était intervenue sans incident particulier et encore qu’elle ait été ultérieurement validée par le Conseil d’Etat.

Les faits

Un policier occupé au sein d’une direction administrative en qualité de patrouilleur a introduit une déclaration d’accident du travail en juillet 2016. Les faits qu’il décrit sont qu’un membre de la cellule discipline lui a notifié un procès-verbal judiciaire à sa charge accompagné d’une mesure d’ordre impliquant un déplacement de fonction. Il fait valoir que cette annonce lui a fait subir un choc post-traumatique et qu’il a été en maladie pendant plus de deux mois.

La déclaration est introduite onze mois après la fin de cette incapacité et l’intéressé précise qu’au moment où il rédige celle-ci, il subit toujours les séquelles de ce choc, tant sur le plan physique que moral. Il fait également état de harcèlement et de violence verbale à son égard, une enquête ayant été effectuée par Arista. Le rapport du conseiller en prévention est qu’il est victime à la fois de harcèlement et de violence verbale sur le lieu du travail. Il précise encore que la Zone de police a confirmé son statut de victime. Des éléments médicaux sont joints.

Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui a statué par jugement du 26 mars 2019. Le tribunal a constaté que la demande était recevable et, avant dire droit, fondée. Il a désigné un expert aux fins de décrire les séquelles de l’accident et de dire si, à son avis, avec un haut degré de vraisemblance médicale, tout lien causal peut être exclu entre l’événement soudain et les lésions ou leur aggravation survenue à cette date ou postérieurement.

La Zone de police a interjeté appel.

La décision de la cour

La cour relate les faits tels qu’ils ressortent des pièces du dossier. Elle reprend longuement les circonstances de l’accident et la procédure administrative suite à la déclaration intervenue. Elle reprend également la décision de la Zone de police de ne pas reconnaître les faits comme constitutifs d’un accident du travail, au motif que doit exister un élément spécial et que l’événement soudain doit reposer sur des éléments objectifs. L’employeur constate notamment que la décision de mutation a fait l’objet d’un recours au Conseil d’Etat et que celui-ci a rejeté la demande d’annulation et de suspension.

La cour en vient ensuite à l’examen de la recevabilité de l’appel de la Zone de police. L’intimé considère en effet que celui-ci n’est pas conforme à l’article 1050 du Code judiciaire. La cour ne partage pas cette position, rappelant que le tribunal a tranché une question, puisqu’il a jugé qu’il résultait de la juxtaposition de l’ensemble des éléments qui lui avaient été soumis qu’apparaissait bien un événement soudain susceptible de générer une lésion. Pour la cour, peu importe que, dans la foulée, un expert ait été désigné. Le tribunal a tranché une question. Le jugement présente ainsi un caractère mixte et ne peut être considéré comme une simple décision avant dire droit qui ne serait pas appelable immédiatement en vertu de l’article 1050 du Code judiciaire.

Sur le fond, la cour rappelle (brièvement) les dispositions applicables pour se pencher sur les faits qui lui ont été soumis. Elle constate qu’il y a un élément clairement identifié et déterminé dans le temps et dans l’espace, à savoir que l’intéressé s’est vu notifier une note de service ayant pour objet une proposition de réaffectation par mesure d’ordre motivée par l’ouverture d’une information judiciaire à sa charge, celle-ci portant (entre autres) sur « faux commis par fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, perquisition illégale, violation de domicile et arrestation arbitraire », tous faits commis lors d’un contrôle de police effectué avec un de ses collègues peu de temps auparavant.

Pour la cour, il est sans intérêt que cette notification constitue l’exercice normal de l’autorité, qu’elle se serait déroulée sans incident particulier et/ou que le Conseil d’Etat aurait validé la mesure. En effet, la teneur de celle-ci n’était pas une simple proposition de réaffectation mais faisait état de faits graves imputés à l’intéressé, de même que l’ouverture d’une information judiciaire à sa charge. La cour souligne qu’aucun élément du dossier ne permet de vérifier que l’intéressé en avait été informé auparavant. Il ne s’attendait dès lors pas à une telle réaffectation. La mention de faits graves et l’invocation de l’ouverture de l’information pénale constituent deux éléments objectifs de nature à expliquer l’impact particulier que cette notification a pu avoir sur l’agent, en ce qu’ils étaient de nature à mettre gravement en cause son intégrité professionnelle et à l’exposer à des poursuites judiciaires (17e feuillet).

La cour admet donc que ceci a pu entraîner un choc émotionnel, et ce quels que soient la nature de la mesure notifiée, le fait qu’elle serait survenue sans incident particulier et qu’elle ait été validée par le Conseil d’Etat. Peu importe également le contexte préexistant des tensions relationnelles et la souffrance au travail admise par le conseiller en prévention dans le cadre du dossier ouvert. Il s’agit d’un contexte préexistant, qui n’est nullement exclusif de l’événement soudain tel que la cour l’a identifié.

Celle-ci constate encore que l’intéressé s’est présenté au « stress team » de la Zone de police ainsi que chez son médecin traitant et qu’un suivi médical est intervenu. Il importe peu à cet égard qu’une partie des lésions pour lesquelles il a été soigné soit en lien avec la situation de souffrance au travail : pour la cour, il suffit en effet que l’événement soit susceptible d’avoir aggravé des lésions préexistantes pour qu’il puisse être question d’un accident du travail.

La cour confirme la mission de l’expert, insistant sur la partie de celle-ci relative à l’exclusion de tout lien causal entre l’événement soudain et les lésions ou leur aggravation survenue à la date de l’accident ou postérieurement.

Intérêt de la décision

Sur le caractère d’événement soudain des faits visés, la cour du travail admet qu’ils répondent à la condition légale, étant que peut constituer un événement soudain une telle proposition de réaffectation notifiée dans les conditions précitées, vu la mention de faits graves et l’invocation de l’ouverture d’une information pénale à charge du travailleur, les éléments invoqués étant de nature à mettre gravement en cause l’intégrité professionnelle de l’intéressé et à l’exposer à des poursuites judiciaires. Dans cet arrêt, la cour du travail confirme ainsi la jurisprudence bien acquise concernant le choc psychologique en tant qu’événement soudain.

L’on peut à cet égard renvoyer – pour une situation sinon identique, en tout cas très comparable – à celle tranchée par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 11 février 2019 (C. trav. Bruxelles, 11 février 2019, R.G. 2016/AB/1.132 – précédemment commenté). La cour y a confirmé que, si des instructions sont normales et légitimes dans le cadre de la relation de travail, en l’occurrence, la supérieure hiérarchique ayant remis en cause la réalité des visites que l’intéressée (inspectrice sociale) déclarait avoir faites, il ne s’agit pas d’une simple demande d’explication ni d’un « banal courrier de contrôle » mais d’une réelle suspicion de mensonge et d’une remise en cause de l’intégrité de la personne. Ceci constitue une véritable violence de nature à générer un stress entraînant des lésions.

Dans ce même arrêt, un délai important avait été mis à déclarer l’accident. L’on constatera que, dans la présente affaire, il n’est pas débattu de la question du délai entre les faits eux-mêmes et la déclaration à l’administration. Dans son arrêt du 11 février 2019, la cour du travail avait considéré, quant à cette question de délai, que celui-ci est sans incidence sur le mécanisme légal de réparation, la reconnaissance de l’accident ne requérant nullement que les lésions apparaissent immédiatement ni qu’une incapacité de travail en résulte aussitôt. Elle a également rappelé que sont indemnisés non seulement le dommage causé au moment de l’accident mais aussi toutes ses suites ultérieures, dans la mesure où l’accident en est une des causes et où elles ne se seraient pas produites au moment et dans les formes dans lesquelles elles sont intervenues sans la survenance de l’accident.


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