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Pension de retraite des travailleurs migrants : totalisation et proratisation

Commentaire de C.J.U.E., 21 octobre 2021, Aff. n° C-866/19 (SC c/ ZAKŁAD UBEZPIECZEŃ SPOŁECZNYCH I ODDZIAŁ W WARSZAWIE), EU:C:2021:865

Mis en ligne le mardi 15 mars 2022


Cour de Justice de l’Union européenne, 21 octobre 2021, Aff. n° C-866/19 (SC c/ ZAKŁAD UBEZPIECZEŃ SPOŁECZNYCH I ODDZIAŁ W WARSZAWIE), EU:C:2021:865

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 octobre 2021, la Cour de Justice, examinant une affaire polonaise, donne l’interprétation à réserver à l’article 52, § 1er, sous b), du Règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, en ce qui concerne le calcul du montant théorique de la pension de retraite et celui du montant effectif de la prestation.

Le litige

Lors de l’instruction d’une demande de pension de retraite d’un travailleur migrant, l’institution compétente polonaise procède au calcul des périodes d’assurance. Vu la situation spécifique de l’intéressé, elle détermine en premier lieu la durée des périodes d’assurance contributives accomplies sous la législation polonaise et, ensuite, prend en compte les périodes d’assurance non contributives à hauteur d’un tiers des périodes d’assurance contributives, conformément à la législation interne. Dans la mesure où le travailleur ne justifie pas par ailleurs, sur la base des périodes d’assurance à prendre en compte dans l’Etat membre, de la durée minimale requise pour l’acquisition du droit à la pension de retraite, l’institution ajoute des périodes d’assurance accomplies sous la législation d’un autre Etat membre (Pays-Bas).

Une fois cette durée d’assurance déterminée, le montant théorique de la prestation est calculé de la même manière, par l’addition des périodes d’assurance contributives nationales et des périodes non contributives dans la limite du tiers des premières, les périodes d’assurance accomplies aux Pays-Bas étant ajoutées ensuite. Le montant effectif de la pension est, quant à lui, calculé au prorata des périodes d’assurance accomplies en Pologne par rapport à la durée totale de celles-ci (Pologne et Pays-Bas).

La procédure

Un recours est introduit par l’intéressé afin que les périodes d’assurance non contributives soient prises en compte dans une plus grande proportion, se référant à l’arrêt TOMASZEWSKA (C.J.U.E., 3 mars 2011, Aff. n° C-440/09, ZAKŁAD UBEZPIECZEŃ SPOŁECZNYCH ODDZIAŁ W NOWYM SĄCZU c/ TOMASZEWSKA, EU:C:2011:114). Selon celui-ci, il y a lieu de prendre en considération, pour la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes de cotisation non contributives, de toutes les périodes d’assurance acquises dans le parcours professionnel du travailleur migrant, c’est-à-dire en ce compris celles dans les autres Etats membres.

Le Tribunal régional de Varsovie a rejeté le recours et appel a été interjeté devant la Cour d’appel de Varsovie, qui a réformé ce jugement. Pour la cour d’appel, l’interprétation de l’arrêt TOMASZEWSKA (qui porte sur l’article 45 du Règlement n° 1408/71) est valable à la fois pour la détermination de la durée nécessaire pour l’acquisition du droit à la pension mais également pour le calcul du montant de celle-ci.

Un recours en cassation a été formé devant la Cour suprême. Le moyen de cassation comporte plusieurs branches. La première porte sur l’arrêt TOMASZEWSKA, au motif qu’il concerne l’article 45, § 1er, du Règlement n° 1408/71 et non l’article 46, § 2. La première disposition correspond à l’article 6 du Règlement n° 883/2004 et la seconde à son article 52, § 1er. En outre, le moyen fait valoir que le cas n’est pas transposable et que l’interprétation de l’article 45 dans l’arrêt cité aurait pour conséquence que les périodes d’assurance non contributives pourraient être prises en compte dans une mesure plus large que celle prévue par le droit polonais et aboutiraient à une augmentation de la prestation. Enfin, il fait valoir une décision de la Commission administrative (décision n° H6) du 16 décembre 2010, dont il découlerait que l’organisme polonais ne peut être contraint de tenir compte de périodes d’assurance dans une mesure plus large que celle prévue par le droit national.

Il s’agit dès lors d’interpréter l’article 52, § 1er, sous b), du Règlement n° 883/2004.

La question préjudicielle

Celle-ci porte sur trois interprétations possibles de la disposition.

Une première interprétation peut être que la disposition tient compte, conformément au droit national, de périodes non contributives dans la limite du tiers des périodes contributives accomplies à la fois sous l’empire du droit national et sous la législation d’autres Etats membres, et ce tant pour déterminer le montant théorique que le montant effectif de la prestation.

Une autre est que la disposition impose que l’institution compétente tienne compte, conformément au droit national, des périodes non contributives dans la limite du tiers du total des périodes contributives (droit national et droit des autres Etats membres) uniquement pour déterminer le montant théorique mais non le montant effectif de la prestation.

Enfin, il peut également être envisagé que, aux fins de fixer le calcul du plafond applicable aux périodes non contributives en vertu du droit national, l’institution compétente ne tienne pas compte, lors de la détermination du montant théorique et du montant effectif de la prestation, des périodes d’assurance accomplies dans un autre Etat.

La réponse de la Cour

La Cour rappelle en premier lieu que les décisions de jurisprudence relatives aux dispositions du Règlement n° 1408/71 conservent toute leur pertinence pour l’interprétation du Règlement n° 883/2004.

Aucun des deux règlements ne détermine les conditions auxquelles est soumise la constitution des périodes d’emploi ou d’assurance, celles-ci relevant de la législation des Etats membres sous laquelle les périodes en cause ont été accomplies. Dans la détermination des conditions ouvrant le droit aux prestations, les Etats membres doivent, ainsi que la Cour le rappelle très fréquemment, respecter le droit de l’Union, et en particulier les dispositions du Traité F.U.E. relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats membres.

Lorsqu’il y a lieu d’examiner, pour l’octroi d’une prestation, l’accomplissement de périodes d’assurance, il faut prendre en considération celles accomplies sous la législation de tout Etat membre, et ce comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation appliquée par l’institution compétente. Il faut donc totaliser les périodes d’assurance accomplies sous la législation des divers Etats membres concernés, la Cour faisant ici référence à son arrêt ZANIEWICZ-DYBECK (C.J.U.E., 7 décembre 2017, Aff. n° C-189/16, ZANIEWICZ-DYBECK c/ PENSIONSMYNDIGHETEN, EU:C:2017:946).

La Cour rappelle également que l’article 45 du Règlement n° 1408/71 est une mise en œuvre du principe énoncé à l’article 48 T.F.U.E., qui est de garantir que l’exercice du droit à la libre circulation n’ait pas pour effet de priver un travailleur d’avantages de sécurité sociale auxquels il aurait pu prétendre s’il n’avait pas exercé ce droit.

En conséquence, si une législation nationale prévoit une limite que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives, l’institution compétente doit prendre en compte, pour la détermination des périodes d’assurance contributives, toutes celles acquises dans le parcours professionnel de l’intéressé, en ce compris sous la législation d’un autre Etat membre.

La Cour relève que le litige actuel ne porte pas sur l’acquisition d’un droit à la pension mais sur le calcul de celle-ci. L’article 52, § 1er, sous b), du Règlement n° 883/2004 fixe les règles de calcul du montant en cause, étant qu’il s’effectue en deux phases, un montant théorique devant d’abord être retenu et, ensuite, le montant effectif. Pour le montant théorique, il faut calculer celui-ci comme si toutes les périodes d’assurance (et/ou de résidence) avaient été accomplies sous la législation appliquée, c’est-à-dire comme si l’assuré avait exercé toute son activité professionnelle uniquement dans l’Etat membre (diverses décisions étant ici citées). Ainsi, les périodes de cotisations accomplies sous la législation des deux Etats concernés doivent être prises en compte pour déterminer la limite d’un tiers que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives. Les périodes d’assurance accomplies sous la législation des différents Etats membres font ainsi l’objet d’une totalisation.

Cette interprétation est conforme à la finalité de la disposition, qui est d’assurer au travailleur le montant théorique maximal auquel il pourrait prétendre si toutes les périodes d’assurance avaient été accomplies sous la législation de l’Etat membre concerné. Cette règle est également liée au respect de la libre circulation des travailleurs, ceux-ci ne devant ni perdre des droits à des prestations de sécurité sociale ni subir une réduction du montant de celles-ci du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation.

La Cour examine, ensuite, la seconde phase du calcul, étant celle relative à l’établissement du montant effectif. Celui-ci est calculé au prorata de la durée des périodes d’assurance (et/ou de résidence) accomplies sous la législation appliquée par rapport à la durée totale des périodes d’assurance (et/ou de résidence) dans tous les Etats membres concernés. Il faut en effet veiller à répartir la charge respective des prestations entre les différents Etats membres, et ce en veillant au prorata de la durée des périodes d’assurance accomplies dans chacun d’entre eux.

Il s’agit ici d’appliquer le principe de proratisation et non celui de totalisation et la Cour rappelle que ceci est justifié vu l’absence de régime commun de sécurité sociale dans les différents Etats ainsi qu’au respect de la balance de la charge des prestations entre Etats membres. Chaque institution ne doit ainsi verser que la partie de la prestation qui se rapporte aux périodes pertinentes accomplies sous la législation appliquée. Le travailleur perçoit effectivement la prestation en fonction de la proportion du montant théorique qui correspond aux périodes totales d’assurance (et/ou de résidence) effectivement accomplies dans cet Etat. Le montant effectif devra ainsi être calculé en tenant compte de toutes les périodes de cotisations effectives ou assimilées par la législation en cause.

S’agissant d’appliquer la législation polonaise, il faut tenir compte, pour le montant effectif de la prestation, des périodes d’assurance contributives en Pologne ainsi que des périodes non contributives dans cet Etat dans la limite du tiers des périodes d’assurance contributives, ceci étant imposé par cette législation. Il faut cependant exclure les périodes d’assurance accomplies dans un autre Etat membre.

La réponse à la question posée est dès lors que, pour la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes d’assurance non contributives par rapport aux périodes d’assurance contributives conformément à la législation nationale, l’institution compétente doit, lors du calcul du montant théorique de la prestation, tenir compte de toutes les périodes d’assurance (en ce compris celles dans d’autres Etats membres), tandis que, pour le calcul du montant effectif de la prestation, il faut prendre en compte uniquement les périodes d’assurance accomplies sous la législation de l’Etat membre concerné.

Intérêt de la décision

Dans son arrêt ZANIEWICZ-DYBECK du 7 décembre 2017 (précédemment commenté), la Cour de Justice a répondu aux questions que la Cour suprême suédoise avait posées, relatives aux articles 47, § 1er, sous d) et 46, § 2, du Règlement n° 1408/71, dans l’hypothèse d’une question de pension garantie. La Cour suprême souhaitait que la Cour de Justice se prononce sur le point de savoir si l’article 47, § 1er, sous d) implique qu’il est possible d’attribuer aux périodes d’assurance accomplies dans un autre Etat membre une valeur correspondant à la valeur moyenne des périodes accomplies en Suède lorsque l’institution procède à un calcul au prorata conformément à l’article 46, § 2. La Cour a jugé que l’article 50 dudit règlement ne s’oppose pas à une législation d’un État membre qui prévoit que, lors du calcul d’une prestation minimale telle que la pension garantie en cause, l’institution compétente doit tenir compte de l’ensemble des pensions de retraite que l’intéressé perçoit effectivement d’un ou de plusieurs autres États membres. La Cour de Justice s’était également prononcée dans cette affaire sur la notion de ‘prestation minimale’.

Dans l’arrêt commenté, elle rappelle le principe ainsi dégagé, étant que lorsqu’il y a lieu d’examiner, pour l’octroi d’une prestation, l’accomplissement de périodes d’assurance, il faut prendre en considération celles accomplies sous la législation de tout Etat membre, et ce comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation appliquée par l’institution compétente. Il faut donc totaliser les périodes d’assurance accomplies sous la législation des divers Etats membres concernés.

L’affaire TOMASZEWSKA lui avait permis précédemment de dire pour droit qu’il y a lieu de prendre en considération, pour la détermination de la limite que ne peuvent excéder les périodes de cotisation non contributives, de toutes les périodes d’assurance acquises dans le parcours professionnel du travailleur migrant, c’est-à-dire en ce compris celles dans les autres Etats membres.


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