Terralaboris asbl

Date d’exigibilité de l’indemnisation de l’incapacité permanente en cas de maladie professionnelle dans le secteur public

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 juin 2021, R.G. 2020/AL/94

Mis en ligne le mardi 15 mars 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 juin 2021, R.G. 2020/AL/94

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 juin 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) se prononce en matière de prescription du droit au paiement de la rente de l’incapacité permanente de travail dans le secteur public, rappelant que l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 contient un délai de prescription et concluant que celui-ci exclut l’application de l’article 2277 du Code civil.

Les faits

Un ouvrier plombier a introduit une demande de maladie professionnelle, ayant dû utiliser des outils vibrants, porter des charges lourdes et conduit des véhicules anciens et mal suspendus, et ce pendant sa période d’occupation au service d’une société (publique) entre 1988 et 2005.

La demande a plusieurs fondements. Un code visé est le 1.605.01. Un autre est le 1.605.03 (avec demande de réparation pour ce poste également dans le système ouvert).

L’employeur (public) rejette, dans un premier temps, la demande de réparation sur la base du code 1.605.03 et du système ouvert, au motif que l’intéressé n’est pas atteint de la maladie professionnelle. Une seconde décision intervient ultérieurement, reconnaissant l’autre demande de réparation et fixant les séquelles à un taux d’I.P.P. de 4%, à dater du 7 mai 2007.

Un recours est introduit contre les deux décisions, et ce le 29 janvier 2010. Dans cette procédure, le Fonds des Maladies Professionnelles (actuellement FEDRIS) fait intervention volontaire.

Un premier jugement est rendu le 4 octobre 2012, désignant un expert.

Les conclusions de ce dernier sont qu’il y a maladie professionnelle sous le code 1.605.01, avec un taux d’incapacité permanente partielle physique de 7% à la date admise par l’autorité, étant le 7 mai 2007. Quant à l’autre demande d’indemnisation, l’expert reconnaît l’exposition au risque dans le cadre du système fermé, identifiant l’affection, celle-ci entrant dans la définition légale. Pour cette maladie, un taux d’I.P.P. physique est également admis, taux augmentant avec le temps, passant de 10% au 22 novembre 1998 à 15% le 26 octobre 2005 et à 20% le 4 octobre 2012.

Le tribunal a entériné ce rapport, reconnaissant dès lors le droit pour l’intéressé à une indemnisation dans les deux codes, étant une réparation pour lésions aux membres supérieurs et une autre pour une affection lombaire. Le tribunal a majoré les taux d’incapacité physique de facteurs socio-économiques.

Le tribunal a, pour l’affection lombaire, accordé la réparation à partir du 19 février 2005 (date d’entrée en vigueur du code correspondant) et a réservé à statuer pour la période antérieure, pour laquelle une demande avait été formée dans le système ouvert.

Après le dépôt du rapport complémentaire de l’expert, qui a conclu à l’existence d’une maladie professionnelle depuis le début (22 novembre 1998) dans le système ouvert, le tribunal a rendu un nouveau jugement le 20 février 2017, ordonnant un nouveau complément d’expertise afin de préciser les raisons pour lesquelles un lien déterminant et direct entre la maladie et l’exercice de la profession devait être retenu, s’agissant d’une maladie hors liste. Le rapport déposé sur cette dernière question confirme qu’il est établi avec le plus haut degré de certitude que permet l’état d’avancement de la médecine que l’intéressé est atteint de la maladie professionnelle trouvant sa cause directe et déterminante dans l’activité professionnelle.

Le jugement par lequel le tribunal vide sa saisine date du 3 décembre 2018 et admet le droit au paiement des indemnités légales à partir du 29 janvier 2005.

Appel est interjeté par le travailleur.

Position des parties devant la cour

L’appelant demande que l’indemnisation soit fixée au 1er novembre 1998, aucune prescription ne pouvant intervenir, seule la prescription prévue à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 étant applicable (et celle-ci ayant été valablement interrompue). Le travailleur demande qu’il ne soit pas fait application de l’article 2277 du Code civil et, subsidiairement, que la date à retenir pour l’application de la prescription, à savoir la date d’exigibilité des indemnités, soit la date d’objectivation des lésions et non celle du paiement.

FEDRIS demande la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions, considérant que c’est à juste titre que les premiers juges ont appliqué l’article 2277 du Code civil, cette disposition n’étant pas exclue par l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967. Pour FEDRIS, l’article 20 est un délai de recours et non un délai de prescription, la loi du 3 juillet 1967 ne comportant pas de règle spécifique de prescription. L’Agence fait également valoir que, dans le secteur privé, l’application de l’article 2277 du Code civil est acquise, qu’elle limite la date d’exigibilité des indemnités et que ne pas l’admettre dans le secteur public serait source de discrimination, les indemnités accordées par FEDRIS étant imprescriptibles.

L’employeur public se réfère quant à lui à la thèse de FEDRIS.

La décision de la cour

La cour examine essentiellement la question de la prescription.

Elle commence par rappeler les termes de l’article 20, qui fixe une règle de prescription de l’action, et note que cette disposition a été modifiée pour éviter que les droits de la victime d’un accident du travail soient prescrits avant que la décision administrative ne soit notifiée. Cette modification est manifestement intervenue vu les dispositions applicables dans cette matière mais, pour la cour, rien ne permet de considérer qu’elles ne s’appliqueraient pas en matière de maladies professionnelles.

La cour dit, ensuite, ne pas pouvoir suivre l’argumentation de FEDRIS, rappelant en premier lieu l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2014 (Cass., 12 mai 2014, n° S.13.0020.F) en ce qui concerne la nature du délai, la Cour retenant qu’il s’agit d’un délai de prescription et précisant que le régime de prescription spécifique applicable exclut l’application de l’article 2277 du Code civil. La cour du travail note que la Cour de cassation a confirmé que le régime de prescription prévu dans le secteur public est plus favorable que celui existant dans le secteur privé.

Elle renvoie également à la doctrine (A. YERNAUX, « Prescription et autres délais en matière de maladies professionnelles (secteurs privé et public) », R.D.S., 2016/2, p. 168), qui considère que l’article 2277 du Code civil n’a pas vocation à être appliqué, vu l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967. Cette doctrine précise également que le délai prévu à l’article 20 est effectivement un délai de prescription et non un délai de recours.

D’autres auteurs sont également cités, pour qui l’article 20 instaure un délai de prescription de trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté en ce qui concerne les actions en paiement des indemnités et qu’un tel délai de prescription n’existe pas dans le secteur privé (la cour renvoyant notamment à S. GILSON, F. LAMBINET et H. PREUMONT, « La prescription et le contentieux judiciaire », Les accidents du travail dans le secteur public, Limal, Anthémis, 2015, pp. 154 et s.).

En conséquence, pour la cour, l’article 2277 du Code civil, qui est applicable dans le secteur privé, où aucun autre délai de prescription n’est prévu, n’a pas vocation à s’appliquer aux indemnités dues dans le secteur public.

Ce constat étant fait, la cour estime cependant devoir inviter les parties à exposer leur position respective plus en détail par rapport à l’argumentation avancée devant elle. Il en va ainsi notamment de l’affirmation de FEDRIS selon laquelle l’application de l’article 2277 du Code civil, admise dans le secteur privé, a pour effet de préciser la date d’exigibilité des indemnités alors que, dans le secteur public, celles-ci seraient imprescriptibles.

Un constat de discrimination ayant été ainsi fait par FEDRIS, la cour demande que l’Agence développe davantage sa position quant aux conséquences de celui-ci, abordant plusieurs pistes.

Elle invite ainsi les parties à se positionner sur cette question, précisant les questions à investiguer. Elle rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2014 ci-dessus, où celle-ci a jugé que la discrimination alléguée entre secteur privé et secteur public ne prend pas sa source dans l’article 2277 du Code civil mais dans l’abstention du législateur de prévoir, dans les lois coordonnées du 3 juin 1970, une disposition comparable à celle de l’article 20, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967, suivant lequel l’action en paiement de la rente d’incapacité permanente due en vertu de l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), de cette loi se prescrit par trois ans à partir de la notification de l’acte juridique administratif contesté.

S’agissant d’une lacune législative, la Cour de cassation a rappelé qu’elle n’est tenue d’interroger la Cour constitutionnelle que lorsqu’elle constate qu’elle serait en mesure, le cas échéant, d’y remédier sans l’intervention du législateur. Or, cette intervention serait rendue nécessaire aux fins de déterminer les modalités du nouveau régime de prescription à mettre en œuvre. Ainsi, la Cour a-t-elle conclu qu’il n’y avait pas lieu de poser la question préjudicielle proposée dans cette espèce par le demandeur et qu’en présence de pareille lacune, la cour du travail dont l’arrêt était soumis à sa censure avait légalement décidé d’appliquer l’article 2277 du Code civil.

La cour souligne encore, avec un rappel à la doctrine de A. YERNAUX, que, lors de l’adoption de la loi du 24 décembre 1963, le législateur avait entendu réparer les séquelles d’une maladie professionnelle avec un effet rétroactif devant permettre de situer la réparation du dommage autant que possible dès son apparition et que la Convention n° 121 de l’O.I.T. du 8 juillet 1964 a le même objectif. La volonté du législateur serait donc que l’indemnité pour incapacité temporaire soit due à partir du jour qui suit celui du début de cette incapacité et que, pour l’incapacité permanente, les indemnités seraient dues à partir du jour où celles-ci présentent le caractère de la permanence. Le but de la loi serait de faire coïncider le début de l’indemnisation avec l’apparition de l’incapacité de travail.

Tel est l’objet de la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Très importante question que celle soumise à la Cour du travail de Liège en cette affaire.

La cour s’est abondamment référée, dans sa motivation, à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 mai 2014 (Cass., 12 mai 2014, n° S.13.0020.F – précédemment commenté), qui avait rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège du 17 avril 2012.

La Cour avait répondu à la seconde branche du pourvoi, qui faisait valoir la violation des articles 10 et 11 de la Constitution au motif d’une discrimination entre le secteur privé et le secteur public (dans lequel l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 prévoit un délai de prescription spécifique à l’action en paiement, étant un délai de trois ans, débutant à la date de la réception de la décision de l’autorité compétente). Elle a constaté que la discrimination alléguée ne prend pas sa source dans l’article 2277 du Code civil mais dans l’abstention du législateur de prévoir dans le secteur privé une disposition comparable à cet article 20, alinéa 1er. S’agissant d’une lacune législative, la Cour de cassation a rappelé qu’elle n’est tenue de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle que lorsqu’elle constate que celle-ci serait en mesure le cas échéant d’y remédier sans intervention du législateur. Tel n’est pas le cas en l’espèce et la Cour a confirmé que, en présence d’une telle lacune dans les textes, l’arrêt de la cour du travail pouvait légalement appliquer l’article 2277 du Code civil.

Cette conclusion a été reprise par la cour du travail dans son arrêt.

Relevons encore l’arrêt rendu par la Cour du travail de Mons le 10 décembre 2013 (C. trav. Mons, 10 décembre 2013, R.G. n° 2013/AM/116 et 2013/AM/128) avant cet arrêt de la Cour de cassation, qui s’était tournée vers l’article 2277 du Code civil, considérant que, étant un mode général d’extinction des obligations, qui suppose une dette, la prescription extinctive atteint non pas la dette elle-même mais son exigibilité et que, à défaut de délai de prescription spécifique repris dans la loi coordonnée, il faut se référer à la prescription quinquennale.

La Cour du travail de Liège ayant ici exclu l’application de l’article 2277 du Code civil et ayant rouvert les débats, la suite de l’affaire sera attendue avec grand intérêt, s’agissant de déterminer les droits de la victime, dans le cadre du mécanisme légal de réparation, dans l’hypothèse où il n’y a pas lieu de limiter le paiement de la rente aux cinq dernières années précédant l’introduction de la demande en justice.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be