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Interdiction de cumul entre des indemnités de mutuelle et l’indemnisation en accident du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 juillet 2021, R.G. 2019/AB/915

Mis en ligne le vendredi 8 avril 2022


Cour du travail de Bruxelles, 13 juillet 2021, R.G. 2019/AB/915

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 juillet 2021, la Cour du travail de Bruxelles analyse les effets de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 en cas de non-respect par l’assureur-loi de son obligation d’avertir l’organisme assureur A.M.I. de son intention de règlement. Elle ordonne une réouverture des débats en ce qui concerne les conséquences possibles du non-respect par l’assuré social de sa propre obligation d’information.

Les faits

La mutuelle à laquelle l’intéressé est affilié lui réclame, par décision du 7 mars 2018, un indu de l’ordre de 13.000 euros.

Celui-ci est alors âgé de 32 ans. Il a été victime d’un grave accident du travail en novembre 2009 (fracture de la colonne vertébrale nécessitant plusieurs interventions chirurgicales). Suite à cet accident, il a été pris en charge jusqu’à la fin de l’année 2014 par l’assureur-loi. Il a ensuite dépendu du secteur A.M.I., percevant une indemnité mensuelle de l’ordre de 300 euros. Cette situation a duré un an, étant toute l’année 2015.

Il s’est ensuite déclaré apte au travail et a dépendu du secteur chômage, une déclaration d’aptitude ayant été introduite par sa mutuelle à l’ONEm.

En mars 2016, l’intéressé conclut un accord-indemnité avec l’assureur-loi afin de régler les séquelles de l’accident. Celui-ci fixe la période d’incapacité temporaire de la date de l’accident à la fin 2014, la consolidation étant acquise le 1er janvier 2015, avec une I.P.P. de 50%. Le travailleur bénéficie ainsi d’une allocation annuelle qui lui est payée mensuellement, par douzièmes.

L’ONEm prend alors une décision, concluant à son inaptitude au travail, en application de l’article 62, § 1er, de l’arrêté royal organique chômage. Celle-ci débute le 1er janvier 2016. L’intéressé est de nouveau indemnisé par sa mutuelle, mais à partir du 20 septembre 2016 uniquement (ce qui ne posera pas de problème particulier, ce point n’étant pas discuté plus amplement dans l’arrêt).

Dans le formulaire de renseignements (feuille de renseignements indemnités), destiné à la mutuelle, il répond négativement à la question de savoir s’il perçoit une rente, allocation ou indemnité pour accident du travail. Quant à la cause de son incapacité, il signale que celle-ci est due à une autre maladie.

Il bénéficiera d’une indemnité journalière à partir de la date ci-dessus, étant le 20 septembre 2016.

L’accord-indemnité est transmis le 25 janvier 2017 à la mutuelle, ainsi qu’une attestation de l’assureur-loi relative à la rémunération de base et un rapport médical.

L’intéressé perçoit alors les arriérés de l’allocation annuelle versée par l’assureur-loi, qui, parallèlement, entreprend le paiement mensuel de celle-ci, qui est de l’ordre de 1.340 euros nets par mois.

Dans le courant de l’année 2017, il passe en invalidité. L’allocation annuelle devant être déduite du montant des indemnités de mutuelle, l’indu lui est notifié. Il est relatif aux indemnités perçues entre le 20 septembre 2016 et le 31 octobre 2017 et est fondé sur l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

Dans le cadre de celui-ci, la mutuelle forme une demande reconventionnelle en restitution d’indu.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 15 novembre 2019, le tribunal accueille partiellement le recours, limitant le remboursement aux indemnités pour la période du 1er juin 2017 au 23 octobre 2017, et ce à concurrence de la différence entre les indemnités et la rente en accident du travail. Il y ajoute les intérêts moratoires depuis les décaissements et les intérêts judiciaires, l’organisme assureur étant condamné aux dépens comme de droit.

Appel du jugement est interjeté par le travailleur, qui demande à la cour d’accueillir sa demande originaire et d’annuler la décision administrative.

La décision de la cour

La cour circonscrit le litige à la question de l’indu dans le cadre de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Elle commence par rappeler que la charge de la preuve de l’indu incombe à la partie qui s’en prévaut et en demande la répétition. Il s’agit dès lors de la mutuelle.

Se pose la question de l’origine de l’indu. La cour rappelle qu’en application de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée, les indemnités pour incapacité de travail ne peuvent être cumulées avec celles de la loi du 10 avril 1971. L’indu consiste en la différence entre les indemnités d’incapacité perçues et le montant que la mutuelle estime dû (déduction faite de l’indemnisation en accident du travail).

Il y a interdiction de cumul lorsque le même dommage est couvert deux fois et que le dommage est réparé en vertu d’une autre législation belge. Lorsque les sommes accordées en vertu de cette législation sont inférieures aux prestations de l’assurance, le bénéficiaire a droit à la différence à charge de celle-ci.

La cour rappelle que le dommage réparé est la perte d’une capacité de gain et que les indemnisations peuvent avoir des causes différentes. Dans sa jurisprudence, la Cour de cassation admet que la couverture d’une même partie de dommage suffit pour l’application de la disposition, les indemnisations ne pouvant être cumulées (Cass., 18 mai 1992, n° n° 7.812). Le cumul des deux indemnités n’est dès lors possible que pour autant que les préjudices qu’elle répare soient entièrement distincts. Il en découle que le cumul n’est jamais possible lorsque la victime de l’accident du travail est indemnisée à concurrence d’au moins 35% en I.P.P.

Et la cour de rappeler la doctrine de Ph. GOSSERIES (Ph. GOSSERIES, « Difficultés d’interprétation et d’application de la règle d’interdiction de cumul de la réparation du même dommage par la législation sur l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité et une autre législation nationale ou étrangère (L. 14 juill. 1994, art. 136, § 2). Analyse comparée des législations de l’A.M.I., des accidents du travail, des maladies professionnelles et du droit commun », J.T.T., 2000, p. 267, n° 64), selon laquelle, l’incapacité de travail ne pouvant dépasser 100%, il n’est plus possible, en cas d’indemnisation en accident du travail à concurrence de 35% au moins, d’atteindre 66% au moins de réduction de capacité de gain en A.M.I. pour les seules causes médicales responsables de cette incapacité. Il y a interdiction de la réparation du même dommage, puisque le dommage est ainsi réparé, fût-ce partiellement, par l’autre législation.

Pour la cour, il y a en l’espèce une I.P.P. de 50%, de telle sorte qu’il ne peut y avoir cumul entre l’indemnité A.M.I. et l’allocation d’accident du travail.

En cas d’interdiction de cumul, il y a lieu de déduire de l’indemnité A.M.I. l’allocation d’accident du travail. Si la première est supérieure à la seconde, la différence reste à charge du secteur A.M.I., en application de l’article 136, § 2, in fine.

Or, ce n’est pas ce montant qui est réclamé en l’espèce, mais la part des indemnités qui s’est cumulée avec la rente en accident du travail. La cour s’interroge sur le caractère récupérable de celle-ci. Elle reprend l’économie de la disposition légale, considérant que

  • l’assurance A.M.I. doit intervenir à titre provisionnel en attendant la réparation du dommage, en l’espèce en accident du travail (article 136, § 2, alinéa 3),
  • la mutuelle dispose d’une action subrogatoire vis-à-vis du débiteur de la réparation pour la totalité des sommes dues en vertu de la législation ad hoc, qui répare le même dommage (alinéa 4),
  • la convention intervenue entre l’assureur-loi et la victime n’est pas opposable à l’organisme assureur sans l’accord de celui-ci (alinéa 5),
  • le débiteur de la réparation doit avertir la mutuelle de son intention d’indemniser et lui transmettre copie des accords intervenus si celle-ci n’y est pas partie. A défaut, il ne peut opposer les paiements faits directement au bénéficiaire. En cas de double paiement, celui-ci lui reste définitivement acquis (alinéas 6 et 7).

Et la cour de reprendre la doctrine de Ph. GOSSERIES, qui voit là une sanction de l’assureur-loi, qui est obligé de payer à l’organisme A.M.I. ce qu’il a déjà payé au bénéficiaire de la réparation, étant la victime. Celle-ci a, selon cette doctrine, également un autre effet : il ne peut rien être récupéré au bénéfice de l’organisme assureur auprès de l’assuré social alors que celui-ci aura perçu deux réparations pour le même dommage. Il n’y a dès lors pas lieu d’appliquer la règle de droit civil qui consiste à devoir rembourser ce qui a été perçu indûment, la disposition A.M.I. étant sans ambiguïté à cet égard. Pour Ph. GOSSERIES, il n’y a pas de choix pour l’organisme assureur A.M.I. dans cette hypothèse de récupérer soit auprès de l’un, soit auprès de l’autre : c’est toujours auprès de l’assureur-loi qu’il doit demander le paiement de ses débours.

En conséquence, dès que le débiteur de la réparation verse ce qui est dû postérieurement aux paiements de la mutuelle sans avoir informé celle-ci de son intention de règlement, seule l’action subrogatoire est légalement possible et il ne peut être question de poursuivre l’assuré.

La cour rappelle également qu’il y a obligation faite à l’assuré social à l’article 295, §§ 1er et 2, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 (pris en application de la disposition ci-dessus) d’informer son organisme assureur de ce que le dommage est susceptible d’être couvert par une autre législation. Cette information a également pour but de permettre l’exercice du recours subrogatoire.

La cour ordonne la réouverture des débats sur cette question afin de voir si, d’une part, ces obligations ont été respectées et, de l’autre, quelles sont les conséquences éventuelles de leur non-respect sur le droit de la mutuelle.

Intérêt de la décision

Cet arrêt aborde la délicate question de l’indu en cas de cumul d’indemnisation.

Sur le principe de l’interdiction de cumul, il est renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 1992 (n° 7.812). La Cour statuait dans le cadre de l’article 70, alinéa 2, de la loi du 9 août 1963 et a été amenée à identifier la notion de « même dommage » ou de « même partie de dommage ». Elle a considéré que tant les prestations pour incapacité de travail allouées en vertu de la législation A.M.I. que celles dues en exécution de la loi sur les accidents du travail du chef d’incapacité de travail couvrent le dommage qui consiste en la perte ou la réduction de la capacité d’acquérir, par son travail, des revenus pouvant contribuer aux besoins alimentaires. Cette règle s’applique aussi lorsque les prestations et les indemnités sont allouées en tenant compte de la perte de rémunération subie en raison de l’incapacité de travail. L’indemnité à laquelle le chômeur peut prétendre lorsqu’il perd son droit aux allocations de chômage en raison de son incapacité de travail ne couvre pas un dommage autre que celui couvert par la prestation due au travailleur occupé atteint d’une incapacité de travail.

Pour la Cour de cassation, cette règle s’applique également au travailleur occupé à temps partiel et qui, au cours de son occupation, peut prétendre à une allocation de chômage en plus de sa rémunération. La partie de sa prestation d’incapacité de travail calculée sur l’allocation de chômage ne couvre pas un dommage autre que la partie calculée sur la rémunération. Les deux parties de la rémunération sont prises en considération pour appliquer la disposition.

La notion de même dommage n’est, depuis, plus contestée, la jurisprudence de la Cour restant tout à fait d’actualité.

Le point mis en évidence par la cour du travail dans l’arrêt commenté est relatif au § 2 de l’article 136 de la loi coordonnée et de la sanction de l’assureur-loi, qui est tenu de payer à l’organisme assureur A.M.I. ce qu’il a déjà payé au bénéficiaire de la réparation, dans l’hypothèse où il n’a pas averti celui-ci de son intention d’indemniser le bénéficiaire et où il n’a pas respecté les obligations mises à sa charge à l’article 136, § 2, en ses alinéas 6 et 7.

La cour a confirmé la règle selon laquelle, dans le cas où le débiteur de la réparation verse ce qui est dû postérieurement aux paiements de la mutuelle sans avoir informé celle-ci de son intention de règlement, seule l’action subrogatoire est légalement possible et il ne peut être question de poursuivre l’assuré social.


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