Terralaboris asbl

Calcul de la rente d’incapacité permanente dans le secteur public : un arrêt de la Cour du travail de Liège

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 17 juin 2021, R.G. 2020/AL/335

Mis en ligne le vendredi 29 avril 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 17 juin 2021, R.G. 2020/AL/335

Terra Laboris

Dans un arrêt du 17 juin 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège), statuant dans le cadre de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 concernant le personnel local, conclut que le calcul de la rente de l’incapacité permanente doit se faire sans tenir compte d’une rémunération de base désindexée, devant être prise en compte, au contraire, la rémunération annuelle à laquelle la victime a droit au moment de l’accident, soit la rémunération effectivement versée et non désindexée.

Les faits

Suite à un accident du travail reconnu, une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail de Liège aux fins de faire fixer les séquelles. Il y eut entérinement du rapport d’expertise, fixant les périodes d’incapacité temporaire, la date de consolidation et un taux d’I.P.P. (4%).

Le dossier se meut dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967, s’agissant d’un employé communal. Le tribunal a en conséquence fixé la rémunération de base non indexée ramenée à l’indice 138,01 et a condamné la commune à indemniser sur la base de celle-ci.

La victime a interjeté appel de ce jugement uniquement sur la question de la rémunération de base. Elle sollicite que la commune soit condamnée à calculer celle-ci sur la base de la rémunération annuelle à laquelle elle avait droit au moment de l’accident, sans appliquer l’indice 138,01, ou, à défaut, à tenir compte de la rémunération de base désindexée, à multiplier par le taux d’I.P.P. et à majorer du coefficient de réindexation à la date de l’accident.

La commune demande pour sa part que la rémunération telle que fixée par le premier juge soit confirmée par la cour.

La décision de la cour

La cour est ainsi saisie de la seule question de la détermination de la rémunération de base de l’indemnité d’incapacité permanente partielle de la victime dans le cadre de la loi du 3 juillet 1977 et de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, s’agissant de personnel local.

Elle rappelle en premier lieu l’article 13, alinéa 1er, de la loi, selon lequel les rentes sont augmentées ou diminuées conformément à la loi du 1er mars 1977 (liaison à l’indice des prix à la consommation), le Roi étant chargé de déterminer comment les rentes seront rattachées à l’indice-pivot 138,01. La cour souligne que, pour les rentes relatives à une incapacité permanente inférieure à 16%, le mécanisme ci-dessus n’est pas applicable.

Lorsque l’incapacité est supérieure ou égale à 16%, la liaison de la rente à l’indice des prix à la consommation permet de rattraper toute la variation du coût de la vie : l’indexation compense l’érosion du pouvoir d’achat entre le montant du salaire désindexé ramené à l’indice 138,01 et le salaire réel au moment de l’accident, mais également à dater du moment de l’accident pour le futur. L’indexation est ainsi doublement correctrice : elle rattrape l’érosion salariale entre l’index 138,01 et le moment de l’accident et compense celle qui intervient ultérieurement. Et la cour d’ajouter que, lorsqu’une indexation n’est pas applicable, le travailleur subit une double peine : non seulement le salaire retenu pour calculer la rente est le salaire désindexé ramené à l’indice 138,01 (étant ainsi inférieur à ce qu’il percevait au moment de l’accident), mais en outre la rente en tant que telle ne fait pas l’objet d’augmentations futures pour l’adapter au coût de la vie.

Pour ce qui est de la désindexation du salaire en début de calcul, la cour considère que ce système est cohérent avec l’existence d’un plafond salarial non indexé tel que prévu à l’article 4, § 1er, de la loi. Y confronter un salaire indexé reviendrait à limiter indûment la rémunération des travailleurs concernés.

Ce n’est dès lors pas la vérification du respect du plafond (non dépassé en l’espèce) qui est l’objet de la discussion, mais celle de savoir si la rente qui sera effectivement versée doit l’être en retenant le salaire désindexé (ramené à l’indice 138,01) ou le salaire réellement perçu.

La cour compare avec le secteur privé, où la rémunération de base est définie à l’article 34 de la loi du 10 avril 1971, le salaire pris en compte étant le salaire réel. Une deuxième distinction se retrouve pour ce qui est de l’indexation des indemnités d’I.P.P., dans la mesure où l’article 27, alinéa 2, de la loi prévoit celle-ci lorsque l’incapacité s’élève à 10% au moins, alors que, dans le secteur public, il s’agit de 16%.

Elle entreprend dès lors un examen approfondi du système en vigueur dans le secteur public, refaisant l’historique de l’évolution des dispositions applicables et soulignant la cohérence du système au départ : si le salaire de base n’a plus été indexé à partir de 1962, c’est que, à ce moment, trouve à s’appliquer un mécanisme d’indexation de la rente, qui aboutit au même résultat. En 1994, l’équilibre a été rompu par la loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales. N’ont plus été indexées que les rentes relatives à une incapacité supérieure ou égale à 10% (la raison de cette disposition étant la volonté de faire des économies), seuil porté à 16% par un arrêté royal du 8 août 1997 (toujours pour les mêmes motifs d’ordre économique). Ces mesures étant présentées comme visant « les petites incapacités », la cour relève qu’une atteinte de 15% présente cependant une telle gravité qu’elle peut difficilement être qualifiée de « petite ».

La cour se livre ensuite à la comparaison entre les indemnisations qui auraient pu intervenir selon que le travailleur se soit trouvé immédiatement après l’adoption de la grille salariale à l’index 138,01, ou une quinzaine d’années après cette période, étant qu’à incapacité égale, l’indemnisation subirait un décalage important qui n’aurait fait que s’accroître au fil du temps. La comparaison est rapidement faite également entre la situation d’un ouvrier du secteur public ayant une incapacité de 15% et de celui qui en aurait une de 16%, cette dernière étant indexée et la première ne l’étant pas, la cour abordant également la différence existant entre les deux secteurs (privé et public).

Or, reprend-elle, la loi elle-même est restée inchangée, son article 4 n’ayant pas été modifié. D’où la question du siège de la différence de traitement, qui peut être l’article 13, alinéa 2, de la loi ou l’article 18 de l’arrêté royal d’exécution.

Renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 décembre 2014 (C. const., 4 décembre 2014, n° 178/2014), elle se penche sur l’article 18 de l’arrêté royal, dont la conformité à l’article 159 de la Constitution doit être examinée. La Cour constitutionnelle avait, en effet, dans l’arrêt ci-dessus, considéré que la non-indexation de la base de calcul de la rente dans le secteur public n’était pas imputable à une norme législative mais découlait d’un arrêté royal d’exécution, en l’espèce l’article 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969.

Vu les thèses des parties, qui ont plaidé la question d’une discrimination en l’espèce, la cour pose la question de la conformité de la disposition aux articles 10 et 11 de la Constitution. Elle conclut à la violation, au motif qu’à incapacité égale, la valeur économique de l’indemnisation de l’accident est, dès la fixation de la rente, moindre pour un accident chronologiquement plus éloigné du point de référence et continue à baisser au fil du temps et des indexations. Aucune justification valable n’est donnée par l’employeur, la cour soulignant que, du point de vue du pouvoir d’achat, l’indemnisation devient de plus en plus basse et déconnectée de la réalité économique au fur et à mesure que le temps s’écoule. L’objectif de la législation sur les risques professionnels, qui est d’assurer une indemnisation en rapport avec la perte de valeur économique, n’est pas rencontré.

En outre, faute d’indemnisation à la fois de la rémunération de base et de la rente, le rapport entre l’indemnisation et le préjudice subi n’est plus garanti et la cour voit ici également un motif de contrariété de la disposition avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Un dernier élément est encore invoqué, issu de la comparaison entre les travailleurs du secteur public et ceux du secteur privé, à situation égale.

En conclusion, la cour laisse inappliqué l’article 18 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, estimant qu’il y a lieu de fonder l’indemnisation sur l’article 4 de la loi du 3 juillet 1967, sans cette restriction. Elle fixe la rente sur la base de la rémunération annuelle à laquelle la victime a droit au moment de l’accident, soit la rémunération effectivement versée et non désindexée.

Intérêt de la décision

La question du calcul de la rente de l’indemnisation de l’I.P.P. dans le secteur public donne lieu, depuis quelque temps, à des décisions de justice de grand intérêt.

Plusieurs voies ont déjà été explorées, dans la problématique de la désindexation de la rémunération de base et de l’indexation (ou non) de la rente.

La Cour du travail de Bruxelles a rendu un arrêt important (C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471 – précédemment commenté), où elle a dit qu’il faut interpréter l’article 18 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 en ce sens que la rémunération annuelle à prendre en considération ne doit pas être adaptée au coût de la vie. Il s’agit de retenir la rémunération non indexée (« désindexée »), c’est-à-dire de ne pas tenir compte de l’incidence de son adaptation à l’indice-pivot. Pour la cour, la cohérence exige qu’à la désindexation de la rémunération de base réponde l’indexation de la rente jusqu’à la date de l’accident. Ce mécanisme permet dans la mesure où la rémunération de base d’une part et la rente d’autre part évoluent sur la base du même indice-pivot et dans des sens opposés, que la désindexation de la rémunération soit neutralisée par l’indexation de la rente.

Pour ce qui est de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 (étant celui analysé par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 4 décembre 2014, n° 178/2014, cité), l’on peut relever un arrêt de la Cour du travail de Liège (autrement composée) du 18 juin 2018 (C. trav. Liège, div. Liège, 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60 – également précédemment commenté), qui a jugé qu’il y a lieu de laisser inappliqué l’article 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 et de mettre en œuvre la règle de l’article 4 de la loi du 3 juillet 1967 : la rémunération de base à prendre en compte est celle à laquelle la victime avait droit au moment de l’accident, soit la rémunération effectivement versée et non désindexée. L’article 14, § 2, est en effet source de discrimination pour plusieurs motifs. Le premier est que, à incapacités égales, la valeur économique de l’indemnisation de l’accident est, dès la fixation de la rente, moindre que pour un accident chronologiquement plus éloigné du point de référence et qu’elle continue à baisser au fil du temps et des indexations sans justification valable. Un autre est que, faute d’indexation tant de la rente que de la rémunération de base, il n’est plus garanti que le montant de l’indemnisation soit en rapport avec le préjudice subi. Enfin, des travailleurs du secteur public sont parfaitement comparables avec des travailleurs du secteur privé et, à situations égales, les travailleurs du secteur privé voient leur indemnisation calculée sur la base du salaire des 12 mois qui ont précédé l’accident, sans décote liée à la désindexation, ce qui n’est pas le cas des travailleurs du secteur public, qui se voient pénalisés par une désindexation non compensée.

A propos de cet arrêté royal, relevons encore un jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles du 19 octobre 2021 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 19 octobre 2021, R.G. 20/3.217/A), qui a jugé qu’au-delà de la question de la désindexation de la rémunération de base à prendre en considération pour l‘application du plafond et le calcul de la rente, se pose celle de l’indexation de la rente elle-même. Il résulte de l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967 que les rentes correspondant à des incapacités de moins de 16 % ne sont pas indexées. Cette disposition ne s’applique qu’après que le montant de la rente a été correctement déterminé, à savoir qu’il a été fixé en fonction de la rémunération désindexée due à la date de l’accident du travail et qu’il a été réindexé à la même date.

Pour l’arrêté royal du 30 mars 2001 (PJPol), le Tribunal du travail francophone de Bruxelles (Trib. trav. fr. Bruxelles, 9 mars 2021, R.G. 16.3.683/A – également précédemment commenté) a pour sa part considéré qu’en cas d’accident du travail dans le secteur public, la rente d’incapacité permanente se calcule en maintenant la désindexation de la rémunération de base elle-même et en indexant la rente.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be