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Réduction des cotisations de sécurité sociale en cas d’engagements « groupes-cibles »

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 novembre 2021, R.G. 2020/AL/177 et 2020/AL/178

Mis en ligne le mardi 14 juin 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 novembre 2021, R.G. 2020/AL/177 et 2020/AL/178

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 novembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) conclut, à propos de l’interdépendance de plusieurs sociétés sur le plan économique et social, qu’elles constituent une même unité technique d’exploitation et qu’en l’espèce il n’est pas constaté que la consistance du personnel dans celles-ci au moment de l’entrée en service d’un nouvel engagé a été augmentée, condition pour l’octroi de la réduction des cotisations, la cour rappelant que, selon la Cour de cassation, le juge doit prendre en compte l’augmentation du personnel et non le volume de travail effectué par les travailleurs.

Les faits

Une société de la région liégeoise a contesté, par requête du 26 décembre 2018, la décision prise par l’O.N.S.S. de rejeter des réductions de cotisations groupes-cibles « premiers engagements » au motif qu’elle formait une unité technique d’exploitation avec quatre autres sociétés. Les réductions concernent deux engagements.

L’O.N.S.S. constatait l’existence de dirigeants communs ainsi que de travailleurs communs entre plusieurs sociétés, les activités étant en outre considérées comme étant à tout le moins complémentaires. D’autres éléments étaient pointés, étant notamment l’identité de siège social et d’une unité d’établissement, ainsi que des éléments d’ordre financier. Vu l’absence d’augmentation d’effectif réel, les travailleurs engagés devaient pour l’O.N.S.S. être considérés comme des remplaçants de travailleurs occupés pendant les quatre trimestres précédents dans la même unité technique d’exploitation.

Concomitamment, l’O.N.S.S. demanda la condamnation de la société au paiement des cotisations.

Dans une deuxième cause, une autre société (considérée par l’O.N.S.S. comme faisant partie de la même unité technique d’exploitation) conteste pour sa part une décision de l’O.N.S.S. la concernant, décision relative à l’engagement d’un premier travailleur. Les éléments retenus sont du même ordre. Dans celle-ci également, l’O.N.S.S. demande le paiement des cotisations.

Procédure antérieure

Les deux affaires ont été jointes par jugement du Tribunal du travail de Liège (division Liège) du 16 décembre 2019. Les recours ont été considérés non fondés et les sociétés condamnées aux dépens.

Procédure devant la cour

Deux arrêts ont été rendus par la cour du travail.

L’arrêt du 10 février 2021

Celui-ci a fait un rappel fouillé des dispositions applicables, étant les articles 342 à 345 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002.

La cour y aborde la question de la définition de l’unité technique d’exploitation, renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (l’arrêt citant Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N) et exposant l’évolution législative (la loi-programme du 24 décembre 2002 ayant été précédée d’une loi-programme du 30 décembre 1988 sur la question) ainsi que l’application de ses dispositions.

Elle reprend un important arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2007 (Cass., 10 décembre 2007, n° S.07.0036.N), qui a précisé que la notion de remplacement est définie en-dehors de toute référence au statut des travailleurs ou à la nature de leurs prestations, ainsi que celui du 7 juin 2010 (Cass., 7 juin 2010, n° S.09.0107.N), qui a fait la distinction entre le remplacement de travailleurs et la réelle création d’emploi dans la même unité technique d’exploitation. La cour souligne que, dans cet arrêt, la Cour de cassation a rappelé que la notion est indépendante de l’identité, du statut du travailleur nouvellement engagé dans les liens d’un contrat de travail à durée déterminée et que cette embauche doit représenter une augmentation nette de l’effectif du personnel.

Un examen approfondi est fait des circonstances de l’espèce, celui-ci débutant par la vérification de l’existence d’un nouvel employeur. La cour admet celle-ci.

Quant au niveau d’emploi, elle examine longuement les éléments produits, dont les tableaux de l’O.N.S.S., et conclut que, le comptage du niveau d’emploi de l’O.N.S.S. étant contesté, les sociétés devaient préciser leurs objections, l’O.N.S.S. étant pour sa part invité à produire les pièces justificatives pour les engagements qui seraient contestés.

Pour ce qui est de la notion d’unité technique d’exploitation, la cour conclut que le lien social existe entre quatre sociétés, un doute subsistant par rapport à une cinquième.

Les critères économiques sont quant à eux réunis, la cour constatant l’existence d’un lien économique et financier, vu l’intérêt partagé par les propriétaires des quatre entités visées. Elle souligne que les activités sont adaptées les unes aux autres ou reprises les unes par les autres, avec partage de la gestion managériale et administrative. Ceci lui permet de conclure à l’existence de moyens d’exploitation communs.

La cour conclut que l’O.N.S.S. est tenu de s’expliquer sur l’inclusion d’une des sociétés tant au regard du critère social que du critère économique et demande la production de pièces.

L’arrêt du 10 novembre 2021

Dans cet arrêt, où la cour vide sa saisine. Elle rappelle qu’elle a jugé précédemment que quatre sociétés forment la même unité technique d’exploitation et que reste à trancher l’inclusion d’une cinquième société.

Elle examine une question relative à un transfert de personnel, qui concerne dix-huit travailleurs au total. Pour la cour, le critère social et le critère économique sont retenus au départ du transfert de personnel et du transfert d’une branche d’activité, intervenus dans le cadre d’une convention de cession, la même activité étant poursuivie par la société cessionnaire et celle-ci étant elle-même liée aux autres sociétés, qui forment déjà une unité technique d’exploitation.

Quant au calcul du niveau de l’emploi, après un nouvel examen des tableaux de l’O.N.S.S., la cour constate que celui-ci n’a pas augmenté, rappelant que le juge doit prendre en compte l’augmentation du personnel et non le volume de travail effectué.

L’appel n’est, en conclusion, pas fondé et la cour confirme le jugement rendu, sous réserve des montants, qu’elle adapte.

Intérêt de la décision

Le contentieux des réductions de cotisations de sécurité sociale en cas de premier engagement « groupes-cibles » est assez important.

Deux textes légaux successifs ont organisé cette réduction et la Cour de cassation a, au fil du temps, affiné diverses notions.

Celle d’unité technique d’exploitation, d’abord, la matière se détachant de celle des élections sociales, de telle sorte que les principes applicables dans l’une ne le sont pas dans l’autre. S’il y a lieu de rechercher l’existence de liens économiques et sociaux entre deux (ou plusieurs) entités, les critères sociaux ne prévalent pas sur les critères économiques.

Il y a dès lors lieu de rechercher dans chaque cas si les deux sont présents.

Dans ces deux arrêts successifs, la Cour du travail de Liège a par ailleurs longuement examiné le niveau de l’emploi, un nouvel engagement supposant une création effective d’emploi et non le maintien d’un volume d’emploi précédent, par l’engagement d’un travailleur qui viendrait remplacer un autre.

La notion d’engagement d’un nouveau travailleur a été précisée dans un arrêt du 13 mars 2019 de la Cour de cassation (Cass., 13 mars 2019, n° S.18.0039.N). Dans son avis, M. l’avocat général avait relevé que l’aspect de la masse salariale ne peut, à défaut de constituer le seul fondement légal retenu, être pris en considération, non plus que le régime de travail pendant la période de référence, à défaut de dispositions légales en ce sens.

Le seul critère qui peut être retenu est l’augmentation du cadre du personnel. Dès lors qu’il y a un remplacement pendant la période de référence, il n’y a pas augmentation nette du nombre de personnel occupé et la réduction des cotisations sociales ne peut être accordée. Il a repris les instructions administratives, qui prévoient le comptage par « têtes ». Il s’agit du personnel inscrit dans le registre du personnel, et ce indépendamment des travailleurs à temps partiel ou à temps plein. Seul le nombre total de membres du personnel compte et ne peuvent intervenir ni l’aspect de la masse salariale ni le régime de travail.

Relevons encore que, dans un arrêt du 22 juin 2021 (C. trav. Liège, div. Liège, 22 juin 2021, R.G. 2020/AL/346) l’accent avait été mis sur les conditions de l’unité technique d’exploitation. Il s’agissait en l’espèce d’activités non commerciales, étant visés deux centres culturels dépendant d’une administration communale. La cour du travail avait relevé la présence de trois administrateurs identiques (mandataires communaux), état de fait qui n’a pas été apprécié comme attestant d’un lien social entre les deux unités mais relevant davantage de « l’empreinte communale ». Tout en ayant leur siège à la même adresse, les deux entités en occupaient des parties distinctes et avaient par ailleurs des activités également distinctes, chacune rentrant dans l’objectif fixé par deux décrets du Parlement de la Communauté française. La cour relevait également l’absence de collaboration entre les deux entités. Elle en a conclu qu’il s’agissait d’opérateurs culturels distincts et que l’on ne pouvait parler ici d’une interdépendance sociale et économique. L’unité technique d’exploitation ne fut en conséquence pas retenue.


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