Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 23 mars 2022, R.G. 21/3.037/A
Mis en ligne le lundi 29 août 2022
Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 23 mars 2022, R.G. 21/3.037/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 23 mars 2022, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle les obligations de l’ONEm en cas de carence du chômeur débiteur de pensions alimentaires qui bénéficie du taux d’allocations « avec charge de famille ».
Les faits
Un bénéficiaire d’allocations de chômage s’est vu octroyer le taux « charge de famille » sur la base du formulaire C1 qu’il a complété. Il a précisé sur celui-ci qu’il vit seul mais paie une pension alimentaire en exécution d’une décision judiciaire. Il s’agit d’un jugement du Tribunal de la famille francophone de Bruxelles, qui a homologué l’accord des parties sur le paiement d’une part contributive mensuelle de 150 euros pour son fils.
L’ONEm a entrepris, dans le courant de l’année 2021, de vérifier l’effectivité des paiements. Après un rappel, celui-ci transmet la preuve de ceux-ci, pour une période allant jusqu’au mois d’août 2019.
L’ONEm prend alors une décision de récupération des allocations au taux « avec charge de famille » à partir du 1er septembre 2019, l’intéressé étant exclu du bénéfice de ce taux (mais se voyant maintenir le taux « isolé »). Une sanction d’exclusion de treize semaines est également prononcée, sur pied de l’article 153 de l’arrêté royal organique. Lui est reprochée l’absence de paiement effectif de la part contributive.
En ce qui concerne la sanction d’exclusion, celle-ci n’est pas motivée autrement que par la circonstance que le défaut de preuve du paiement effectif de la contribution alimentaire a entraîné le paiement d’allocations à un taux supérieur à celui auquel il avait droit. La décision précise qu’il a été tenu compte de la période d’infraction ainsi que de l’absence de manquement à la réglementation pendant les deux années précédentes.
Une seconde décision intervient ensuite, revoyant partiellement la décision ci-dessus, étant qu’une période complémentaire est admise, et ce sur la base d’une attestation bancaire produite par l’intéressé.
Un recours est introduit devant le tribunal du travail.
Position des parties devant le tribunal
Pour l’intéressé, la contribution alimentaire a été payée depuis fin 2015. Elle a cependant été transformée, d’un commun accord des parties, pour deux mois (septembre et octobre 2019), par le paiement de l’inscription de son fils à un club de football.
Des documents sont produits, étant des attestations bancaires, qui confirment le paiement à partir de janvier 2020 de manière régulière, une attestation de la mère, ainsi qu’une attestation d’inscription du fils au club de football local, avec preuve de l’inscription, qui précise le montant de la cotisation annuelle (480 euros).
En conséquence, l’intéressé demande à titre principal l’annulation des décisions administratives et, à titre subsidiaire, la limitation de la récupération.
Quant à l’ONEm, il postule la confirmation de ses décisions.
La décision du tribunal
Le tribunal reprend le principe à la base de l’octroi à un parent du taux d’allocations « avec charge de famille » dès lors qu’il paie une pension alimentaire.
L’article 110 de l’arrêté royal organique a été modifié par un arrêté royal du 24 janvier 2002 et son Rapport au Roi a précisé à l’époque qu’il s’agissait de permettre au chômeur débiteur alimentaire de s’acquitter de son obligation en lui assurant un complément d’allocations à cette fin.
En cas de défaut, il y a été précisé qu’avant de revoir le taux d’allocations à la baisse et, éventuellement, d’infliger une sanction, le directeur du bureau régional peut laisser un délai pour régulariser la situation. Il doit en effet, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, prendre en considération l’ensemble des éléments présentés par le chômeur, ainsi un retard isolé de paiement, des difficultés financières passagères, ou encore des modalités particulières intervenues.
Pour le tribunal, dès lors, si le chômeur n’est pas en mesure de payer la totalité des pensions auxquelles il a été condamné, ceci ne permet pas d’en déduire qu’il n’a pas utilisé les allocations majorées pour payer ses créanciers alimentaires, sauf si seuls des paiements minimes avaient été faits, tendant ainsi à démontrer que la majorité des allocations n’a pas servi à payer lesdites pensions. Et le tribunal de prendre l’exemple où le montant total des pensions alimentaires payées n’atteindrait en moyenne qu’un montant inférieur à l’allocation majorée.
Renvoyant par ailleurs à un autre jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles (Trib. trav. fr. Bruxelles, 23 juin 2021, R.G. 20/3.320/A – inédit), il ajoute que l’ONEm n’est pas le garant des intérêts des créanciers alimentaires et qu’il s’agit de vérifier si le chômeur respecte l’objectif de la réglementation.
En l’espèce, le tribunal constate le paiement effectif d’une contribution alimentaire fixée dans les conditions exigées par la réglementation. Il renvoie au jugement rendu par le tribunal de la famille entre les parties, qui a acté l’obligation pour les parents de supporter chacun la moitié des frais extraordinaires liés à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, en ce compris les frais inhérents aux activités parascolaires. Le demandeur a ainsi pris en charge la moitié de la cotisation au club de football et il l’a acquittée. Le tribunal estime que ce montant peut être imputé sur la créance alimentaire et qu’il reste de ce chef un arriéré de… 60 euros, montant minime au regard du total effectivement versé. Il conclut que l’objectif de la réglementation a été respecté, le défaut de paiement étant par ailleurs tout à fait isolé.
Les décisions de l’ONEm sont dès lors annulées pour le tout.
Intérêt de la décision
Les faits à la base de ce jugement sont, comme l’on peut le constater, simples. Le principe rappelé par le tribunal est pourtant essentiel en la matière.
En cas de carence de paiement dans le chef du débiteur alimentaire (bénéficiaire d’allocations majorées), le directeur du bureau régional est tenu, selon le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal, « dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, de prendre en considération l’ensemble des éléments présentés par le chômeur, tels que, par exemple, un retard isolé de paiement, des difficultés financières passagères, des modalités particulières de paiement ».
L’ONEm doit, en conséquence, non seulement constater un éventuel défaut de paiement (ce qui semble ressortir des éléments produits par le demandeur), mais également prendre en considération les éléments présentés par lui justifiant un manquement éventuel.
Cette obligation peut être rapprochée de l’exigence de proactivité des institutions de sécurité sociale prévue par la Charte de l’assuré social. L’instruction administrative aurait dès lors gagné à respecter cet aspect du contrôle, puisqu’il figure expressément dans le Rapport au Roi.
Par ailleurs, la jurisprudence est abondante sur la condition de l’effectivité du paiement de la contribution alimentaire, question qui doit également être rappelée, et ce précisément eu égard à l’objectif du législateur, qui est de permettre au chômeur débiteur alimentaire de s’acquitter de son obligation en lui assurant un complément d’allocations à cette fin.
Relevons un élément intéressant sur le plan de l’appréciation du juge, le jugement précisant expressément (6e feuillet) que le défaut de la totalité des pensions alimentaires n’implique pas nécessairement la conclusion selon laquelle le chômeur n’a pas utilisé la majoration des allocations pour payer ses créanciers, sauf dans l’hypothèse où le paiement partiel serait « réellement minime », traduisant la volonté de l’intéressé de ne pas utiliser la majoration à cette fin.