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Personnel de Ryanair : législation de sécurité sociale applicable

Commentaire de C.J.U.E., 19 mai 2022, Aff. n° C-33/21 (ISTITUTO NAZIONALE PER L’ASSICURAZIONE CONTRO GLI INFORTUNI SUL LAVORO et ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE c/ RYANAIR DAC), EU:C:2022:402

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Cour de Justice de l’Union européenne, 19 mai 2022, Aff. n° C-33/21 (ISTITUTO NAZIONALE PER L’ASSICURAZIONE CONTRO GLI INFORTUNI SUL LAVORO et ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE c/ RYANAIR DAC), EU:C:2022:402

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 mai 2022, la Cour de Justice, interrogée par la Cour de cassation italienne, décide que le personnel non couvert par les certificats E101 travaillant à l’aéroport de Bergame pendant 45 minutes par jour et se trouvant ensuite à bord des avions est soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

Les faits

Une inspection est intervenue concernant 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport de Bergame. Il s’agit d’une inspection de l’I.N.P.S. (Istituto nazionale della previdenza sociale). Celui-ci a considéré que l’activité exercée était salariée et qu’en conséquence, les travailleurs devaient être assurés selon la législation italienne. L’I.N.A.I.L. (Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro) a également considéré qu’ils devaient être assurés auprès de lui pour les risques liés au travail non aérien, dans la mesure où ils étaient rattachés à la base d’affectation de Ryanair dans cet aéroport. Des cotisations de sécurité sociale ainsi que des primes d’assurances ont été réclamées.

La société a contesté devant les juridictions italiennes.

Tant en première instance qu’en appel, il a été considéré que les travailleurs relevaient de la législation irlandaise, les juridictions ayant admis la production tardive par Ryanair de certificats E101 délivrés par l’institution irlandaise compétente et attestant que la législation de ce pays était applicable. C’est sur la base de la production de ces certificats qu’il a été conclu à l’application du droit irlandais. Cependant, ces documents se sont avérés non fiables pour l’ensemble du personnel (absence de numérotation et de classement, existence de 321 certificats alors qu’il s’agissait de 219 employés). La Cour d’appel de Brescia a dès lors considéré que, pour les employés pour lesquels l’existence d’un certificat valable n’était pas avérée, il convenait de déterminer la législation de sécurité sociale applicable. Vu la période concernée, ceci devait se faire dans le cadre du Règlement n° 1408/71 et du Règlement n° 883/2004.

Les éléments du contrat de travail démontraient que les employés avaient un contrat de travail irlandais, qu’ils recevaient des instructions d’Irlande, travaillaient quotidiennement 45 minutes sur le territoire italien et, pour le temps de travail restant, se trouvaient à bord d’aéronefs immatriculés en Irlande. La société n’ayant pas, sur le territoire italien, de succursale ou de représentation permanente, il fut conclu que la législation de sécurité sociale italienne n’était pas applicable. Dans le cadre du Règlement n° 883/2004 (et de son Règlement d’application n° 987/2009), elle considéra que le nouveau critère de rattachement relatif à la « base d’affectation » prévue par la nouvelle réglementation n’était pas applicable ratione temporis et que, pendant la période considérée, la législation de sécurité sociale irlandaise était applicable aux employés non couverts par un certificat E101.

Les deux institutions se sont pourvues en cassation. Cette juridiction (Corte suprema di cassazione) a posé à la Cour de Justice une question tendant à savoir quelle est, conformément aux dispositions pertinentes des deux règlements, la législation de sécurité sociale applicable au personnel naviguant d’une compagnie aérienne établie dans un Etat membre, qui n’est pas couvert par des certificats E101 et qui travaille pendant 45 minutes par jour dans un local dénommé « crew room » destiné à accueillir l’équipage dont la compagnie dispose sur le territoire d’un autre Etat membre dans lequel le personnel naviguant réside et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des avions de cette compagnie.

La décision de la Cour

Pour les périodes relevant du Règlement n° 1408/71, la Cour rappelle qu’une personne faisant partie du personnel naviguant d’une compagnie aérienne qui effectue des vols internationaux et qui est occupée par une succursale ou une représentation permanente que cette compagnie possède sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel cette succursale ou cette représentation permanente se trouve. Ceci en vertu de l’article 14, paragraphe 2, sous a), i), du Règlement n° 1408/71.

Deux conditions cumulatives doivent être remplies, étant (i) que la compagnie aérienne dispose d’une succursale ou d’une représentation permanente dans un Etat membre autre que celui où elle a son siège et (ii) que la personne en cause soit occupée par cette entité.

La Cour de Justice examine ensuite les notions de « succursale » et de « représentation permanente ». Il s’agit d’une forme d’établissement secondaire présentant un caractère de stabilité et de continuité en vue de l’exercice d’une activité économique effective et disposant de moyens matériels et humains organisés ainsi que d’une certaine autonomie par rapport à l’établissement principal. Ainsi, le local qui accueille l’équipage de Ryanair (crew room) à l’aéroport de Bergame constitue une succursale ou une représentation permanente dans laquelle les employés non couverts par le certificat E101 étaient occupés pendant les périodes concernées. En vertu du Règlement n° 1408/71, ils semblent soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

Pour la période ultérieure (couverte par le Règlement n° 883/2004), la Cour rappelle que la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat de résidence si elle y exerce une partie substantielle de son activité. Ceci en vertu de l’article 13, paragraphe 1er, sous a), du Règlement n° 883/2004.

La Cour précise ensuite ce qu’il faut entendre par « une partie substantielle » des activités exercées dans un Etat membre, étant que, pour une activité salariée, il faut tenir compte du temps de travail et/ou de la rémunération. Tel n’est pas le cas si moins de 25% des critères sont réunis. Ainsi, si, pendant les périodes concernées, les employés ont exercé une activité substantielle de leur activité en Italie, la législation de sécurité sociale italienne va s’appliquer. Il appartient au juge de renvoi de le vérifier.

Enfin, le Règlement n° 883/2004 ayant été modifié en 2012, une nouvelle règle a été introduite. L’activité d’un membre de l’équipage (conduite ou cabine) d’une société assurant des services de transport de voyageurs est considérée comme une activité menée dans l’Etat membre dans lequel se trouve la base d’affectation (qui est le lieu désigné par l’exploitant pour le membre d’équipage, où celui-ci commence et termine normalement un temps de service ou une série de temps de service et/ou dans des circonstances normales l’exploitant n’est pas tenu de loger ce membre d’équipage). Le local destiné à accueillir l’équipage à l’aéroport de Bergame constitue une telle base d’affectation, de telle sorte que les employés non couverts par un certificat E101 sont soumis à la législation italienne.

La Cour a noté que la décision de renvoi ne contient pas d’informations relatives à la rémunération des travailleurs et que, pour ce qui est du temps de travail, elle indique que, pendant les périodes concernées, les travailleurs résidaient en Italie, qu’ils travaillaient sur le territoire de cet Etat membre, et plus particulièrement dans le local destiné à accueillir l’équipage pendant 45 minutes par jour, et qu’ils se trouvaient, pour le temps de travail restant, à bord des avions.

Sous réserve de la détermination du temps de travail quotidien total, il n’apparaît pas, pour la Cour, qu’au moins 25% du temps de travail ait été effectué dans leur Etat membre de résidence. La question étant à trancher par le juge national, la Cour précise que, si une réponse affirmative est donnée, les travailleurs devront, conformément au Règlement n° 883/2004 tel que modifié en 2009, être considérés comme relevant, à la date d’entrée en vigueur dudit Règlement, de la législation italienne. Dans la négative, c’est l’article 13, paragraphe 1er, sous b), du Règlement qui s’applique dans ses deux versions, étant que, si la personne qui exerce une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’Etat de résidence, elle est soumise à la législation de l’Etat membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur qui l’emploie a son siège social ou son siège d’exploitation. Il s’agira alors de la législation de sécurité sociale irlandaise.

En outre, la cour rappelle l’article 87, paragraphe 8, du Règlement n° 883/2004 (dans ses deux versions), étant que, lorsque l’application du Règlement conduit à désigner une législation qui ne correspond pas à celle applicable en vertu du Titre II du Règlement n° 1408/71, le travailleur continue d’être soumis à la législation à laquelle il était soumis, en vertu du Règlement antérieur, sauf s’il demande que la législation résultant du Règlement n° 883/2004 lui soit appliquée. La Cour note qu’il ne semble pas que de telles demandes aient été introduites, la question devant cependant être réglée par le juge de renvoi. Dans cette hypothèse, les travailleurs devront être considérés comme étant toujours soumis, après le 1er mai 2010, à la législation de sécurité sociale italienne.

La Cour conclut dès lors que les dispositions des deux Règlements doivent être interprétées en ce sens que la législation de sécurité sociale applicable au personnel naviguant d’une compagnie aérienne établie dans un Etat membre, qui n’est pas couvert par un certificat E101 et qui travaille 45 minutes par jour dans un local destiné à accueillir l’équipage dont ladite compagnie dispose sur le territoire d’un autre Etat membre dans lequel ce personnel réside et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des avions de cette compagnie, est la législation de ce dernier Etat membre, soit, en l’espèce, la législation italienne.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu par la Cour de Justice ce 19 mai 2022 tranche la question de la loi applicable en sécurité sociale à la fois dans le cadre du Règlement n° 1408/71 et du Règlement n° 883/2004.

Précisons qu’il s’agit ici des travailleurs qui ne disposent pas des certificats E101 émanant de l’institution de sécurité sociale irlandaise, la situation de ceux-ci étant distincte, puisque c’est le droit irlandais qui s’applique à ceux-ci.

Pour les autres, la Cour de Justice a considéré qu’il y a lieu d’appliquer, dans le cadre du Règlement n° 1408/71, la règle selon laquelle le membre du personnel naviguant d’une compagnie aérienne qui effectue des vols internationaux et qui est occupé par une succursale ou une représentation permanente de celle-ci sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où la société a son siège est soumis à la législation de cet Etat membre.

La Cour a repris la définition de la succursale ou de la représentation permanente, qui doit être une forme d’établissement secondaire présentant un caractère de stabilité et de continuité en vue d’exercer l’activité économique. Cette activité doit être effective. L’établissement doit disposer de moyens matériels et humains organisés ainsi que d’une certaine autonomie par rapport à l’établissement principal.

Par ailleurs, pour ce qui est de la condition relative à l’occupation du travailleur par l’entité en cause, il faut qu’existe un rattachement significatif avec le lieu à partir duquel le personnel s’acquitte principalement de ses obligations à l’égard de l’employeur.

A partir du 1er mai 2010 – date d’entrée en vigueur du Règlement n° 883/2004 –, le critère est que la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat de résidence si elle y exerce une partie substantielle de son activité. Il conviendra de déterminer si tel est le cas, et ce eu égard au temps de travail et/ou à la rémunération.


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