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Aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale pour une mère étrangère avec un enfant pouvant acquérir la nationalité belge

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 2 juin 2022, R.G. 22/651/A

Mis en ligne le vendredi 14 octobre 2022


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 2 juin 2022, R.G. 22/651/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 2 juin 2022, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles admet l’octroi à une mère étrangère d’une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale au taux « famille à charge », à la condition que soit initiée une procédure de reconnaissance de paternité par le père biologique ou une action en établissement de paternité à l’égard de celui-ci.

Les faits

Une citoyenne brésilienne, sans titre de séjour en Belgique, s’est vu refuser, en juillet 2021, le statut de réfugié ainsi que celui de protection subsidiaire. Elle est la mère d’un jeune bébé, également de nationalité brésilienne et en séjour illégal en Belgique. Son père biologique est un citoyen belge. Ce dernier s’est soumis à une analyse d’empreinte génétique et, dans ce cadre, des prélèvements sanguins ont été réalisés à l’hôpital Erasme. Dans le rapport rédigé suite à ces examens, il est conclu à une probabilité de 99,99999% que l’intéressé soit le père biologique de l’enfant. Un rendez-vous aurait été pris ensuite auprès de l’administration communale afin de reconnaître l’enfant, mais ceci ne s’est pas concrétisé.

La mère vit à Uccle avec son enfant et se déclare dans l’impossibilité de travailler en raison de sa situation administrative, son activité étant limitée à quelques heures de nettoyage par mois auprès de clients. La précarité de son état de santé est établie.

Elle a, en conséquence, introduit une demande d’aide sociale auprès du C.P.A.S. d’Uccle en octobre 2021. Celui-ci a pris une décision le 17 novembre 2021, refusant cette aide (aide sollicitée sous la forme d’un équivalent au revenu d’intégration au taux « charge de famille »), au motif qu’elle n’a pas de titre de séjour valable et qu’elle ne peut dès lors prétendre au droit à l’intégration sociale. Diverses aides (aide médicale urgente, prise en charge de lait, ainsi que du coût du test de paternité) sont cependant intervenues.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, l’intéressée demandant la condamnation du C.P.A.S. à une telle aide.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend, d’abord, en droit, la question de l’octroi de l’aide sociale tel qu’organisé par la loi du 8 juillet 1976, cette aide ayant, selon le texte, pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. Il en souligne cependant les limitations pour certaines catégories d’étrangers, l’aide étant limitée à l’aide médicale urgente lorsque ceux-ci séjournent illégalement sur le territoire.

Il rappelle que, dans leur important ouvrage sur la question (P. HUBERT, C. MAES, J. MARTENS et K. STANGHERLIN, « La condition de nationalité et de séjour », Aide sociale – Intégration sociale – Le droit en pratique, la Charte, Bruxelles, 2011, p. 121), P. HUBERT, C. MAES, J. MARTENS et K. STANGHERLIN soulignent que le seul constat d’un état de séjour illégal au regard de la loi du 15 décembre 1980 reste insuffisant pour en déduire ipso facto qu’il y a lieu de faire application de l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 Est notamment visé le cas de l’étranger qui se trouve dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté. Pour celui-ci, le C.P.A.S. est tenu d’assurer l’aide sociale jusqu’au moment où il sera en mesure de le faire.

Pour ce qui est de la qualité de parent d’un enfant belge, celle-ci fait, pour le tribunal, obstacle à l’application de l’article 57, § 2, pour autant que des liens effectifs soient entretenus entre le parent étranger et cet enfant belge. Il renvoie à un jugement du même tribunal (autrement composé – Trib. trav. fr. Bruxelles, 22 juillet 2020, R.G. 20/1.221/A), qui a jugé que, lorsqu’une procédure de reconnaissance de paternité avait été initiée par un citoyen belge à l’égard d’un enfant avec lequel il avait une relation suivie et dont la mère était en séjour illégal, il y a, pour cette dernière, une situation d’impossibilité familiale de retour dans son pays d’origine. En cas d’aboutissement de la procédure de reconnaissance de paternité, l’enfant sera en effet de nationalité belge et considéré comme tel depuis sa naissance. Il ne sera dès lors pas éloignable.

Le tribunal reprend en outre l’article 8 de la C.E.D.H., rappelant que cette disposition est d’effet direct en Belgique et que le juge doit écarter l’application de la loi belge si celle-ci s’avère contraire. Au sens de cette disposition, une rupture de l’unité de la cellule familiale ne peut être admise, de telle sorte que la mère de l’enfant ne pourrait être considérée comme séjournant illégalement dans le Royaume au sens de l’article 57, § 2. Il y aurait lieu, dans ce cas, d’écarter cette disposition car elle rendrait impossible l’exercice de la vie familiale. En conséquence (et renvoyant à Trib. trav. Bruxelles, 14 juin 2006, R.G. 22.786/2005), le tribunal considère que le parent aurait droit à l’aide sociale pour autant que son état de besoin soit avéré.

En l’espèce, la question posée est que, si le lien de filiation biologique est établi, il faut examiner s’il en est de même sur le plan juridique. Le tribunal constate que la demanderesse propose, à défaut de reconnaissance volontaire de son fils par son père biologique, d’introduire une procédure devant le tribunal de la famille, conformément à l’article 322 du Code civil. Elle soutient également que, pour ces démarches, sa présence physique ainsi que celle de son fils en Belgique sont indispensables et qu’adopter des décisions d’éloignement du territoire constituerait une violation de l’article 8 de la C.E.D.H. Elle renvoie également à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, considérant qu’il serait de l’intérêt supérieur de celui-ci de voir son lien de filiation établi et de grandir et de s’épanouir en Belgique, où vit son père.

En l’espèce, le tribunal constate cependant qu’aucune démarche juridique n’a encore été entreprise et qu’aucun lien effectif n’est manifestement entretenu entre le père et son enfant. Il conclut à l’absence d’impossibilité familiale de retour. Le seul test génétique ne crée en effet aucun lien juridique entre les intéressés.

Tout autre serait la situation où une procédure de reconnaissance de paternité ou une action en établissement de paternité aurait été initiée. Ceci serait susceptible d’entraîner l’impossibilité familiale de retour, car, dans l’hypothèse où elle aboutirait, l’enfant serait considéré comme de nationalité belge depuis sa naissance. En outre, il est fait obligation aux parties, en vertu de l’article 1253ter/2 du Code judiciaire, de comparaître en personne dans les causes concernant des enfants mineurs. Il y aurait alors impossibilité familiale de retour dans le pays d’origine et la demanderesse posséderait un droit propre au séjour en Belgique, ce qui impliquerait qu’elle serait titulaire d’un droit propre à l’aide sociale « générale ».

Le tribunal rencontre encore d’autres arguments invoqués par la demanderesse, rejetant toutefois ceux-ci au motif qu’elle renvoie à une situation où il y avait eu reconnaissance de paternité et où l’acte avait été établi mais devait encore être homologué par le tribunal de première instance, homologation d’ailleurs obtenue entre-temps, seule restant en suspens la transcription du jugement par l’officier de l’état civil. De même pour une autre affaire, où la procédure de reconnaissance était en cours, le dossier de reconnaissance ayant été adressé au procureur du Roi.

En conclusion, pour le passé, l’impossibilité familiale de retour (ou même l’impossibilité administrative de retour) ne peut être retenue et, pour l’avenir, celle-ci pourrait exister, mais à la seule condition qu’une procédure de reconnaissance de paternité ait été initiée par le père ou qu’une action en établissement de paternité ait été introduite contre lui.

L’état de besoin étant par ailleurs établi, le tribunal conclut, au vu de l’ensemble de ces éléments, à l’octroi d’une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale au taux « famille à charge » à dater du prononcé du jugement, ceci étant conditionné expressément à l’intentement d’une procédure de reconnaissance de paternité par le père ou d’une action en établissement de paternité à l’égard de ce dernier.

Enfin, l’intéressée demandant l’exécution provisoire du jugement, le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 17 décembre 2009 (C. const., 17 décembre 2009, n° 197/2009), qui a jugé que l’exclusion de la faculté de cantonner prévue à l’article 1404 du Code judiciaire, qui concerne les créances de caractère alimentaire, vaut également pour les créances d’aide sociale et les créances de revenu d’intégration sociale. Il exclut dès lors toute caution ou cantonnement dans le cadre de l’exécution provisoire de la décision.

Intérêt de la décision

Le tribunal aborde dans cette décision une question intéressante, étant le droit pour une mère de nationalité étrangère (non U.E.) à une aide sociale (E.R.I.S.) vu la nationalité de son enfant. Les éléments soumis au tribunal aux fins d’établir qu’il est satisfait à cette condition ne sont pas d’ordre juridique mais uniquement biologique.

Ceci ne peut constituer la preuve du lien requis et le tribunal retient comme fil conducteur de son raisonnement que l’octroi de l’aide sociale à la mère suppose l’intentement d’une procédure en justice (à défaut pour elle de pouvoir établir que le critère de nationalité est rempli).

S’appuyant sur l’article 8 de la C.E.D.H. et sur les exigences procédurales en cas de demande de reconnaissance de paternité (ou d’action en établissement de celle-ci), le tribunal admet, avec de la jurisprudence déjà rendue sur la question, que cette impossibilité familiale de retour doit s’appliquer à la période préalable à la décision judiciaire devant le tribunal de la famille, c’est-à-dire à la période où, en vue de l’aboutissement de celle-ci, la présence de la mère est indispensable sur le territoire belge.

Le tribunal a également abordé une seconde condition, étant l’existence d’un lien effectif entre le parent belge et l’enfant, question qui n’est cependant pas centrale dans cette affaire.

Relevons enfin sur la question que, dans un jugement du 19 juin 2019 (Trib. trav. Liège, div. Huy, 19 juin 2019, R.G. 19/8/A et 19/114/A), le Tribunal du travail de Liège (division Huy) a également considéré que la règle de l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 ne s’applique pas à la mère d’un enfant belge par reconnaissance. C’est la règle générale de l’article 57, § 1er, qui, dans ce cas, retrouve sa pleine application. Celle-ci doit donc bénéficier de l’aide sociale classique, et non de l’hébergement dans un centre FEDASIL tel que prévu pour les étrangers en séjour illégal, ce qui n’est pas son cas. Compte, notamment, tenu de l’article 326 du Code civil, cette règle générale s’applique dès que l’enfant était à naître et peut, ainsi, être due rétroactivement à la date de la première demande d’aide sociale (située, en l’espèce, 3 mois avant la naissance de l’enfant belge). La primauté du droit international (article 8 de la C.E.D.H.) et la Constitution (articles 2 et 22bis) imposent cette solution.


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