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Aide sociale : obligation d’audition du demandeur

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 mai 2022, R.G. 2021/AL/184

Mis en ligne le lundi 31 octobre 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 13 mai 2022, R.G. 2021/AL/184

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 mai 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la différence au niveau de l’obligation du demandeur dans la phase d’instruction administrative d’une demande de revenu d’intégration sociale ou d’aide sociale.

Les faits

Un C.P.A.S. de la région liégeoise accordait à un usager une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale depuis le 1er décembre 2011. Il a décidé de supprimer celui-ci en mars 2013, au motif que celui-ci était suspecté d’usurpation d’identité et de fraude dans le bénéfice des aides sociales (envers deux C.P.A.S.). L’affaire avait un volet pénal et le Comité spécial précise dans sa décision que, lors de son audition, l’intéressé avait reconnu les faits, étant qu’il avait voulu aider son « frère » parti à l’étranger au moment où les documents de régularisation de séjour étaient arrivés. Il a admis s’être présenté à sa place pour effectuer les formalités et avoir, par la suite, été contraint de se rendre aux rendez-vous fixés en lieu et place du véritable bénéficiaire.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège et celui-ci a, dans un premier temps, sur la base de l’article 19, alinéa 3, du Code judiciaire, condamné le C.P.A.S. à titre provisoire à un montant mensuel de 500 euros.

Par un second jugement, il a estimé que l’intéressé ne prouvait pas l’état de besoin requis et a dès lors considéré le recours non fondé.

Une décision est alors intervenue, par laquelle le C.P.A.S. supprima le droit à l’intégration sous la forme du revenu d’intégration sociale, récupérant également un montant de 3.500 euros, étant les montants mensuels payés suite au premier jugement.

L’intéressé fit donc l’objet d’une mise en demeure de remboursement. Ayant par ailleurs été occupé par le C.P.A.S. dans le cadre de l’article 60, § 7, de la loi du 8 juillet 1976, il réclama des montants retenus sur son pécule de sortie.

Le Centre ayant par ailleurs été informé par l’auditorat du travail de l’existence de ressources financières personnelles (activité non déclarée de ferrailleur), une nouvelle décision de récupération pour la période antérieure fut prise.

Sur le plan pénal, l’intéressé fut cependant acquitté de la prévention relative à la perception d’un avantage social indu (à charge du C.P.A.S.).

Appel est interjeté du jugement du tribunal du travail ayant refusé l’aide au motif de l’absence d’état de besoin.

Position des parties devant la cour

La partie appelante développe divers arguments. L’un porte sur le fait que, dans son second jugement, le tribunal du travail n’a pas ordonné la restitution de l’aide sociale octroyée à titre provisoire (par la première décision). Celui-ci étant définitif et ayant autorité de chose jugée, le C.P.A.S. ne serait plus en droit de réclamer ce montant dans le cadre d’une nouvelle action. Par ailleurs, il conteste l’absence de droit à l’aide sociale, vu les décisions rendues sur le plan pénal, et critique également la conclusion du tribunal en ce qui concerne l’absence d’état de besoin.

Lui étant reproché d’avoir vendu de la ferraille, l’intéressé conteste ceci et suspecte – à son tour – une usurpation d’identité, relevant l’absence d’enquête précise, le classement sans suite du dossier répressif, etc.

Pour le C.P.A.S., l’autorité de chose jugée du jugement du tribunal du travail ne l’empêche pas d’agir ultérieurement en restitution de l’aide provisionnelle, ce dernier n’ayant pas statué sur le droit du C.P.A.S. à obtenir la restitution de l’aide provisoire accordée. Dans la mesure où le tribunal a conclu à l’absence d’état de besoin, le Centre estime que c’est à bon droit qu’il poursuit la condamnation de l’intéressé au remboursement pour la période où il a bénéficié d’une aide sociale de 500 euros par mois.

Pour la deuxième décision, relative à la période antérieure, il estime également que c’est à bon droit que le tribunal a considéré que l’intéressé était en défaut d’apporter les éléments à l’appui de sa contestation.

La position du ministère public

Pour le ministère public, la demande de remboursement de l’aide accordée pour la période avant la saisine du tribunal est non fondée, au contraire de celle relative au remboursement de l’aide sociale accordée à titre provisoire. Par ailleurs, le C.P.A.S. doit rembourser les montants retenus (étant la totalité du pécule de sortie). Il conclut à l’absence d’autorité de chose jugée du jugement dont appel dès lors qu’aucune demande de remboursement n’avait été formulée.

Par ailleurs, pour ce qui est de la période antérieure, il estime la demande prescrite, la décision administrative devant être considérée comme nulle, vu qu’elle ne contient pas les bonnes bases légales et qu’il n’y a pas eu d’audition préalable ou, à tout le moins, d’information préalable, les conclusions ayant par ailleurs été déposées plus de cinq ans après la période litigieuse.

Enfin, pour ce qui est de la retenue illégale sur le pécule de sortie, le ministère public estime, vu le caractère infractionnel du non-paiement de la rémunération, que le demandeur peut invoquer le délai de prescription de l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale.

La décision de la cour

La cour aborde en premier lieu la question du contrôle de légalité de la décision de récupération elle-même, celle-ci n’ayant pas été contestée en tant que telle dans le délai légal. Elle rappelle que l’absence de recours ne prive pas le juge de la possibilité d’effectuer son contrôle de légalité sur pied de l’article 159 de la Constitution, qui leur confère le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et externe de tout acte administratif fondant une demande, une défense ou une exception. Ce contrôle est prévu de manière permanente, et ce même après l’échéance du délai dans lequel le recours spécialement organisé aurait dû être introduit.

La décision prise a en l’espèce été adoptée sans que l’intéressé n’ait été informé de la possibilité d’être entendu. Pour la cour, même si cette information effective et concrète n’est pas formellement prévue dans la loi du 8 juillet 1976, à l’inverse de la législation en matière de droit à l’intégration sociale, elle constitue néanmoins une garantie essentielle du respect des droits de la défense. Il n’y a, comme elle le précise, aucune raison d’écarter l’application de ce principe général de droit.

Cette exigence est fondée en jurisprudence sur la base du principe général de bonne administration (la cour renvoyant notamment à C. trav. Bruxelles, 28 mars 2013, R.G. 525/2011). Elle relève également l’inadéquation de la motivation de cette décision, qui fait référence à la loi du 26 mai 2002. Cet élément est également de nature à entraîner sa nullité (renvoi étant ici fait à C. trav. Bruxelles, 15 février 1995, R.G. 29.591). Cette décision ne peut dès lors servir de base à la demande de récupération.

La cour constate que la somme en cause (3.500 euros) a été allouée en exécution d’une mesure préalable ordonnée par jugement, cette mesure étant destinée à régler provisoirement la situation des parties. Elle rappelle que, lorsque le juge condamne une des parties dans le cadre du règlement provisoire prévu à l’article 19, alinéa 3, du Code judiciaire à payer provisoirement un montant à l’autre, il s’agit d’un règlement provisoire qui peut être totalement revu lors de la décision définitive. Cependant, seul le juge qui a statué par voie de mesure provisoire est compétent pour modifier celle-ci (renvoi étant fait à Cass., 19 février 1993, Pas., 1993, I, p. 1296). Le C.P.A.S. n’a ni sollicité la récupération en cours de procédure ni interjeté appel du jugement. Il ne peut dès lors obtenir la restitution de l’aide provisoire.

Par ailleurs, la cour confirme la prescription de la demande relative à la période antérieure, la décision étant ici également nulle, vu l’absence d’information quant à la possibilité d’être entendu et quant à l’exigence de motivation adéquate. Les conclusions ayant été déposées hors délai, cette demande se trouve prescrite.

La cour aborde un dernier point, étant l’objet de la demande reconventionnelle de l’intéressé. La retenue ayant été effectuée sur le pécule de vacances est imputée sur le montant dont le C.P.A.S. sollicite le remboursement (et dont la cour rappelle qu’elle a jugé que le Centre n’était pas fondé à en poursuivre la récupération). Le pécule de vacances n’entrant pas dans le champ d’application de la loi du 12 avril 1965, la cour juge que l’action en répétition d’une somme retenue à tort sur celui-ci a un délai de prescription d’un an (article 15 de la loi du 3 juillet 1978). Ce délai était expiré au moment où l’intéressé a introduit sa demande et il y a ici aussi prescription.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège aborde dans cette décision plusieurs points de droit, dont, notamment, les effets d’une décision prise dans le cadre de l’article 19, alinéa 3, du Code judiciaire, qui permet au juge avant dire droit, à tout stade de la procédure, d’ordonner une mesure préalable destinée soit à instruire la demande ou à régler un incident portant sur une telle mesure, ou encore à régler provisoirement la situation des parties. La cour rappelle que cette décision pourra être revue lors du règlement définitif de la cause.

C’est, cependant, à notre sens, sur une autre question que cet arrêt retient essentiellement l’attention, étant la différence de la procédure administrative en matière d’octroi de revenu d’intégration sociale et d’octroi d’aide sociale. Ainsi que la cour l’a rappelé, la loi du 26 mai 2002 prévoit expressément l’obligation d’audition du bénéficiaire, ce qui n’existe pas lorsque c’est une aide sociale (voire l’ERIS) qui est sollicitée.

Dans un précédent arrêt du 7 décembre 2021 (C. trav. Liège, div. Liège, 7 décembre 2021R.G. 2021/AL/204), la Cour du travail de Liège – autrement composée – avait conclu que l’absence d’information quant à la possibilité d’être entendu entraîne, en principe, la nullité de la décision du C.P.A.S. en raison du non-respect d’une disposition d’ordre public. Cela paraît toutefois moins certain en matière d’aide sociale, dans la mesure où l’audition ne résulte que d’un principe de bonne administration. La question de savoir si la décision litigieuse doit être annulée n’a en réalité que peu d’intérêt sur le plan pratique, vu le pouvoir de substitution du juge, qui doit dépasser le constat de nullité et statuer sur le droit au revenu d’intégration ou à l’aide sociale pendant la période litigieuse, nonobstant l’absence d’audition préalable.

En l’espèce, l’arrêt du 13 mai 2022 conclut de manière expresse à la nullité de la décision, s’appuyant sur le principe général de droit du respect des droits de la défense ainsi que sur celui de bonne administration.


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