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Appréciation du motif grave : si la critique de l’employeur est autorisée, le dénigrement ne l’est pas

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 février 2022, R.G. 2020/AB/15

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 21 février 2022, R.G. 2020/AB/15

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 février 2022, la Cour du travail de Bruxelles a confirmé qu’est un motif grave le fait de poster volontairement sur la partie publique d’un compte Facebook des informations à caractère dénigrant concernant l’entreprise qui occupe le travailleur, son ancienneté et ses états de service étant des critères indifférents dans l’appréciation du motif grave.

Les faits

Un ouvrier ayant une ancienneté de vingt-six ans est licencié pour motif grave par courrier recommandé en date du 15 décembre 2016. Lui est essentiellement reproché d’avoir publié sur son profil Facebook public un lien vers un reportage télé relatif à l’entreprise et présentant le personnel comme contaminé. Il s’agit d’un incident remontant à l’année 2009, incident que la société considère comme isolé. Dans le courrier recommandé de licenciement, il est fait état du fait que l’employeur aurait pris connaissance de ce fait quelques jours avant le licenciement. Il précise que la publication d’un tel reportage ne résulte pas d’une erreur de manipulation mais qu’il y a une volonté délibérée de porter préjudice à la société.

Au moment du licenciement, l’employeur précise que la société est en voie d’être rachetée par un groupe étranger. Lui est reproché d’avoir à ce moment précis communiqué cette information relative à un incident s’étant produit plus de sept ans auparavant et étant hors contexte. Est également pointé le fait que la publication de ce reportage (l’incident en faisant l’objet n’étant pas situé dans le temps dans la communication elle-même) est d’autant plus préjudiciable que le secteur est un secteur délicat (chimie).

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon, qui, par jugement du 5 novembre 2019, déboute le demandeur de sa contestation du motif grave.

Celui-ci interjette appel.

La décision de la cour

La cour axe son rappel des principes sur les dispositions pertinentes de la loi du 3 juillet 1978, étant d’une part l’article 17, 1°, qui fait obligation au travailleur d’exécuter son travail avec soin, probité et conscience, au temps, au lieu et dans les conditions convenus, et d’autre part son article 35 relatif au licenciement pour motif grave.

La cour développe la notion de faute susceptible de constituer un motif grave. Celle-ci n’est pas limitée au seul manquement à une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle, mais s’entend aussi de toute erreur de conduite que ne commettrait pas un employeur ou un travailleur normalement prudent et avisé (renvoyant à Cass., 26 juin 2006, n° S.05.0004.F).

Le contrat de travail repose sur une relation de confiance et la rupture de cette confiance peut rendre impossible la poursuite des relations professionnelles. Cette confiance est, pour la cour, certes ressentie subjectivement, mais les faits qui fondent ce sentiment sont des données objectives et celles-ci peuvent guider le juge dans son appréciation souveraine, s’agissant d’examiner la faute à la lumière de toutes les circonstances qui l’accompagnent et qui sont de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave.

La cour pointe ainsi le fait que le juge peut avoir égard à des éléments qui concernent chacune des deux parties ainsi qu’à des circonstances très diverses (ancienneté, type de fonction, temps, lieu, degré de responsabilité, passé professionnel, état de santé physique et mental, nature de l’entreprise et importance du préjudice subi). Ces éléments sont susceptibles d’exercer une influence soit sur le degré de gravité de la faute, soit sur l’évaluation globale et objective de son impact sur la possibilité de la poursuite de la relation de travail. En liant l’appréciation de cette possibilité malgré la faute commise par le travailleur au critère de la disproportion de cette faute et de la perte de l’emploi, il y a violation de l’article 35 (rappelant ici Cass., 6 juin 2016, n° S.15.0067.F).

Après ce rappel des principes, ayant par ailleurs constaté le respect des délais – qui n’est pas contesté par les parties –, la cour examine si la publication sur le profil Facebook public d’un lien vers le reportage en cause peut constituer le motif grave reproché par l’employeur.

Elle rejette qu’il puisse s’agir d’une simple erreur de manipulation, rappelant que le partage d’une information ne se fait pas de la même manière qu’une simple constatation, requérant davantage d’opérations. Elle souligne en outre que les informations ont été publiées sur la partie publique du réseau social de l’intéressé et que cette publication a été faite à un moment particulier. Il y a dès lors volonté d’interférer dans les discussions en cours et de jeter le discrédit sur la société.

La cour souligne encore qu’à l’époque de l’incident litigieux, le travailleur était occupé par l’entreprise et qu’il avait dû savoir que l’incident visé était un fait isolé. Elle confirme l’appréciation du tribunal, qui a retenu que, si le demandeur n’a pas commenté le reportage, le simple fait de le mentionner incite à l’ouvrir et à le visionner.

Une argumentation complémentaire étant développée à titre subsidiaire, à savoir qu’à supposer l’intention de partager l’information retenue, le but de l’intéressé a pu être différent, étant de critiquer l’employeur et de communiquer son mécontentement.

Cet argument est également rejeté, vu l’absence de tout lien entre la contamination survenue en 2009 et la crainte en 2016 d’assister à un licenciement collectif.

La cour y ajoute que, dans un arrêt du 3 septembre 2013 (C. trav. Bruxelles, 3 septembre 2013, R.G. 2012/AB/104 – autrement composée), elle a jugé que, dans l’hypothèse d’un cadre d’une entreprise cotée en bourse, qui avait posté un commentaire critique à l’encontre de l’employeur et de sa politique sur la partie d’un réseau social accessible à quiconque, il y avait motif grave, et ce même si le travailleur expliquait qu’il ne faisait que mentionner ce qui était contenu dans des articles de presse.

Même si les faits de l’espèce sont légèrement différents (société non cotée en bourse et absence de commentaire de l’intéressé), la cour retient que la communication véhicule publiquement un message intrinsèquement critique à l’égard de l’employeur et susceptible de nuire à son image. Elle insiste encore sur le potentiel nuisible pour l’image de la société de l’information qui a été communiquée publiquement (titre intriguant, caractère anxiogène de détails repris dans l’article, etc.).

Pour la cour, l’information seule se suffit, et ce d’autant que, par l’absence de précision de l’incident dans le temps, l’information a pu laisser penser que le problème n’était toujours pas résolu.

Elle fait encore grief à l’intéressé de ne pas donner de justification à son geste, concluant qu’il ne peut qu’en être déduit qu’il cherchait à empêcher la cession pour prévenir un hypothétique licenciement collectif.

Ni l’âge de l’intéressé, ni son ancienneté, ni ses états de service, ni encore le fait qu’il ait retiré le lien immédiatement n’atténuent le caractère irrémédiable de la perte de confiance entre parties.

Intérêt de la décision

Cet arrêt aborde la question des critiques de l’employeur sous l’angle d’un licenciement pour motif grave.

Les faits de l’espèce démontrent certes assez rapidement qu’il ne s’agit pas d’une simple critique eu égard au contenu de l’information communiquée ainsi que du timing de celle-ci. Le travailleur développait cependant à titre subsidiaire l’hypothèse de l’expression d’un mécontentement de sa part et d’une critique non constitutive de motif grave.

La distinction doit en effet être faite entre l’expression légitime d’un droit et le dénigrement de l’employeur, manifestant une intention de nuire. L’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège (div. Neufchâteau) du 24 avril 2019 (R.G. 2018/AU/12), qui a retenu que l’attitude du travailleur tenant, par SMS, des propos qui ne traduisent pas simplement une expression légitime d’un droit à l’appréciation, mais, par leur caractère dénigrant à l’égard de l’employeur, manifestent son intention de lui nuire ne peut que rompre immédiatement et définitivement la confiance de ce dernier.

De même, dans un arrêt du 12 septembre 2017 (2016/AM/257), la Cour du travail de Mons a jugé que le ton autoritaire, impertinent et moqueur utilisé par un travailleur dans les mails qu’il adresse à ses supérieurs dénote, incontestablement, un manque total de respect et d’égards à leur encontre, tant en ce qui concerne l’autorité qu’ils représentent que leur personnalité même. Un tel comportement, fautif en soi, est d’autant plus grave que, alors que cette publicité ne présentait aucun intérêt public, l’intéressé a diffusé ces mails auprès de tous les membres du personnel dépendant de ces mêmes personnes, dont il sape l’autorité. Dès lors que les propos incriminés ont été formulés dans des écrits censés réfléchis et ont été divulgués sans aucun motif, sinon celui de nuire, on peut difficilement voir dans ce comportement la réaction épidermique que pourrait avoir un travailleur sous pression, auquel ses supérieurs manqueraient de respect.

Dans le même sens, le Tribunal du travail de Liège (division Liège), a jugé le 17 juin 2021 (R.G. 19/3.932/A) que constitue une faute grave, de nature à rompre immédiatement et définitivement la confiance que son employeur pouvait avoir en lui, le fait pour un travailleur de publier sur sa page Facebook des propos qui, non seulement, mettent directement en cause sa gestion des embauches, mais aussi laissent sous-entendre que la manière dont sont traités les résidents de l’institution laisse à désirer. Il y va, en effet, de propos dont le caractère dénigrant porte préjudice à la réputation de la maison de repos dans l’essence même de sa fonction première, l’accueil et les soins aux personnes âgées, et qui pourraient, dès lors qu’ils sont accessibles à toute personne connectée, avoir de lourdes conséquences sur la fréquentation de l’institution.

Par contre, il a été conclu par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 22 juin 2018 (R.G. 2017/AB/257) qu’il est compréhensible qu’un travailleur, maintenu en service après reprise de l’entreprise, porte un regard critique sur sa restructuration et ses nouveaux collègues. Cette attitude, pour blâmable qu’elle soit, ne rend toutefois pas immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations de travail.

De même encore, la même cour (C. trav. Bruxelles, 19 mars 2008, R.G. 49.599) a jugé que constitue une réaction excessive, mais non un motif grave, le fait pour la personne de confiance, qui estime que la direction ne prend pas les mesures nécessaires en présence d’un fait de harcèlement, de faire part de son avis à la direction et à l’ensemble du personnel.


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